Liban
“Le Liban vit un soulèvement populaire”
Entretien avec Marie Debs sur la
situation et
les propositions des communistes
libanais

Marie Debs dans une manifestation à
Beyrouth
Mardi 22 octobre 2019 Depuis une
semaine un mouvement populaire sans
précédent secouent le
Liban, par centaines de milliers, de
la capitale Beyrouth aux plus petites
villes, les travailleurs libanais sont
dans la rue. La création d’une taxe sur
les communications par message internet
a mis le feu au poudre. Marie Debs, une
des figures du
parti communiste libanais, dont elle
a été secrétaire générale adjointe, a
accepté de répondre aux questions
d’Initiative Communiste, en direct de
Beyrouth. Les communistes
français, par la voix du PRCF, apportent
évidemment leur total soutien aux
camarades et au peuple libanais en
lutte.
Initiative
Communiste : Le peuple a pris la rue au
Liban : pouvez vous décrire la situation
?
Marie Debs :
Pour la première fois depuis son
indépendance, en 1943, le Liban vit un
soulèvement populaire généralisé. Toutes
les grandes villes du pays, à commencer
par la capitale Beyrouth, mais aussi les
villages les plus éloignés sont en
ébullition depuis le 17 octobre.
Pour la première
fois, des centaines de milliers de
femmes et d’hommes, des jeunes
notamment, divisés jadis par un clivage
confessionnel, se retrouvent ensemble
scandant les mêmes slogans et demandant
la démission du gouvernement et le
départ du président de la République
ainsi que des 128 députés.
Initiative
Communiste : Quelles sont les
revendications populaires ? Quelles sont
les causes de la situation ?
Marie Debs :
Ce soulèvement constitue l’aboutissement
de milliers de mouvements, grèves,
manifestations et autres démonstrations,
qui se sont déroulés durant les trois
dernières années, à la suite de
l’élection du président Michel Aoun,
contre le chômage galopant,
l’augmentation de la dette publique, la
cherté de la vie, envenimée encore plus
par une augmentation outrancière des
impôts indirects et des taxes et une
corruption à tous les niveaux des
institutions publiques.

Chaque Libanais qui
nait aujourd’hui a, à son passif, une
dette de 24000 euros à payer et 28 % de
la population se trouvent en dessous du
seuil de la pauvreté, dont le tiers
d’entre eux n’a pas plus de 1 euro et 80
centimes par jour.
Les jeunes,
diplômés notamment, ne trouvent pas de
travail, et la concurrence des déplacés
syriens (un million et quelques deux
cent mille actuellement pour une
population libanaise de quatre millions
et demi), qui travaillent au noir et
sont par conséquent sous-payés, exacerbe
encore plus les problèmes.
A cela il faudra
ajouter les dernières mesures prises par
le gouvernement Hariri sous les diktats
des pays capitalistes et des
organisations financières
internationales qui se sont réunis, en
avril 2018, à Paris sous le nom de
« Cèdre 1 » et qui ont promis un prêt de
10 milliards d’euros, échelonné sur cinq
ans, contre ce qu’ils appellent
« l’assainissement du secteur public »,
la remise en question des salaires et
des retraites et la réduction du déficit
budgétaire, non seulement par le gel des
salaires, mais aussi à partir de
nouveaux impôts et, surtout, de
l’augmentation de la TVA. Par contre, on
ne toucha pas aux rémunérations des
députés et des ministres ; bien au
contraire, la loi du budget 2019
contenait des dépenses inutiles et
exorbitantes concernant les voyages, les
conseillers et les loyers…
Face à cette
situation, les syndicats ouvriers et
autres, les organisations de jeunes, les
associations de femmes… etc., n’avaient
d’autre solution que de prendre la rue.
Ils revendiquent le
départ du gouvernement, en premier lieu,
et la restitution par la classe au
pouvoir de quelques 200 milliards de
dollars volés au peuple et placés dans
les banques suisses et autres. Ils
demandent aussi des élections
anticipées.
Leur slogan préféré
est « Tous sont des voleurs » ;
ou, encore « Pain, liberté, unité
populaire ».
Initiative
Communiste : Pouvez-vous nous dire ce
que sont les principales analyses
et propositions des communistes libanais
et leur place dans cette mobilisation ?
Marie Debs :
Les Communistes libanais sont au cœur de
la lutte. Tant sur le plan des syndicats
ouvriers que sur le plan de leur
présence à la tête d’organisations de
jeunes (étudiants et autres), de femmes,
de locataires et dans certaines
municipalités, surtout dans les régions
les plus défavorisées.
Depuis plus d’un
an, nous avions appelé à la tenue d’une
assemblée réunissant plus de quarante
organisations et nous avions mis au
point un programme de lutte.
Partant du principe
que le régime libanais, basé sur le
clivage confessionnel et économiquement
sur la rente et les secteurs non
productifs, a fait son temps et qu’il
est de plus en plus pressant de sortir
le Liban de la crise institutionnelle et
économique dans laquelle il se débat, je
viens de présenter, pas plus tard que ce
matin du 21 octobre, qui marque le
cinquième jour du soulèvement, une
proposition appelant à la démission du
gouvernement et du parlement (élu suite
à une loi confessionnelle qui fausse la
représentation) et à la création d’une
Assemblée constituante dont la tâche
première sera de mettre la main sur les
richesses accumulées par les
représentants de l’oligarchie financière
et de ses alliés au pouvoir. La seconde
tâche consiste à réviser la
Constitution, de créer la Commission
pour la déconfessionnalisation des
institutions politiques et de mettre au
point deux projets de lois, la première
concernant les statuts personnels civils
et la seconde les élections
législatives. A cela doit s’ajouter une
révision totale des politiques
économiques et sociales.
Il faut dire que la
lutte sera âpre et difficile, parce que
la classe dominante ne va pas se laisser
faire facilement. Un exemple : le
président du Conseil a présenté
aujourd’hui un programme de réformes
tenant compte des grands titres se
rapportant aux revendications majeures
des manifestants ; mais il est resté
dans le flou et, surtout, il a essayé de
nous faire avaler de nouvelles
privatisations, surtout dans le secteur
des télécommunications et de
l’électricité.
Beyrouth 21 octobre
2019.
Le sommaire de Marie Debs
Le
dossier Liban
Les dernières mises à jour

|