Interview
Entretien exclusif
avec Gilad Atzmon
Propos
recueillis à Londres par E&R

Samedi 11 mai 2013
E&R : Votre dernier album, Songs
of the Metropolis, sonne comme une
critique du multiculturalisme.
Néanmoins, vous êtes souvent considéré
comme un symbole de celui-ci. Comment
vivez-vous ce qui pourrait être
considéré par certains comme une
contradiction ?
Gilad Atzmon :
Je suis entièrement d’accord. Je suis
salué comme l’emblème victorieux du
multiculturalisme, cependant, depuis mes
premiers jours en tant qu’artiste, je
critique le multiculturalisme, que je
considère comme une tentative d’aplanir
les différences, créant une image
fictive et fantasmatique de l’égalité.
Je crois plutôt que les différences
doivent être célébrées. C’est la
variété, l’inaccessibilité et
l’étrangeté qui transforme le paysage
humain en un événement réjouissant. Au
lieu de réagir aux différentes formes
d’autocensure du politiquement correct,
nous ferions mieux d’approfondir la
vraie signification d’être dans le
monde, de la pensée éthique et de la
vraie tolérance, tout en célébrant les
différences.
E&R : Quand vous
avez décidé de quitter Israël pour de
bon, en tant qu’artiste de jazz, je
suppose que les premières destinations
de votre choix étaient probablement New
York, Londres ou même Paris. Que ce qui
vous a fait choisir Londres ?
Gilad Atzmon :
À cette époque, j’avais en fait décidé
de mettre la musique de côté, j’étais
déterminé à consacrer un peu de bon
temps à lire de la philosophie. J’ai dû
choisir entre Chicago, Londres et
Berlin. Chicago était venteux, Berlin
était trop excitant et Londres au début
des années 1990 ressemblait à un village
étendu en décomposition. C’était calme
et convivial. C’était un choix très
satisfaisant.
E&R : Comment
gérez-vous dans votre vie quotidienne
d’être l’un des plus fervents
adversaires du pouvoir juif ?
Rencontrez-vous beaucoup de problèmes ?
Gilad Atzmon :
Bien sûr, je suis harcelé
quotidiennement par les opérateurs
tribaux, principalement des juifs
antisionistes (des sionistes
antisionistes). Mais j’ai appris à aimer
cette situation, le fait qu’ils me
pourchassent 24h/24 prouve seulement que
j’ai touché le point sensible. En fait,
je suis probablement la seule personne
qui touche la politique identitaire
juive d’une telle manière depuis Bernard
Lazare. Je comprends leur désespoir,
j’ai construit une méthode antiraciste
pour confronter la suprématie juive
laïque et le racisme progressiste juif
en particulier.
E&R : Que
pensez-vous de la liberté d’expression
au sein de la société britannique ?
Gilad Atzmon :
Je suis assez troublé par ce que je
vois. Mais la récente relecture du roman
de George Orwell, 1984, m’a aidé
à comprendre que c’est en fait la
soi-disant gauche qui est,
malheureusement, responsable de la
grande détérioration de nos plus
précieuses libertés. Cela s’explique
assez facilement – le progressisme est,
en général, une forme d’élection laïque,
c’est vertueux, et pourtant, cela
implique aussi que quelqu’un d’autre
doit être « réactionnaire ». Le
progressisme est fondamentalement un
discours suprémaciste, et la suprématie
est toujours intolérante.
E&R : Vous
opposez-vous au nationalisme juif
seulement parce qu’il est célébré au
détriment des Palestiniens ou bien parce
que vous vous opposez à toute forme de
nationalisme ?
Gilad Atzmon :
Pas du tout, je soutiens, par exemple,
le nationalisme palestinien et j’affirme
également que le nationalisme et le
patriotisme sont des beaux sentiments
inspirés par un véritable sens
d’appartenance et de fierté, mais, comme
vous le dites, je m’oppose au
nationalisme, une fois que celui-ci est
célébré au détriment de quelqu’un
d’autre.
E&R :
Considérez-vous le terme « nationalisme
juif » comme un oxymore ?
Gilad Atzmon :
Bien au contraire. Certains vont même
jusqu’à affirmer que le judaïsme est une
religion nationaliste. Cependant, le
nationalisme juif est en effet
particulier pour de nombreuses raisons
liées à la nature exilique du judaïsme
et de l’idéologie juive (judéité). Comme
Lénine l’a suggéré en critiquant le Bund
[1],
c’est une idéologie nationale qui n’a
pas de contexte territorial clair. Le
sionisme a tenté de résoudre ce
problème, mais l’attachement des
israéliens à leurs terres est également
très problématique. Ils détestent les
indigènes et ils détruisent la beauté de
« leur » terre avec des murs de
séparation gigantesques. Je crois que
les vrais nationalistes prennent en
réalité soin de leur terre et du
paysage.
E&R : Il y a
quelques mois, vous êtes allé à
Beyrouth,. Pourriez-vous nous en dire
plus sur ce voyage ?
Gilad Atzmon :
C’était mon premier retour au Liban
après trente ans. J’y ai vu le plus beau
pays et j’ai rencontré des gens
magnifiques. C’était l’endroit le plus
proche de mon lieu de naissance que j’ai
visité depuis dix-huit ans et cela fut
très émouvant. Mais j’ai aussi vu les
conditions dans les camps (de réfugiés
palestiniens) et cela m’a laissé
littéralement en larmes. L’état dans les
camps est une crise humanitaire totale,
de gens qui vivent depuis des décennies
sans aucun espoir ni aucune perspective
d’avenir.
E&R : Lors d’un
récent entretien accordé à Press TV,
vous racontiez à la journaliste vos
préoccupations concernant le financement
de certaines ONG palestiniennes.
Avez-vous plus d’informations à ce sujet
ou êtes-vous encore en train d’enquêter
?
Gilad Atzmon :
Je suis à présent prêt à dévoiler, mais
d’une certaine façon je retarde
l’échéance parce que je réalise les
conséquences possibles – cela conduirait
à un effondrement imminent du discours
de solidarité avec les Palestiniens tel
que nous le connaissons. Je suis
préoccupé par cela et je ne suis pas sûr
que ce soit mon rôle d’être le
dénonciateur éternel. Cependant, mes
conclusions ont des répercussions qui
vont au-delà même de la Palestine. Je
saisis maintenant la matrice qui
facilite la sionification de notre
univers. Nous sommes confrontés à une
matrice d’opposition de contrôle
sophistiqué qui limite les frontières de
la parole et de la critique.
E&R : Récemment,
en France, Dieudonné a été condamné à
une amende de 20 000 euros pour avoir
écrit une chanson sur le business de
l’Holocauste, et en même temps, un
caricaturiste antisioniste a perdu son
emploi après que des groupes l’ont
dénoncé à ses employeurs en faisant
pression sur eux. Que pensez-vous de
cette situation ?
Gilad Atzmon :
Il est clair que les institutions
politiques juives ne permettent à
personne d’interférer avec leur récit
historique. Cela signifie seulement
qu’elles n’ont pas appris la leçon
nécessaire de leur histoire. Et ce n’est
rien de moins qu’une tragédie.
E&R : Une bonne
partie de votre écriture est dirigée
contre les AZZ (sioniste antisioniste),
la gauche juive (que vous considérez
comme un oxymore), mais aussi les
sionistes. Cependant, il y a une
organisation dont vous parlez peu, la
LDJ. Peut-être aussi parce que cette
organisation n’est pas aussi active ici
au Royaume-Uni ?
Gilad Atzmon :
Oui, j’en ai entendu parler mais je ne
suis pas assez familier avec leur
fonctionnement pour commenter.
Cependant, le sionisme a conduit à un
sentiment d’émancipation juive, je
suppose que la LDJ n’en est qu’un
symptôme.
E&R : Que
pensez-vous du récent documentaire
The Gatekeepers ? Est-ce simplement
de la hasbara (propagande), ou
bien une tentative sincère de faire
amende honorable pour le comportement
d’Israël ?
Gilad Atzmon :
J’ai lu à ce sujet, mais je n’ai pas
encore vu le documentaire. Je n’ai pas
encore trouvé le temps, je suis en
tournée déjà depuis quatre mois. Mais
oui, je suppose que c’est une tentative
d’hasbara [2]
servant avant tout à véhiculer une image
d’autocritique… De façon pourtant
embarrassante, la fausse réflexion
sioniste est toujours en avance sur les
juifs antisionistes qui, eux, effectuent
zéro réflexion sur tous les fronts
possibles, intellectuel, spirituel,
politique ou idéologique.
E&R : Cette
interview est pour le site d’Égalité
et Réconciliation, une association
présidée par Alain Soral. Le
connaissez-vous bien ?
Gilad Atzmon :
Je ne connais pas Alain Soral assez
bien, je l’ai rencontré une fois
brièvement, mais bien qu’il y avait une
barrière linguistique entre nous, il
était clair pour moi qu’il possède de
solides connaissances ainsi qu’une forte
intelligence. Je ne suis pas assez
familier avec ses idées pour commenter,
mais je crois à l’échange. J’autorise
toutes les personnes et tous les partis
à publier mes pensées. Je crois en mes
idées au moins au moment où je les
prononce. En ce qui me concerne, les
notions de gauche et de droite n’ont
plus aucune signification. Je crois que
nous vivons dans une ère post-politique
et je me définis certainement comme un
penseur post-politique. En tant que
philosophe, je suis évidemment un
essentialiste, je cherche le caractère
intrinsèque des choses. Je suis
intéressé par la redéfinition de la
question plutôt que par la production de
la réponse. Je suis intéressé par les
idées qui façonnent et contribuent à la
réflexion éthique. Il s’agit du seul
principe que je suis. Si Alain Soral
aime mes idées, alors il peut les faire
siennes.
E&R : Vous avez
déclaré que vous n’aviez pas de respect
pour les médias traditionnels. Quelle
est votre opinion sur l’Internet ?
Gilad Atzmon :
Pour l’instant, l’Internet c’est la
libération. Mais je ne suis pas si sûr
que ça le restera pour toujours.
E&R :
Partagez-vous les inquiétudes de
certaines personnes qui affirment que
beaucoup de gens se satisfont de
l’obtention d’informations « dissidentes
» sur l’Internet, les partages sur
Facebook ou d’autres réseaux sociaux, en
pensant que cela suffit pour amener un
changement, et ne font finalement pas
grand-chose dans leur quotidien ?
Gilad Atzmon :
En réalité, je pense que le fait que les
gens échangent et pensent librement est
un grand pas en avant. Je crois que ce
changement spirituel et intellectuel est
la voie à suivre. Les manifestations où
les gens crient le même slogan m’ont
toujours paru comme une forme de
masturbation collective. Et comme nous
pouvons le constater, cela n’a jamais
conduit nulle part, elles affaiblissent
seulement la résistance...
E&R : Quelle va
être la prochaine étape de Gilad Atzmon
? Je suppose plus de musique, mais aussi
un autre livre, un documentaire ?
Gilad Atzmon :
Je pense que maintenant j’ai résolu les
questions les plus cruciales qui ont à
voir avec le pouvoir juif, ses liens
étroits avec l’école de pensée
progressiste et l’impuissance tragique
de la gauche. J’ai tout dans mon esprit,
je suis prêt à y aller, je ne peux
simplement pas me décider sur le bon
moyen d’explorer ces pensées, mais je
prendrai ma décision d’ici quelques
jours…
Notes
[1]
Union générale des travailleurs juifs de
Lituanie, de Pologne et de Russie, un
mouvement socialiste destiné à
représenter la minorité juive de ces
régions de l’empire tsariste.
[2]
Terme utilisé par Israël et les groupes
pro-israéliens pour désigner des
opérations de communication qui
cherchent à défendre le point de vue et
la politique de l’État d’Israël auprès
de l’opinion publique internationale.
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"Quel Juif errant ?" de Gilad Atzmon
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