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Parti Communiste libanais
Section des relations internationales
Entrevue avec Marie Nassif-Debs
Toni Solo et Salah Ahmine
Photo : Wikipedia Commons
20 mars 2010
La proposition d’une “Cinquième Internationale” a
provoqué assez de débat sur la nature et la forme qu’une
initiative de ce genre pourrait avoir. Un groupe d’écrivains
et d’activistes au Nicaragua, nous avons tenté de contribuer
à ce débat au moyen d’apports en espagnole et en anglais.
Nous étions préoccupés par le fait que cette possibilité
d’échange nécessaire sur l’idée d’une “5ème Internationale”
- ou comme le Président Daniel Ortega a appelé, une
Internationale des Peuples - allait souffrir d’une vision
trop étroite.
Nous voulions nous assurer que les points de vue d’autres
régions du monde soient inclus - particulièrement les
perspectives des pays et peuples arabes et islamiques qui
affrontent l’impérialisme dans sa forme la plus virulente.
Aussi, nous avions voulu nous assurer que nos apports à ce
débat seraient basés sur des expériences très concrètes pour
éviter ainsi les prises de positions idéalistes qui évadent
les réalités, les difficultés et vérités pratiques. Nous
espérons que cette entrevue avec une dirigeante du Parti
Communiste Libanais aidera à élargir les termes des
discussions vers un contenu opérationnel et efficace
fidèlement enraciné dans les diverses luttes des peuples
contre la barbarie de l’impérialisme.
TS/SA : Dans les difficiles condition de la réalité
Libanaise, les différentes composantes confessionnelles et
politiques, les douloureuses expériences du passé, les
manipulations des puissances impérialistes, que pouvez-vous
nous dire sur l’expérience et l’orientation unitaire de la
Résistance Nationale Libanaise ?
MND : La Résistance nationale libanaise a fait ses
premières preuves en 1969, quand les agressions israéliennes
se faisaient quotidiennes au Sud du pays et, même, à
Beyrouth, profitant de la théorie lancée par la bourgeoisie
pro-étasunienne au pouvoir sous le mot d’ordre “ La force du
Liban réside dans sa faiblesse”.
Cette Résistance commença avec “ La Garde patriotique”
(Al-Haras Al-Cha’bi) que les Communistes libanais avaient
formée afin de préserver les villageois des
attaques-surprises des commandos de Tel Aviv. Puis, ce fut,
un an plus tard, le tour des “ Forces des partisans” (Qouat
Al-Ansar) qui, sous l’égide du Parti Communiste libanais,
une fois de plus, rassembla des militants de plusieurs
partis communistes arabes, y compris des Palestiniens.
Mais, l’expérience la plus glorieuse fut celle du “ Front
de Résistance nationale libanaise”, plus connue sous le nom
de “ JAMOUL” et dont les militants, appartenant au PCL et à
d’autres petits groupes de la Gauche libanaise, furent à la
base de la libération de la majeure partie du territoire
national occupé, en 1978 puis, surtout, en 1982 par les
armées israéliennes.
Ce que nous devrions dire de tous ces groupes de
Résistance, c’est que, même s’ils furent formés par les
Communistes, il n’en reste pas moins qu’ils étaient ouverts
à tous ceux qui voulaient participer à la libération de leur
pays ; c’est ce qui, d’ailleurs, a fait, pendant de longues
années, la force de ces mouvements.
Par rapport à la dernière décennie du XX° siècle et à la
décennie passée, il faut dire que nos Camarades, malgré des
tensions et des attaques armées, n’ont pas manqué à la
tradition d’ouverture : ils furent présents lors de la
riposte contre l’opération dite des “ Raisins de la colère”
(1996), puis en 2000, lors de la Libération. Et, là, je dois
ouvrir une parenthèse pour dire que notre Camarade Souleiman
Ramadan fut le dernier à quitter le camp de concentration de
Khiam, après avoir soutenu, avec notre Camarade Ghassan
Saïd, tous les prisonniers qui s’y trouvaient… Nous ne
devrions pas oublier la lutte glorieuse qui nous avait unie
à la Résistance islamique et à tous ceux qui se sont
opposés, en 2006, à l’agression israélo-étasunienne la plus
barbare et la plus meurtrière.
Si j’évoque ces faits, ce n’est pas parce que je veux
vanter le rôle de notre Parti (Le Parti Communiste libanais)
et de la Gauche libanaise dans la Résistance, mais pour dire
que nous avions toujours voulu une orientation unitaire
entre les forces de la Résistance au Liban ;
malheureusement, ce ne fut pas toujours le cas et nos appels
sont restés sans réponse, la plupart du temps. Mais nous
continuerons dans la même voie, parce que nous pensons que
le complot impérialiste et sioniste contre notre peuple et
les peuples arabes se poursuit et qu’il est de notre devoir
de faire la jonction avec ceux qui veulent contrer ce
complot ; comme nous pensons, aussi, que la Résistance d’un
peuple dépasse tous les clivages confessionnels et autres…
TS/SA : Vu depuis la gauche et les secteurs démocratiques,
est-ce que vous pouvez nous faire un résumé sur les
expériences unitaires des forces politiques et sociales
durant les dernières décennies dans le monde arabe ?
Existerait-il une expression ou une structure de ce genre
d’expérience dans l’actualité ?
MND : Dans les dernières décennies, les expériences
unitaires dans le monde arabe ont presque disparu. Les
causes, nombreuses, peuvent se résumer dans les deux
suivantes : d’abord, la chute de l’Union soviétique et du
Mouvement communiste international ; ensuite, la crise qui a
abouti à l’implosion du Mouvement de libération nationale
arabe, à la suite d’une série de déboires des armées arabes
face à Israël et des dissensions aigues entre certains pôles
de ce mouvement, notamment la Syrie et l’OLP.
Cependant, il y eut des alliances entre des forces
progressistes dans certains pays, dont le Liban, qui avaient
pour but de préserver les acquis sociaux et de promouvoir la
lutte pour le changement. Il y eut, aussi, des alliances
entre des forces politiques et sociales disparates à propos
de l’appui qui doit être accordé à la Résistance ; mais ces
formes d’alliance ne sont pas très stables, vu qu’elles se
basent sur des forces qui n’ont pas une vision commune
minimum de la situation, d’une part, et, d’autre part, vu la
faiblesse de la gauche en tant que noyau dur.
Il est vrai que notre Parti a fait, en mai 2007, appel à
une réunion des Communistes et de la gauche dans le monde
arabe, afin de mettre au point une structure nouvelle, en
alternative à celle qui venait d’imploser ; il n’en reste
pas moins que, jusqu’à ce jour, rien de concret ne fut
créé, bien que des luttes communes furent mises au point en
ce qui concerne les problèmes arabes essentiels, à savoir :
la cause palestinienne (Gaza, le droit au retour…), les
territoires arabes occupés, le conflit arabo-israélien, la
résistance à l’occupation des sources d’énergie en Irak et
ailleurs. Nous œuvrons également pour transformer les
réunions des Partis Communistes et de gauche arabes en une
structure plus stable, à la manière de la Rencontre
internationale des Partis communistes et ouvriers. Et, si
nous rendons vers des structures unitaires, dépassant les
simples alliances, c’est parce que, depuis la disparition du
Mouvement communiste, la lutte anti impérialiste n’avance
pas très rapidement. Bien au contraire : l’offensive
impérialiste a fait des percées, tant sur le plan socio
politique que sur le plan militaire. Nous devrions noter que
les forces impérialistes (les Etats-Unis, l’OTAN et les
autres alliances, dont Israël) ont enregistré des victoires
un peu partout et le Mouvement altermondialiste, malgré son
expansion, n’est pas à même d’y faire obstacle.
TS/SA : Comment est perçue la proposition du Président
Chávez pour une internationale des peuples ou une “
cinquième internationale” actuellement depuis la perspective
de la gauche en affrontement direct à l’entité sioniste et
aux gouvernements alliés de l’impérialisme dans la région
comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite ?
MND : Le projet lancé, le 20 novembre, par le Président
du Venezuela Hugo Chavez répond, en grande partie, à
nos attentes.
Je dis bien “ en grande partie”, parce que la littérature
qui concerne cette “ Cinquième Internationale” n’est pas,
encore, bien précise.
Il est vrai que de par la définition que le président
Chavez lui donne (un espace où les partis, les mouvements,
les courants à orientation socialiste pourront coordonner
une stratégie commune contre l’impérialisme et pour le
renversement du capitalisme par le socialisme), elle semble
être un très grand pas très en avant dans la lutte menée
contre le nouveau projet impérialiste ; il est vrai aussi
que l’appel à une forme d’organisation dite “ sans manuel et
sans obligation où les différences seront les bienvenues”
est de nature à élargir le rassemblement des forces anti
impérialistes ; cependant, il est nécessaire d’attendre la
rencontre du mois prochain et, surtout, le contenu d’une
telle initiative. Parce que, selon notre humble expérience,
il ne suffit plus, avec les putschs, les complots et les
guerres étasuniens, d’élargir et d’ouvrir une perspective,
il faut aussi tenter de mettre au point un projet
alternatif. De même, s’il n’est pas nécessaire de créer une
organisation très centralisée, à l’exemple des
Internationales précédentes, il ne faut pas négliger
l’importance d’une sorte de front commun à caractère
permanent, qui regrouperait les forces et les mouvements
sociaux, tant régionaux qu’internationaux, et les
mobiliserait, dans un élan commun de solidarité
internationale, dans le sens de trouver, ensemble, des
solutions aux défis auxquels nous faisons face.
TS/SA : Certains sont de l’opinion qu’une “ cinquième
internationale”, du moins pour le nom qui lui est désigné,
peut perpétuer le prolongement du sectarisme au sein de la
gauche, quel est votre avis à ce sujet ?
MND : Il est vrai que certains ont peur des impacts
laissés par les expériences précédentes, et ils ont raison
en quelque sorte, vu que ces expériences se sont soldées par
un échec retentissant dont nous sommes tous responsables, à
des degrés différents. Mais, ce dont je suis sûre, c’est que
nous avons beaucoup appris de ces expériences ; et ceux qui
ont lancé le projet ont montré qu’ils ne tentent pas de
remplacer un sectarisme par un autre. De même, les partis de
gauche, de par le monde, ont analysé, depuis 1990, leur
expériences précédentes : au Liban par exemple, et malgré la
douleur laissée par les assassinats des années quatre-vingts
du siècle passé, le PCL a œuvré dans le sens d’une alliance
des deux Résistances, nationale et islamique ; et, si nous
n’y avons pas parvenu, c’est peut-être parce que le
Hezbollah n’est pas encore prêt à s’ouvrir dans le sens
d’une ouverture en dehors des forces “ religieuses” et,
surtout, vers un parti communiste. Et, même maintenant, au
moment où nous voyons le Hezbollah s’enfoncer dans les
projets d’un gouvernement de classe, nous l’appelons, ainsi
que d’autres forces se disant anti impérialistes, à un
programme commun du mouvement qui voudrait résister contre
le projet impérialiste dit “ le Nouveau Moyen-Orient”.
Il nous est possible de lutter contre le sectarisme qui
avait prévalu jadis, mais nous devons aussi prendre en
considération la base idéologique de certaines forces et
agir en connaissance de cause pour ne pas avoir de grandes
désillusions à l’avenir. Pour nous, l’ouverture est très
nécessaire, mais non suffisante.
TS/SA : Existeraient-ils dans votre région les conditions
pour une initiative efficace et pratique de ce genre ?
MND : Oui. Déjà, d’ailleurs, il y a des regroupements qui
ont fait leur preuve : il y a, d’abord, le bureau arabe des
Partis communistes et ouvriers ; il y a, ensuite, les
mouvements ouvriers et de masse, mais aussi des partis de
résistance qui partent d’une idéologie religieuse.
Mais, le problème avec ces regroupements, c’est que leur
action ne fut pas continue. Ils font des réunion ou des
conférence, ou encore quelques rassemblements…
TS/SA : Quels sont les critères qui doivent être adoptés
pour qu’une initiative de ce genre aie un impact positif, -
y aurait-il une place pour des mouvements d’inspiration
religieuse comme le Hezbollah et Hamas ?
MND : Tout dépend des objectifs du projet alternatif que
nous voulons ; parce que c’est sur la base d’un projet que
nous déciderons des forces que nous voulons rassembler.
Si notre projet se limite à la lutte contre la présence
(militaire) de l’impérialisme dans nos régions, l’éventail
pourra être très large. Mais, si nous voulons poser, en même
temps, la lutte socio-économique (la lutte de classe),
alors, le front des forces sera plus restreint.
Bien sûr, chaque rassemblement a son importance. Il est très
vital pour la classe ouvrière et les peuples de lutter
contre la cause première des guerres, des maladies et,
surtout, de l’exploitation qu’est l’impérialisme ;
Cependant, pour moi, il faut que cela soit lié à un projet
d’avenir. Non pas le socialisme, parce qu’il limite les
forces auxquelles nous voudrions nous unir, mais, au moins,
les lignes générales d’une société non basée sur
l’exploitation ou, même, une société où il y aurait une
certaine justice sociale.
Je ne suis pas très d’accord avec ceux qui disent :
faisons le rassemblement sans bases ; l’avenir décidera. Je
crois que nous devrions, au moins, laisser à nos peuples la
possibilité d’entrevoir de quel avenir nous parlons, non de
les entraîner à l’aveuglette. D’ailleurs, je suis sûre que
le Président Hugo Chavez et ceux qui ont formé le projet de
la Cinquième Internationale savent ce qu’ils font et où ils
vont.
Dans une telle perspective, toutes les forces de
résistances, y compris le Hezbollah, auraient leur mot à
dire et leur place au sein du groupe.
TS/SA : De votre point de vue, comment pourrait-on
concilier l’idée d’un Front Mondial anti-impérialiste, une
proposition de toujours d’un grand secteur de la gauche dans
le monde, avec l’idée qui nous intéresse dans ce cas d’une “
internationale des peuples” ?
MND : Comme je viens de le dire, nous devrions appeler au
rassemblement sur des bases claires, en précisant les
objectifs, à partir de la “ contradiction principale”.
Ainsi, l’Internationale des peuples ne pourra pas entrer en
contradiction avec les formations déjà existantes, parce
qu’elle ne vise pas à les remplacer toutes. D’ailleurs, elle
n’appelle pas, vu son point de départ et le projet qu’elle
présente, à éliminer les autres formations qui pourraient,
si elles le voulaient, continuer à fonctionner.
TS/SA : Si les conditions existent, jusqu’à quels objectifs
concrets devrait-on travailler ?
MND : Je l’ai déjà mentionné : jusqu’à un projet social
alternatif. Le capitalisme a assez prouvé qu’il est
générateur de misère, de guerres et d’exploitation. Nous
devons en finir avec la capitalisme, si nous voulons
préserver les acquis sociaux, mais aussi la Planète et,
surtout, le genre humain menacé de disparaître.
Beyrouth, le 13/3/2010
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