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L'entretien de L'Humanité

Sarkozy n'a pas une conception d'ensemble du rôle de la France
Pascal Boniface

Vendredi 6 avril 2012

Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), qui vient de publier le Monde selon Sarkozy, déplore que la France soit vue de l’extérieur comme un pays aligné au camp occidental. Elle n’a rien gagné à son retour dans l’Otan. Il souligne les lourdes conséquences de l’aventure militaire en Libye. La France doit renouer avec sa tradition universaliste.

La France de Sarkozy a-t-elle gagné en influence sur la scène mondiale ?

Pascal Boniface. Non, et d’abord pour deux raisons, l’une liée à l’évolution générale du monde. Pendant la guerre froide, la France occupait un créneau particulier. C’était un pays occidental, mais indépendant. Elle pouvait discuter avec l’Union soviétique sans être liée au monde communiste. Elle jouissait d’une situation exceptionnelle qui lui permettait de peser davantage que son poids réel. Le paradoxe, c’est que tous les présidents de la Ve République ont appelé au dépassement du monde bipolaire, mais la fin du monde bipolaire a réduit le rôle de la France car elle a perdu alors sa place spécifique. Le deuxième facteur, c’est que nous assistons à la fin du monopole occidental de la puissance. Comme pays occidental, la France voit son rôle diminuer. Ces évolutions stratégiques majeures s’imposent à tout président. Mais l’erreur qu’a commise Nicolas Sarkozy est d’avoir arrimé trop strictement la France au camp occidental.

La volonté politique a été déterminante. À l’époque de la guerre froide, le choix de l’atlantisme aurait pu l’emporter…

Pascal Boniface. Il y avait deux attitudes possibles : se rallier à la locomotive américaine ou travailler à faire bouger les lignes, mais pour cela il fallait être indépendant. C’est la ligne qu’a adoptée de Gaulle, qui fut poursuivie sous Mitterrand et même plus tard, après la guerre froide, par Chirac, quand celui-ci a refusé la guerre contre l’Irak en 2003. Ce fait est important car il montre que cette ligne gaullo-mitterrandiste n’était pas uniquement liée au contexte de la guerre froide mais pouvait lui survivre. Rappelons-nous le prestige qu’a apporté à la France son opposition à la guerre de George Bush. Quel est l’ADN stratégique de la France ? C’est d’être la voix de ceux qui n’en ont pas, de représenter ceux qui n’ont pas droit au chapitre. La France est forte quand elle représente un intérêt général plus important qu’elle-même, quand elle s’oublie en se dépassant dans l’autre. De la Révolution française à de Gaulle et à Mitterrand, chaque fois qu’elle a porté les aspirations de ceux qui ont du mal à peser sur le cours des choses, la France a toujours eu une influence supérieure à son poids réel. Si nous perdons cela, nous ne pesons plus grand-chose.

Sarkozy n’a-t-il pas marqué une rupture avec cette idée de la France ? N’est-ce pas là la portée symbolique du retour dans le giron militaire de l’Otan ?

Pascal Boniface. Dans la configuration géopolitique actuelle, la France ne peut peser que si son intérêt national est en phase avec ceux des autres nations, des autres peuples. C’était le génie de De Gaulle que d’avoir compris cela. Cette stratégie internationale, le Parti communiste la soutenait alors qu’il s’opposait à la politique intérieure de De Gaulle. À l’inverse, le PS, à l’époque, condamnait la politique extérieure de De Gaulle mais Mitterrand l’a poursuivie quand il est arrivé au pouvoir.

Sur l’arme nucléaire, le « rapport Kanapa » (1), qui marque l’approbation par le PCF de la dissuasion nucléaire, est antérieur au ralliement du PS. Le Parti communiste y voyait un instrument d’autonomie. La situation a changé aujourd’hui, mais à l’époque, la force nucléaire nous donnait des marges de manœuvre vis-à-vis de l’Union soviétique, et surtout vis-à-vis des États-Unis. Mitterrand critique la décision de De Gaulle de quitter le commandement intégré de l’Otan. Mais, sur ce point aussi, il suivra cette ligne d’autonomie.Il sera le premier président qui réclamera que les Palestiniens aient un État. En arrivant au pouvoir, Sarkozy veut opérer une rupture, mais ce n’est pas si facile. La France participait déjà à plusieurs comités militaires, elle était déjà en grande partie réintégrée dans l’Otan sans le dire. La principale question est : est-ce que l’Otan doit devenir l’alliance universelle occidentale, ce que Mitterrand qualifiait, en 1990, de « Sainte-Alliance » ? Devons-nous résoudre tous les défis politiques par des moyens militaires ? Est-ce que le rôle de l’Otan, c’est de s’inventer des missions qui nous font courir de graves dangers car nous apparaissons comme le bras armé du monde blanc contre tous les autres ? Pourquoi sommes-nous toujours en Afghanistan après avoir augmenté nos effectifs ? Parce que Nicolas Sarkozy a voulu plaire aux Américains. Nous mettons en danger la vie de nos soldats et nous ne remettons pas en cause les missions de l’Otan. Malgré la montée en puissance des dépenses militaires russes et chinoises, l’Otan représente 70 % des dépenses militaires mondiales.

La France a-t-elle gagné quelque chose à revenir dans le giron de l’Otan en 2009 ?

Pascal Boniface. Non, la France n’a rien gagné. 
Au début, on nous a dit que la France entrait dans l’Otan en échange de l’européanisation de l’alliance. L’entrée était conditionnée à l’obtention d’un gain en ce domaine. Ensuite, on a changé de discours : « Puisque nous sommes dans l’Otan, nous allons obtenir une plus grande européanisation de l’alliance militaire. » Le problème, c’est le regard que porte le monde sur la France. Nous avons donné le sentiment d’un alignement. Nous étions vus comme un pays indépendant des États-Unis. Nous avons perdu cet atout.

Vous distinguez deux courants en matière de politique extérieure : les gaullo-mitterrandistes et les occidentalistes. À quelle école rattachez-vous Nicolas Sarkozy ?

Pascal Boniface. Quand Nicolas Sarkozy était candidat, il s’est franchement rapproché de l’école occidentaliste. En même temps, il est pragmatique et reconnaît que le monde est multipolaire. Il est dans une grande contradiction. Il a deux ministres différents : Claude Guéant et Alain Juppé. Juppé se situe dans la ligne gaullo-mitterrandiste. Le discours de Guéant est une caricature de l’occidentalisme. Juppé reconnaît le caractère positif des révolutions arabes. Une semaine plus tard, Guéant se rend à Vintimille pour dire que 20 000 réfugiés tunisiens représentent un danger pour l’Europe et pour la France. Il y a un écart terrible, une vision du monde et de la France tellement opposée, antagonique, entre Guéant et Juppé qui, logiquement, ne devraient pas appartenir à la même formation politique.

Qu’est-ce qui fait courir Nicolas Sarkozy ? Une conception, une vision du rôle de la France ? Ne sont-ce pas plutôt la recherche de coups qui lui assurent des succès médiatiques, une mise en scène de son propre personnage ?

Pascal Boniface. Je crains que oui. Il agit comme un avocat. Il prend un dossier, va le défendre brillamment avec beaucoup d’énergie mais n’établit pas de lien entre le dossier qu’il plaide aujourd’hui, celui qu’il plaidera demain ou celui qu’il a plaidé hier. Il n’a pas une conception d’ensemble du rôle de la France dans le monde. On l’a vu avec la Libye. Heureusement qu’Alain Juppé a obtenu une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, car guidé par Bernard-Henri Lévy, Nicolas Sarkozy voulait que la France parte seule sans mandat du Conseil de sécurité. La dernière fois que nous avons fait cela, c’était dans l’affaire du canal de Suez, en 1956, et ce fut une catastrophe politique et stratégique majeure pour la France. Les bombardements en Libye ont duré sept mois, imaginez que cela ait pu se faire sans mandat international, cela aurait été un nouveau Suez. Sarkozy s’est lancé dans cette guerre pour faire un coup. Que voit-on maintenant ? Certes Kadhafi a été renversé, mais quels sont les dégâts de cette guerre ? Une cassure avec l’Europe, car nous avons reconnu seuls le CNT (Conseil national de transition) de façon unilatérale, sans avertir l’Europe. La responsabilité de protéger les civils, élaborée par Kofi Annan, est morte parce que nous l’avons détournée vers une action militaire pour un changement de régime. C’était pourtant un concept juridiquement novateur qui permettait de sortir du débat entre ingérence et indifférence. Maintenant, les pays arabes sont réticents. Si rien ne bouge en Syrie, c’est la conséquence de la Libye ; le coup d’État et le chaos au Mali, c’est une conséquence de l’affaire libyenne. Médecins sans frontières a quitté la Libye parce qu’on y pratique la torture, nous avons mis en place des gens qui ne respectent pas la démocratie, sans oublier le risque d’explosion de la Libye avec la volonté d’indépendance de la Cyrénaïque. Sans parler des événements au Mali qui en sont la conséquence indirecte. La guerre en Libye était très présentable médiatiquement mais le coût diplomatique peut être lourd. Sarkozy a réussi en Côte d’Ivoire. On a empêché le redémarrage d’une guerre civile qui aurait plongé l’Afrique de l’Ouest dans une dangereuse tourmente. Sarkozy en parle moins, il préfère évoquer la Libye.

La nomination de Kouchner au Quai d’Orsay, au début du quinquennat, signe-t-elle cette orientation occidentale et médiatique ?

Pascal Boniface. Au départ, Sarkozy hésitait entre Bernard Kouchner et Hubert Védrine. Les deux sont aux antipodes l’un de l’autre. Kouchner accepte le poste sans conditions. Devenu ministre, il a abandonné tous les principes qui étaient les siens lorsqu’il était dans les ONG et dans l’opposition. Védrine a refusé le poste pour ne pas abandonner ses principes. La nomination de Kouchner a été un coup médiatique. Il était populaire, incarnait l’action humanitaire. Il théorisera ensuite son propre échec et son absence de poids dans la détermination de la politique extérieure de la France.

La France a-t-elle renoncé à faire entendre sa voix pour la reprise du processus de paix au Proche-Orient ?

Pascal Boniface. Sarkozy s’est affiché comme étant très proche d’Israël, mais contrairement aux idées reçues, les hommes qui ont enclenché la rupture avec la diplomatie traditionnelle et active de la France furent Chirac et Villepin. Villepin est arrivé à détacher l’appréciation de la relation bilatérale franco-israélienne de l’action pour la reprise du processus de paix au Proche-Orient. Il était d’autant plus aisé à Nicolas Sarkozy de rebondir sur cette politique. Contrairement à Chirac, qui avait parfois des mots durs à l’encontre des autorités israéliennes sans que cela ne changeât rien à sa politique concrète, Sarkozy multiplie les déclarations d’amitié à Israël, au Crif, mais il critique l’absence de résultats au Proche-Orient. Mais il n’en tire aucune conséquence concrète vis-à-vis du gouvernement israélien.

Le discours de Dakar, en 2007, a laissé des traces d’autant plus terribles qu’il a été suivi de mesures vexatoires à l’égard des Africains. N’est-ce pas l’un des aspects les plus graves de la dégradation de l’image de la France ?

Pascal Boniface. Le discours de Dakar a laissé des traces terribles car il a été jugé insultant par les Africains. Dire que l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire apparaît comme une marque de mépris. Il y avait dans ce discours d’autres points plus positifs, mais on a retenu la phrase la plus choquante. Il est grave que pour un Malien ou un Sénégalais, il soit plus facile de se rendre aux États-Unis qu’en France. C’est pourtant la réalité. Pour des raisons de politique intérieure, d’affichage, nous perdons ce qui est notre essence et notre capacité de rayonnement. La circulaire Guéant sur les étudiants étrangers a été un instrument de dévalorisation de la France. À long terme, dans un monde globalisé, nous avons besoin de rayonner, d’être acceptés par le reste du monde. C’est la tradition française, et si nous donnons l’impression de la renier, d’être repliés sur nous-mêmes, de refuser l’autre, nous aurons moins de moyens de rayonner dans le monde et d’exister.

Qu’attendez-vous fondamentalement d’une politique extérieure nouvelle et d’un nouveau président ?

Pascal Boniface. Le prochain président devra faire en sorte que la France soit la France, comprenne qu’un pays ne peut être fort que s’il a une tradition universaliste. Je ne suis pas un inconditionnel de la France. Je suis patriote, mais si la France fait la guerre en Algérie, je ne suis pas fier de la France, quand elle fait le discours de Cancun ou de Phnom Penh, j’en suis fier. La France ne peut être elle-même que si elle représente une dimension plus large qu’elle-même. Qu’elle arrête de tenir des discours de stigmatisation et renoue avec sa tradition universaliste.

(1) Du nom de l’ancien dirigeant communiste, Jean Kanapa.

Une contribution au débat

Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et enseignant à l’institut d’études européennes de l’université Paris-VIII, vient de publier le Monde selon Sarkozy (1). Cet ouvrage fait figure d’exception dans le foisonnement éditorial qui accompagne la campagne de l’élection présidentielle, en traitant de la politique étrangère de la France au cours des cinq années qui viennent de s’écouler. Les questions internationales ne sont pas le principal critère du choix des électeurs, elles sont reléguées à la seconde place, derrière les préoccupations de politique intérieure. Cependant, la place de la France et son action dans l’arène mondiale à l’époque de la globalisation capitaliste en crise sont des enjeux d’autant plus importants que le président sortant a voulu se dégager d’une certaine idée de la France qui a marqué notre diplomatie depuis de Gaulle et qui fut à peu près fidèlement poursuivie par ses successeurs jusqu’en 2007.

(1) Le Monde selon Sarkozy, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur. 284 pages 18,90 euros.

Entretien réalisé par Jean-Paul Piérot

© Journal L'Humanité
Publié le 8 avril 2012 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité

 

 

   

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Source : L'Humanité
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