Sous le slogan «L'occupation nous tue tous»,
une manifestation pacifiste a rassemblé 10.000
personnes samedi 9 février 2002 à Tel-Aviv.
Manifestation organisée à l'appel des
organisations suivantes : Association of Arab University Students -
Baladna - BANKI - Bat Shalom - Coalition of Women for a Just Peace -
Druse Initiative Committee - Du Siach - Gush Shalom - HaCampus Lo
Shotek, Tel-Aviv University - Hadash Youth - Israeli Committtee
Against House Demolitions - Kol Aher BaGalil - Kvisa Sh'hora:
Lesbians and Gay Men Against the Occupation - Left Forum, Haifa
University - MachsomWatch - Meretz Youth - Monitoring Committee of
the Arab Population in Israel - NELED - Neve Shalom/Wahat al-Salaam
- New Profile - Noga - TANDI - Ta'ayush: Arab-Jewish Partnership -
Tajamu Youth - WILPF - Women and Mothers for Peace (formerly Four
Mothers) - Women in Black - Yesh Gvul
La manifestation était réussie, et la place était
pleine de monde.
Au cours des négociations avec la police de
Tel-Aviv, nous avions demandé une autorisation pour 5.000
personnes. Il y a à peu près un an, une manifestation à laquelle
avaient appelé plus ou moins les mêmes associations pacifistes et
de défense des droits humains n'avait rassemblé que quelques
centaines de personnes. Mais nous savions que quelque chose a changé
aujourd'hui, et nous avions à l'esprit l'afflux quotidien de
messages de soutien et de dons financiers qui nous parviennent de
partout dans le pays et dans le monde. Dès lors, nous nous disions:
s'il y a des «milliers» de participants, nous pourrons parler de
succès. Sans la participation de La Paix Maintenant, nous n'aurions
pas oser espérer les dix mille participants que la manifestation a
finalement rassemblés.
Nous avions raison de penser que le moment était
venu. Le peuple israélien n'a pas complètement oublié le fait
qu'au cours du cessez-le-feu de décembre, que les Palestiniens ont
respecté pendant plus de trois semaines, on n'a eu virtuellement
aucun incident à déplorer du côté israélien. Et une partie de
l'opinion publique a même réalisé que ce cessez-le-feu avait été
brutalement rompu par Sharon, par une série de provocations délibérées
et d'assassinats, avec lesquels a débuté un nouveau cycle de
carnages qui se poursuit aujourd'hui. Nous sommes bien loin de
l'atmosphère d'«unité nationale» qui ne laissait aucune place à
l'expression d'opinions contraires. Le débat à propos des crimes
de guerre est devenu à la mode (ce à quoi nous avons quelque peu
contribué). Les opinions critiques sont devenues fréquentes dans
les médias, y compris de la part d'hommes politiques pas spécialement
connus pour leur courage ou leur radicalisme. Surtout, il y a eu le
succès spectaculaire de la pétition signée par les soldats et
officiers de réserve refusant de participer à l'occupation - dont
le nombre s'est amplifié: de 56 au départ, ils sont à présent
plus de deux cents (et ce nombre s'accroît chaque jour) -, et dont
la démarche a trouvé dans l'opinion publique israélienne une
audience et une sympathie bien plus large que ce que quiconque
aurait osé espérer vis-à-vis d'une désobéissance flagrante aux
ordres de leurs supérieurs, de la part de soldats et d'officiers,
dans une société traditionnellement militariste. (Le sondage publié
le 8 février dans le Yediot Aharonot ne donnait pas moins
de 26% d'opinions favorables au refus des officiers de servir dans
les Territoires; le quotidien notait que, même au moment où le
mouvement d'opposition à la guerre était au plus haut, dans les
années 60 et au début des années 70, un tel pourcentage n'avait
jamais été atteint parmi les Américains soutenant les soldats qui
refusaient de servir au Viêt-nam).
Sans nul doute, ce sont les réfractaires qui ont été
au centre de la manifestation. C'est devenu une évidence lorsque
des milliers de personnes ont commencé d'affluer vers la Place du
Musée. Parmi le mélange haut en couleurs des drapeaux imprimés ou
faits main, des insignes et des banderoles en hébreu, en arabe et
en anglais, beaucoup exprimaient leur soutien chaleureux aux réfractaires.
Et des acclamations prolongées accompagnaient les orateurs
lorsqu'ils mentionnaient les réfractaires, et elles redoublaient
encore lorsqu'un réfractaire montait sur le podium improvisé sur
les marches de la Bibliothèque publique de Tel-Aviv. Trois d'entre
eux étaient au nombre des douze orateurs qui se sont succédé:
Yishai Rosen-Tzvi, à peine libéré d'une peine d'emprisonnement;
Yishai Menuchin, un objecteur vétéran qui a déjà fait de la
prison il y a vingt ans pendant la guerre du Liban; et Noa Levy, qui
fait partie de ce groupe de lycéens déterminés à suivre les
traces des deux premiers dès qu'ils auront atteint l'âge de la
conscription.
Ceux qui, parmi nous, ont poursuivi le combat depuis
un an et demi, qui ont plus d'une fois atteint le fond du désespoir
au cours de ces rassemblements solitaires de quelques dizaines de
personnes, si manifestement inadaptés en regard de ce contre quoi
ils protestaient, se sont sentis plutôt fous de joie. Une foule
nombreuse et variée - des gays et des lesbiennes affichés de la
Tel-Aviv cosmopolite, au coude à coude avec des villageois
originaires de communautés arabes conservatrices; le moment de
silence lorsque des centaines de drapeaux noirs se sont levés en
signe de deuil; et, sauf à ce moment précis, les chants
continuels, s'élevant parfois jusqu'à couvrir la voix de l'orateur
«Fuad, Fuad Sar Habitachon - Kama Yeladim Haragta Ad Hayom?»
(Fuad Ministre de la Défense, combien d'enfants as-tu tués
aujourd'hui?); les sifflets et les huées qui saluaient chaque
mention du Ministre des Affaires étrangères Shimon Peres, qui fut
en son temps la coqueluche des colombes; la voix du célèbre
chanteur Ahinoam Nini entonnant les paroles de John Lennon «Tu
peux me traiter de rêveur, mais je ne suis pas le seul»; Uri
Avnery tonnant «Autrefois nous disions que des crimes de guerre
étaient perpétrés pendant l'occupation - maintenant nous voyons
que l'occupation EST un crime de guerre»; Shulamit Aloni récitant
le poème de Nathan Alterman dénonçant le meurtre de civils par
l'armée en 1948 - un classique de la poésie contemporaine en hébreu
- et ajoutant «Si Alterman avait écrit cela aujourd'hui, le
chef d'état-major Mofaz l'aurait poursuivi comme agitateur
gauchiste»; le message de Yasser Arafat, envoyé depuis
Ramallah assiégée: «Seule la paix des braves assurera à nos
enfants et aux vôtres un futur sans violence ni bains de sang»;
le commentaire de l'écrivain Sami Michael: «Nous devons tous
nous libérer de l'occupation, les Palestiniens de l'occupation par
l'armée, et nous de l'occupation par l'ange de la mort»; Abed
Anabtawi, du Comité de Surveillance Arabe: «L'occupation ne
fait pas la distinction entre le sang juif et le sang arabe; nous
sommes tous ses victimes, nous devons tous la combattre - ensemble!»;
l'écrivain Ronit Matalon: «Le train de Sharon nous conduit
tout droit vers la guerre totale et la destruction totale. Nous
devons le faire dérailler - et la pétition des réfractaires est
un bon départ»; Jamal Zahalka: «Un spectre hante la
direction politique et militaire de ce pays - le spectre du refus
d'obéir des soldats, un spectre qui refuse d'être exorcisé de
quelque manière qu'ils s'y prennent»; Yehuda Shenhav: «L'occupation
est financée par nos impôts. Les chars, les hélicoptères de
combat, les bulldozers, les crimes de guerre, tout cela est financé
par nos impôts. Cet argent doit aller ailleurs - aux pauvres, aux
handicapés, à la création d'une société juste!»; les
acclamations et applaudissements qui ponctuaient chaque
intervention, tout particulièrement lorsque quelqu'un émettait un
propos audacieux ou militant.
Aucun des intervenants n'avait été officiellement
désigné comme orateur principal. Celui qui s'est le plus rapproché
de cette définition fut Yishai Rosen-Tzvi - non pas du fait de
talents oratoires supérieurs, mais en raison de l'expérience forte
qu'il avait encore clairement à l'esprit. «Je tiens à vous
dire comment des gens en sont venus à cet acte de refus. Au cours
de l'année écoulée, alors que j'étais en prison, j'ai rencontré
beaucoup de gens qui étaient vraiment sur le point de basculer, des
gens qui - plus que toute autre chose - se sentaient terriblement
floués.
Un soldat qui se rend dans les Territoires est
confronté à une situation terrible, des milliers et des milliers
de gens sombrant dans une misère profonde, dans la pauvreté, dans
l'humiliation.
Et alors, vous recevez des ordres, et vous découvrez
ce qu'est votre mission. Votre mission, c'est de pousser ces gens
encore plus profondément dans la misère, et la pauvreté, et
l'humiliation, de les garder enfermés dans les villes et les
villages, de ne pas les laisser sortir, de les empêcher de gagner
leur vie, de ne pas leur permettre de vivre une vie normale.
Et alors, deux choses se passent. D'abord, vous
regardez autour de vous, incrédule, vous vous prenez la tête dans
les mains, et vous vous demandez: Dieu, est-ce possible, est-ce
vraiment cela que je suis supposé faire, comment en suis-je arrivé
là, à recevoir des ordres pareils, à ce qu'on exige de moi des
choses pareilles? Et la seconde chose qui se passe, c'est que vous
vous mettez à hurler 'J'ai été trompé!'. Tous les arguments de
la propagande s'effondrent - que nous sommes un peuple qui aspire à
la paix, que la guerre nous a été imposée, que ce que nous
faisons, c'est pour combattre le terrorisme. Tout s'effondre, tous
ces arguments spécieux s'écroulent comme un château de cartes. Et
vous vous retrouvez confronté à la réalité, la cruelle réalité.
Combattre le terrorisme - quelle blague! Ce que fait notre armée,
c'est de cultiver en serre chaude la misère, la pauvreté et le désespoir,
une serre où les graines du terrorisme trouvent les conditions idéales
de leur croissance. La politique du gouvernement, c'est de faire en
sorte que cette serre du terrorisme soit fonctionnelle et
florissante.
Et la conclusion est très simple. Il y a des
choses qu'une personne convenable ne peut tout simplement pas faire.
Une personne convenable n'affame pas les gens, et n'humilie pas les
gens, et ne traite pas les gens comme s'ils étaient de la boue. Une
personne convenable NE FAIT PAS ÇA, TOUT SIMPLEMENT. En aucune
circonstance. Et il y a plus de gens convenables dans ce pays que
nous ne le pensons. Et chaque jour, de plus en plus de gens découvrent
qu'ils sont des personnes convenables, et commencent à se conduire
comme doivent le faire des personnes convenables. Et quand ils
seront devenus assez nombreux, l'occupation prendra fin, tout
simplement.»
Compte-rendu rédigé
par l'association Gush Shalom
Traduit par Giorgio
Basile
Reproduction
interdite © Solidarité-Palestine
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