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Interview
Interview
de Khaled Meshaal
par Rainer
Rupp Khaled
Michaal
Propos recueillis par Rainer
Rupp * on Informationclearinghouse.info,
18 décembre 2006
Khaled Meshall est le dirigeant
politique [en exil en Syrie, ndt] du mouvement palestinien Hamas,
qui est parvenu au pouvoir voici quelques mois grâce à une large
majorité acquise lors d'élections libres et démocratiques en
Palestine. En été 2006, le ministre israélien de la Justice,
Haim Ramon, a confirmé publiquement l'ordre donné en personne
d'assassiner Khaled Meshaal.
En 1997, dans la capitale jordanienne, Amman, Meshaal a survécu,
pourrait-on dire par miracle, à une tentative d'assassinat des
services secrets israéliens, le Mossad. Actuellement, ce
dirigeant du Hamas vit en exil à Damas, entouré d'une sécurité
renforcée. Khaled, qui est médecin, est marié et a sept enfants
(trois filles et quatre garçons). Il a été interviewé par
Rainer Rupp [RR], un journaliste allemand du quotidien
« junge Welt » publié à Berlin et diffusé dans toute
l'Allemagne.
RR : M. Khaled Meshaal, en votre qualité d'homme politique éminent
du Hamas, vous figurez sur la liste des personnes à assassiner
des services israéliens. Comment êtes-vous devenu membre de la résistance
islamique
contre l'occupation israélienne ?
KM : De fait, je suis un des fondateurs du mouvement Hamas ; à
l'intérieur de ce mouvement, la personnalité la plus éminente
était feu le Sheikh Ahmad Yassine. Quand le Hamas fut fondé, en
1987, j'avais trente et un ans. J' étais parmi ceux qui avaient
mis sur pied des branches du mouvement en Palestine et en-dehors
de la Palestine. Mais l'idée même du Hamas avait commencé à
germer dès le début des années 1970. Le dialogue interne et les
délibérations se poursuivirent durant plus de dix ans, aux fins
de créer un mouvement dirigé contre l'occupation israélienne.
Mais le projet même du mouvement m'occupait déjà le cour et
l'esprit à l'époque où j'étudiais encore à l'Université du
Koweït. A l'âge de vingt-et-un ans, j'ai représenté le
mouvement islamique au sein de l'Union Générale des Etudiants
palestiniens de cette université.
RR : Depuis des années et des années, il est suggéré, dans les
médias occidentaux, que les services israéliens auraient joué
un rôle déterminant dans la création du Hamas. Je suppose que
vous avez eu vent de cette
histoire ?
KM : Malheureusement, ce bobard est véhiculé par des Arabes, des
Arabes palestiniens. C'est une tentative de porter atteinte à
l'image de notre mouvement. Pour nous, cette accusation est
tellement ridicule que nous ne nous donnons même pas la peine de
la démentir. C'est tellement illogique ! Comment Israël irait-il
créer une organisation qui se consacre à la lutte contre lui ;
comment cela peut-il être ?
RR : L'idée serait que les Israéliens auraient aidé à créer
le Hamas afin de diviser la résistance palestinienne et
d'affaiblir le Fatah. ?
KM : De fait, durant les années 1970, la principale force qui
combattait contre Israël était le mouvement Fatah. Par conséquent,
Israël concentrait sa répression militaire contre le Fatah et
contre d'autres groupes, moins nombreux, de la résistance
palestinienne, qui existaient alors. A l'époque, toutefois, le
Hamas n'avait pas encore été réellement créé. Nous ne
commencions qu'à peine à bâtir notre base sociale au sein de la
société palestinienne, en nous focalisant totalement sur les
questions sociales, en organisant une aide sociale, en
construisant des hôpitaux et des écoles, en nous occupant des
malades et des nécessiteux. A l'époque, nous étions engagés
exclusivement dans des actions pacifiques. C'est la raison pour
laquelle Israël ne faisait alors rien contre nous.
En effet, à l'époque, les Israéliens ne savaient pas ce qui
nous traversait l'esprit. Mais alors même que nous nous
concentrions apparemment uniquement sur l'action sociale, en même
temps, nous nous entraînions déjà, dans le plus grand secret,
et nous préparions nos futurs projets de résistance. Les Israéliens,
ne voyant pas ce danger, concentrèrent leur action répressive
contre d'autres formations palestiniennes, et pas contre nous. Et
c'est cette inaction des Israéliens envers nous que certains éléments
arabes palestiniens hostiles au Hamas avancent comme « preuve »
d'un soutien fantasmé d'Israël à la création du Hamas.
RR : Récemment, les relations du Hamas avec le Fatah se sont
considérablement tendues. Y a-t-il toujours une possibilité de
former un gouvernement d'union nationale ?
KM : Il existe une atmosphère positive, entre les mouvements
Hamas et Fatah, au sujet de la formation d'un tel gouvernement
d'union. Depuis un mois, nous avons donné notre accord de
principe sur la formation d'un tel gouvernement.
Toutefois, dernièrement, des obstacles ont commencé à apparaître.
Le premier de ces obstacles, c'est le fait qu'il y ait eu des
efforts en vue de la formation d'un « gouvernement de
technocrates », et non pas en direction de la formation d'un
gouvernement d'union nationale - c'est la manière dont ils
veulent écarter le Hamas du gouvernement. Quand au deuxième
obstacle, c' est l'insuffisance persistante des garanties que le
blocus contre nous sera effectivement levé.
RR : Des garanties ? Des garanties. de l'Occident ?
KM : Oui, des Etats-Unis. Nous avons conclu un accord aux termes
duquel, une fois que nous aurons formé un gouvernement d'union
nationale, le siège contre nous sera levé. Le Hamas est très sérieux,
sur ce point. Nous voulons mettre un terme aux souffrances du
peuple palestinien. Mais, étant donné que notre mouvement a
obtenu la majorité des votes et donc qu'il détient la plupart
des sièges au parlement palestinien, nous avons également le
droit de disposer d'une influence prépondérante au sein du
gouvernement. Le principal dilemme, aujourd'hui, tient au fait
qu'il y a certaines forces qui nous dénient ce droit.
RR : Une des questions principales est l'ainsi dite reconnaissance
du « droit d'Israël à l'existence ». Le Hamas est-il prêt à
modifier sa position sur cette question ? En particulier depuis
que l'Occident a fait clairement
savoir que c'était là une condition sine qua non de la levée du
blocus à l' encontre d'un gouvernement palestinien à direction
Hamas. ?
KM : Je pense que le monde occidental doit avoir compris,
aujourd'hui, que le Hamas ne reconnaîtra jamais Israël. Comment
pourrais-je reconnaître celui qui occupe mon pays ? Il est
illogique d'exiger du Hamas qu'il reconnaisse Israël. C'est moi,
la victime. L'homme qui n'est pas libre, c'est moi. Celui qui vit
dans la diaspora, loin de son pays, c'est encore moi. Israël a
obtenu une sorte de pays, qui a été imposé comme « fait
accompli » par les Nations unies. Nous, nous n'avons pas de pays.
Plus de la moitié des Palestiniens vivent dans l'exil, pour la
majorité d'entre eux dans des camps, et ils ne peuvent rentrer
chez eux. A cause d'Israël, ils ne peuvent rentrer chez eux, et
nous devrions reconnaître Israël ? Mais qui est dans son tort :
c'est nous, ou bien c'est Israël ?
RR : Mais la théorie des deux Etats, dont les Américains font la
promo, envisage un Etat palestinien à côté d'un Etat israélien
:est-là, également, quelque chose d'absolument inacceptable pour
le Hamas ?
KM : Non. Non. Permettez-moi de vous dire que le Hamas n'établira
un Etat palestinien qu'à l'intérieur des frontières de 1967,
qui incluent Jérusalem Ouest [je pense qu'il s'agit de Jérusalem
Est ! ndt] et la Cisjordanie. Jusqu'à présent, Israël ne nous
reconnaît pas ce droit. Tous les Palestiniens l'exigent. Mais
Israël persiste à violer les droits des Palestiniens, et
l'Occident ne veut pas contraindre Israël à reconnaître les
droits des Palestiniens.
Même quand le président Bush a évoqué un Etat palestinien, le
moins qu'on puisse en dire, c'est que cet Etat était loin d'être
défini avec une extrême précision. Et Ariel Sharon, ainsi, plus
récemment, qu'Ehud Olmert, ont exprimé beaucoup de réserves au
sujet de la proposition de Bush. Ils rejettent l'idée d'un Etat
israélien à l'intérieur des frontières de 1967. Ils veulent un
Etat d'Israël incluant des parties de la Cisjordanie. En réalité,
le président Bush a même donné son accord à la proposition
formulée par Sharon, selon laquelle Israël conserverait la
totalité de Jérusalem. Et il a exprimé son accord avec Sharon
à propos du choix du dirigeant
palestinien idoine, prêt à accepter toutes ces concessions
exorbitantes.
RR : Ai-je bien compris ; vous avez dit que vous seriez prêts à
négocier avec Israël et à l'accepter à l'intérieur de ses
frontières de 1967, c' est-à-dire avant qu'il entreprenne ses
guerres d'agression et qu'il ne vole les territoires palestiniens
[sic ! ndt] ? K.M.
KM : Exactement. Maintenant, c'est clair.
RR : En Occident, le Hamas est généralement présenté comme étant
absolument opposé à toute discussion avec Israël. Son unique
volonté serait de jeter les juifs israéliens à la mer. ?
KM : Cela n'est pas la réalité. Tuer des juifs, ce n'est pas
notre but. Depuis des siècles, en Palestine, nous vivons
pacifiquement avec des juifs et avec des chrétiens de nombreuses
obédiences. Si nous luttons contre
Israël, c'est parce que cet Etat occupe notre terre et opprime
notre peuple.
Nous combattons Israël afin de mettre un terme à cette
occupation. Nous voulons vivre libres sur notre terre, exactement
comme les autre peuples. Mais le mouvement sioniste est venu, du
monde entier, occuper notre terre. Et le véritable propriétaire
de ces terres a été chassé de chez lui. C'est ça, la racine du
problème. En raison de multiples facteurs, nous acceptons
aujourd'hui d'édifier un Etat palestinien à l'intérieur des
frontières de 1967. Mais cela ne signifie nullement que nous
reconnaissions Israël. Mais nous sommes prêts à conclure une trêve
sur le long terme avec lui. En acceptant le statut d'Israël, sans
pour autant le reconnaître.
RR : Donc : pas de reconnaissance ? Cela ne signifie-t-il pas
poursuite des tensions, et finalement, guerre ?
KM : Non. Il y a beaucoup d'exemples, dans le monde, dans lesquels
la non-reconnaissance ne constitue absolument pas un facteur de
guerre. Par exemple, la Chine et Taiwan ne se sont pas reconnus
mutuellement, mais elles font du commerce entre eux et coopèrent.
En écartant toute reconnaissance formelle, nous ne voulons tout
simplement pas accorder à Israël la légitimité, étant donné
que c'est lui qui, pour commencer, nous a pris nos terres.
RR : Nous ne révélons pas un secret en disant que depuis de
nombreuses années, sous les gouvernement Fatah, les services de sécurité
palestiniens ont été formés et équipés par les Américains,
et nommément par la CIA. N'est-il pas, par conséquent,
raisonnable de supposer que beaucoup de gens, au sein du mouvement
du président palestinien Mahmoud Abbas, sont en train de
travailler en secret pour les Américains et les Israéliens, dont
certains, très vraisemblablement, à des postes éminents ?
Jusqu'à quel point pourriez-vous faire confiance au Fatah, dès
lors que vous seriez amenés à bâtir un gouvernement d'unité
nationale ensemble ?
KL : Nous connaissons bien ce problème, nous et d'ailleurs tous
les Palestiniens. Mais tous les gens qui travaillent pour le Fatah
ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Il y a, au sein du
Fatah, une énorme
motivation pour la « nationalité ». Ce sont nos partenaires
dans la résistance. Mais il y a les autres, ceux dont vous avez
parlé. C'est un fait. Nous connaissons très bien ce problème,
et nous le traitons. De plus, une relation n'est pas toujours, nécessairement,
basée sur la confiance.
RR : Pensez-vous que ce problème est, lui aussi, à la base des
difficultés que vous avez, en ce moment précis, avec le Fatah,
en ce qui concerne la formation d'un gouvernement d'union
nationale ?
KM : Oui, c'est le cas. C'est un des problèmes. Malheureusement,
il y a bien les facteurs que vous dites, et aussi des pressions au
service d'agendas politiques étrangers, qui influencent négativement
l'arène politique
palestinienne. Mais les forces patriotiques sont celles qui vont
l'emporter. Le peuple palestinien a confirmé cela, lors des dernières
élections [parfaitement] démocratiques.
RR : Le Hamas est-il un mouvement de fanatiques religieux, comme
on le dit en Occident ? Un mouvement avec lequel personne ne
puisse composer ?
Pourtant, le Hamas a été admis et même invité à Moscou par le
gouvernement russe, et ici [en Syrie], vous êtes les hôtes d'un
gouvernement laïc. Tout ceci n'est-il que déguisement ? Quel est
le véritable Hamas ?
MK : Eh bien, laissez-moi vous donner un exemple : nous avons, par
exemple, de bonnes relations avec des chrétiens.
RR : Travaillez-vous vraiment avec les chrétiens, en Palestine ?
KM : Mais oui. Avec certains d'entre eux. Cette image de fanatisme
religieux, qu'on nous colle sur le dos, a été fabriquée par
Israël et l' administration américaine. C'est une image
fallacieuse, qui ne reflète pas la réalité. Vous savez que
l'administration américaine s'arroge le droit de catégoriser et
de classifier les gens de la manière qui lui convient. Mais
comment des pays d'Europe respectables, comme la Grande-Bretagne,
l'Allemagne ou la France, peuvent-ils se laisser influencer par
cette grossière propagande ? Ne devraient-ils pas rechercher la vérité
par eux-mêmes ? Ne devraient-ils pas se forger une opinion sur la
base de la
raison, et non pas en fonction de rumeurs et de 'on-dit' ?...
Mais comment l'Occident devrait-il découvrir la vérité au sujet
de la Palestine et du Hamas ? Tout d'abord, les journalistes
occidentaux devraient venir ici, afin de rencontrer les gens et de
voir les choses de leurs
propres yeux. Allez en Palestine, et voyez de quelle manière les
gens y survivent. Ecoutez ce que les gens ont à vous dire.
Entendez les responsables du Hamas et des autres mouvements
palestiniens. Vous devez
découvrir la vérité grâce à des contacts directs, et non pas
par l' intermédiaire de tiers. Et si vous voulez en savoir plus
sur le Hamas, alors allez rencontrer des gens du Hamas. Nous
sommes prêts au dialogue.
Si vous recherchez les raisons pour lesquelles le Hamas a remporté
les élections, sachez que c'est parce que le peuple palestinien a
confiance en nous et aussi parce que le Hamas reflète les
sentiments et les aspirations
du peuple palestinien. Et si vous examinez le Hamas attentivement,
alors vous n'y découvrirez aucune forme de corruption, aussi
minime soit-elle. En revanche, vous constaterez que le Hamas est
très proche du peuple, et qu'il répond véritablement aux
besoins du peuple. Dès lors que les Palestiniens ont élu le
Hamas, la volonté populaire doit être respectée, y compris par
l' Occident.
RR : Mais quid des reproches de fanatisme religieux, formulés à
votre encontre ?
MK : C'est facile à réfuter. Si le Hamas était effectivement un
mouvement de fanatiques religieux, il n'aurait tout simplement pas
été élu par le peuple palestinien, parce qu'en Palestine, il y
a plusieurs partis et groupes
sociaux. Il y a notamment des chrétiens, qui travaillent avec
nous. Par exemple, un des députés de Gaza, élu sur la liste du
Hamas, est un médecin chrétien. Et la majorité des musulmans et
des chrétiens ont voté pour lui. En réalité, les idées du
Hamas sont des idées modérées. Nous pratiquons la tolérance
envers tout le monde. Et nous traitons les musulmans et les chrétiens
sur un pied d'égalité. Sur ce plan, nous travaillons avec tout
le monde, qu'il s'agisse de gens religieux, libéraux ou laïcs,
que ce soit à l' intérieur de la Palestine ou à l'extérieur.
Et nous avons des relations avec les pays du Moyen-Orient, mais
aussi avec l'Europe et avec l'Afrique. Le Hamas est un mouvement
ouvert. Nous ne combattons pas Israël parce que les Israéliens
sont des juifs, mais bien parce qu'ils occupent notre terre.
RR : L'Occident vous reproche de commettre, dans votre lutte
contre Israël, des actes terroristes ?
MK : Non, je n'accepte pas ce reproche. Il y a une énorme différence
entre le terrorisme et la résistance. Le terrorisme, nous sommes
contre. La Résistance, cela n'a rien à voir avec le terrorisme.
Ce qu'Israël est en
train de faire, c'est ça, le terrorisme. Quant à nous, nous résistons.
Tout simplement parce que nous ne faisons que réagir contre
l'agression israélienne et contre l'occupation de notre
territoire par les Israéliens.
La résistance, c'est notre droit légitime à l'autodéfense.
[* Cette interview de Khaled Meshaal a été réalisée en anglais
à la fin novembre 2006, à Damas, par Rainer Rupp, journaliste et
économiste allemand.
Elle a été publiée initialement le samedi 16 décembre par le
quotidien allemand «junge Welt », distribué dans toute
l'Allemagne. Voir l'article en ligne à l'adresse URL suivante :
http://www.jungewelt.de/2006/12-16/001.php
]
Traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la
diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour
tout usage non-commercial : elle est libre de toute reproduction,
à condition de respecter son intégrité et de mentionner auteurs
et sources.
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