Al-Ahram Hebdo
« Le déséquilibre des forces retarde le
règlement du conflit palestino-israélien »
Lakhdar Brahimi
Photo Al-Ahram
Mercredi 4 novembre 2009
Ancien secrétaire général adjoint des Nations-Unies et
ex-ministre algérien des Affaires étrangères,
Lakhdar Brahimi
a été l’envoyé spécial de cette organisation
internationale dans plusieurs zones de conflit. Il livre son
expérience dans la résolution des conflits, notamment celui
entre Palestiniens et Israéliens. Al-ahram
hebdo : Vous étiez l’envoyé spécial des Nations-Unies dans
plusieurs conflits du monde, dont ceux de l’Iraq (janvier-juin
2004) et de l’Afghanistan (juillet 1997-octobre 1999). Quelles
leçons tirez-vous de cette vaste expérience dans la résolution
de conflits, tel celui entre Palestiniens et Israéliens ?
Lakhdar Brahimi :
La première leçon que l’on apprend lorsque
nous avons affaire à des conflits c’est qu’il n’y a pas deux
situations que l’on peut comparer ou résoudre de la même
manière. Donc, il n’y a pas de formule qu’on ait pu utiliser
quelque part et qu’on pourra répéter ailleurs. Chaque nouvelle
situation demande que l’on s’y adapte. Il y a parfois des
éléments de ressemblance, mais la question fondamentale est que
les situations sont toujours différentes les unes des autres, et
donc, on ne peut pas les comparer. Dans le cas spécifique du
conflit israélo-palestinien, la question la plus difficile c’est
que les rapports de force ne changent jamais. En Afghanistan,
par exemple, on voit par moments que les talibans deviennent de
plus en plus forts, même face aux forces américaines et celles
de l’Otan. Mais dans le cas des Palestiniens, cela ne se passe
pas de cette manière. La situation de conflit dans ce cas ne
coûte pas beaucoup aux Israéliens, et cela fait qu’ils ne se
sentent pas pressés de le résoudre.
— Y a-t-il un moyen de changer cet équilibre
de forces ?
— Il est vrai que la majorité des Israéliens
se sentent très à l’aise dans cette situation. Mais il y a quand
même une minorité d’Israéliens très inquiète et qui pense que la
paix est dans leur propre intérêt, surtout à long terme. Mais en
même temps, il faut renforcer le côté palestinien, et pour cela,
il faut qu’il y ait de l’unité dans les rangs palestiniens. De
plus, je dis toujours que les Arabes semblent, depuis longtemps,
avoir abandonné les Palestiniens. Il est temps qu’ils
raffermissent leur attitude vis-à-vis d’Israël.
— Vous étiez aussi l’émissaire du secrétaire
général de l’Onu en Afrique du Sud à la veille de la fin du
régime de ségrégation raciale et l’accession de la majorité
noire au pouvoir en 1994. Quelles sont les différences entre le
cas sud-africain et celui des Palestiniens dans les territoires
occupés ?
— En Afrique du Sud, il y avait une
résistance armée, mais il y avait aussi un soutien international
très important que l’on ne voit pas tellement dans le cas de la
Palestine. Le support que les pays africains apportaient alors à
l’ANC (Congrès national africain) était beaucoup plus fort et
important que celui que les pays arabes accordent aux
Palestiniens. L’ANC était à 100 % soutenu par la totalité des
pays de l’Afrique. Aussi dans le cas de l’Afrique du Sud, il n’y
avait pas de luttes internes comme on le voit aujourd’hui chez
les Palestiniens.
— L’une des raisons qui fait que l’Etat
hébreu refuse toute solution à son conflit avec les Palestiniens
est qu’il se sent invincible, étant donné sa détention de l’arme
nucléaire. Une situation qui crée des émules puisque l’Iran
semble, lui aussi, chercher la possession de l’arme atomique.
Que pensez-vous de l’effet de cette course à l’armement
nucléaire dans la région ?
— Je pense que cette région doit être
dépourvue de l’arme nucléaire. Il faudrait peut-être organiser
une conférence internationale où Israël et l’Iran
participeraient et accepteraient de dénucléariser la région. Si
cela ne se passe pas, l’Iran va essayer d’avoir l’arme nucléaire
et tout autre Etat arabe essayera de faire la même chose. Mais
de toute manière, s’agissant de la question du nucléaire, il y a
actuellement un mouvement qui est en faveur du désarmement
nucléaire. Il devra y avoir une conférence sur cette question à
la fin de cette année ou au début de l’année prochaine. Il y a
un très grand intérêt autour de cette question et une pression
palpable aux Etats-Unis pour le désarmement nucléaire.
— Et comment ce courant en faveur d’une
dénucléarisation va-t-il se répercuter sur les pays qui ont déjà
l’arme nucléaire, comme Israël, l’Inde ou le Pakistan ?
— Il ne s’agit pas de faire une révolution,
mais c’est quand même significatif que, pour la première fois,
il y a eu une résolution internationale de l’Agence
Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) qui demande à
Israël, par exemple, de se soumettre au contrôle de l’AIEA.
— Pensez-vous que l’Iran cherche à se doter
de l’arme nucléaire et que son programme civil cache d’autres
intentions plus belliqueuses ?
— Les Iraniens disent qu’ils ne sont pas
intéressés à la bombe. Ce qu’ils font est certainement légal,
tout à fait autorisé par l’AIEA. S’ils cachent quelque chose ou
s’ils ont des intentions pour plus tard, on n’en sait rien. Mais
pour le moment, ce qu’ils font est légal.
— Où en est-on de la réforme tant attendue
des Nations-Unies ?
— Le mouvement de réforme des Nations-Unies,
c’est comme un cheval de mer. Quelque chose dont on parle tout
le temps. Cela a commencé avec l’ancien secrétaire général
Boutros Boutros-Ghali, continué avec Kofi Annan et se poursuit
maintenant avec Ban ki-Moon. Dans cette question, il y a deux
choses. D’abord, il y a l’aspect facile qui intéresse même les
grandes puissances : la réforme administrative. Il s’agit par
exemple de la diminution du personnel et des dépenses. On nous
disait à un moment qu’il ne fallait pas, par exemple, imprimer
sur le papier. Si on souhaitait le faire, il fallait sortit à
l’extérieur. C’est ce que j’appelle les réformes pour amuser la
galerie.
Mais il y a les réformes fondamentales, qui
concernent notamment le Conseil de sécurité. Tout le monde est
maintenant d’accord que celui-ci a été dépassé par les
événements. Il a été constitué en 1945, après la deuxième guerre
mondiale. Le monde a changé depuis, pas le Conseil de sécurité.
Jusqu’à présent, les efforts pour élargir le Conseil de sécurité
ont été un échec. Il est vrai qu’ils continuent encore, mais je
n’ai pas l’impression qu’on soit proche d’une solution ou d’un
changement. Le Conseil de sécurité ne reflète plus du tout la
réalité du monde d’aujourd’hui qui possède de nouvelles
dimensions, avec l’émergence de nouveaux pôles régionaux.
Etant donné cette incapacité à réformer le
Conseil de sécurité, l’on parle de plus en plus aujourd’hui de
créer de nouveaux organismes, comme celui du G20 dans le domaine
économique. Mais cela ne va pas remplacer le manque existant au
Conseil de sécurité, car les questions de paix et de sécurité ne
peuvent pas être données au G20.
— Pourquoi ?
— Parce que la charte des Nations-Unies dit
que c’est au Conseil de sécurité de traiter ces questions. Pour
charger le G20 des questions de la paix et de sécurité, il faut
changer la charte. Et les cinq pays permanents, qui ont une
position clef, et en particulier le droit de veto, ne vont pas
accepter la réforme de la charte. Ce qu’on est en train
d’essayer de faire c’est changer la charte pour que la
composition du Conseil de sécurité soit modifiée, mais on
n’arrive pas à se mettre d’accord sur cela. Et il sera encore
plus difficile de se mettre d’accord sur la création d’un
organisme qui dépossédera le Conseil de sécurité actuel de ses
prérogatives. Là, il y a deux problèmes. Le premier c’est le P5,
les cinq pays permanents qui sont très contents et très heureux
de cette situation et ne veulent pas qu’elle change. Mais il y a
malheureusement aussi le désaccord entre les pays du Sud. Les
pays de l’Amérique latine ne sont pas d’accord pour que le
Brésil les représente, les pays africains ne sont pas d’accord
pour que l’Afrique du Sud ou le Nigeria les représente. Pour les
pays asiatiques, il y a des pays qui s’opposent à la candidature
de l’Inde. Même en Europe, il y a des divergences terribles.
L’Italie a combattu ouvertement pour que l’Allemagne ne devienne
pas membre permanent du Conseil de sécurité. Il y a aussi des
gens qui disent que l’Union européenne a déjà deux pays membres
du Conseil de sécurité et qu’il ne faut pas en rajouter un
troisième, etc.
— Le monde arabe devrait-il avoir un siège
permanent au Conseil de sécurité de l’Onu ?
— Je pense que le monde arabe est trop
affaibli pour pouvoir prétendre à un siège permanent au Conseil
de sécurité de l’Onu. La coopération entre les pays arabes est
tellement faible que l’on parle beaucoup plus aujourd’hui d’une
représentation islamique, pas d’une représentation arabe. Alors,
nous avons l’Iran qui a annoncé publiquement qu’il voulait un
siège au Conseil de sécurité. Et il y a aussi l’Indonésie, ils
n’ont rien dit, mais il y a des gens qui disent que l’Indonésie
est le pays musulman le plus peuplé du monde. On parle donc
d’une représentation de ce pays. Je regrette de dire que, pour
le moment, on ne parle pas beaucoup d’une représentation arabe.
Propos recueillis par Randa
Achmawi
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 4 novembre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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