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Un an de majorité démocrate au
Congrès : un an de dissimulation et de réaction politique
Patrick Martin
Le Sénat américain - Crédit Photo : TF1/LCI
21 décembre 2007
Mercredi
soir s´est achevée la première année du Congrès (Chambre des
représentants et Sénat) contrôlé par les démocrates. Une année
marquée par une capitulation générale devant la politique de
l'administration Bush. Sur les principales questions, celles où
les électeurs qui ont donné aux démocrates la majorité au
Congrès en novembre 2006, attendaient un changement (la guerre en
Irak, la détérioration du niveau de vie de la population
laborieuse, la protection sociale, les attaques croissantes sur
les droits démocratiques), ceux-ci ont montré qu'ils étaient
pour l'administration Bush.des collaborateurs et non des
adversaires.
Le
dernier acte important de cette session parlementaire fut le vote
d´un budget et d´une législation fiscale qui montrent le
gouffre qui sépare les classes dans la société américaine et
soulignent le rôle joué tant par démocrates que par les républicains
dans la défense des intérêts de l'aristocratie financière.
Cette
loi de finance à hauteur de 555 milliard de dollars couvre le
budget de 11 des 12 départements fédéraux jusqu'à la fin de
l'année fiscale, le 30 septembre prochain. Le Sénat a approuvé
la loi mardi par 76 voix contre 17. Une forte majorité parmi les
démocrates a rejoint les républicains dans le soutien d´une législation
qui respecte à la lettre les indications données par la Maison
Blanche.
Financement
de la guerre en Irak
Le Sénat
a voté par 70 voix contre 25 en faveur d'un supplément budgétaire
de 40 milliards de dollars au financement d'ensemble de la guerre
en Irak sur la base d'un amendement introduit par le président de
l´Armed Service Committee, le démocrate Carl Levin du Michigan.
Le Sénat a rejeté par 71 voix contre 24 un amendement destiné
à fixer une date pour le retrait des troupes américaines d'Irak.
Cet amendement a obtenu cinq voix de moins qu´en mai dernier où
il avait déjà été soumis au vote du Sénat.
La loi régissant
le financement de la guerre pendant les premiers mois de 2008 a été
approuvée par la Chambre des représentants par 272 voix contre
142. Presque tous les députés républicains ont voté en faveur
de cette loi, une majorité de démocrates votant contre afin de
maintenir l´apparence « antiguerre » de ce parti. Le
soutien à la loi de la part d'une forte minorité de députés démocrates
(78 en tout) a garanti son passage, ce que souhaitait la direction
démocrate.
Ce
vote représente la troisième débâcle au moins pour la
soi-disant opposition des démocrates à la guerre depuis que
l'actuel Congrès a pris ses fonctions. La Chambre et le Sénat
ont déjà passé une loi d'urgence pompant 150milliards de
dollars dans les guerres d'Irak et d'Afghanistan en mai dernier,
après que Bush ait répondu à des mois de protestations creuses
de leur part par une escalade régulière des opérations
militaires en Irak.
La loi
de finance est liée à une date en septembre prochain pour la présentation
d´un rapport devant le Congrès par de hauts responsables de l´armée
et de la politique extérieure sur l´escalade militaire. A la
suite du rapport présenté par le général David Petraeus et
l'ambassadeur Ryan Crocker, des sénateurs démocrates ont organisé
quelques « votes test » sur des amendements antiguerre
à propos du Defense Appropriation Bill, ont perdu chacun des
votes et ont finalement abandonné tout effort dans ce sens.
Attaque
des droits démocratiques
L´activité
des démocrates a été tout aussi négative dans ce domaine que
dans les autres questions politiques d'importance qui ont dominé
la session parlementaire cette année. Sur la question des droits
démocratiques la principale inquiétude des parlementaires démocrates
a été qu'on les taxe de « mollesse dans la question du
terrorisme » s’ils s’opposaient à ce que la
constitution américaine ne soit mise en lambeaux par
l'administration Bush.
Ils
n’ont rien fait pour révoquer le Patriot Act ou pour forcer
l'administration Bush à fermer le camp de concentration de Guantánamo
Bay. En aout dernier, le Congrès a approuvé la législation à
titre transitoire donnant à la National Security Agency et
d'autres organes de sécurité des pouvoirs très fortement accrus
pour ce qui est des écoutes téléphoniques et autres forme de
surveillance électronique à l'intérieur des Etats-Unis. Les démocrates
ont aussi promis de lancer en janvier la législation permettant
d'étendre ces pouvoirs indéfiniment.
Les démocrates
n'ont rien fait pour interdire l'usage de la torture par les
services de renseignements américains ou pour revenir sur les
lois ouvertement anticonstitutionnelles adoptées il y a un an et
éliminant le droit d'habeas corpus pour les prisonniers
retenus à Guantánamo et dans les prisons secrètes situées hors
des Etats Unis. La direction démocrate du Congrès a aussi
capitulé devant la campagne raciste anti immigrés lancée par
des stations de radios droitières, faisant obstacle à une législation
qui, tout en étant plein de mesures réactionnaires à caractère
répressif, aurait ouvert la voie à une légalisation du statut
de quelques-uns des millions de travailleurs sans papiers vivant
actuellement aux Etats-Unis.
Ils ne
se sont montrés agressifs que dans un cas : lorsqu´ils ont
voulu faire partir le ministre de la Justice Alberto Gonzales, qui
a chuté sur le scandale du licenciement de responsables
judicaires des Etats qui ne s´étaient pas joints à sa campagne
visant des responsables et des candidats démocrates. Mais une
fois que Gonzales eut démissionné, les parlementaires démocrates
ont loyalement confirmé Michael Mukasey pour lui succéder malgré
le refus de celui-ci de qualifier de torture le « waterboarding »
et de le déclarer illégal du point de vue du droit américain et
international.
La seule
« réalisation » législative dans le domaine des
libertés civiles a été une régression : le passage de la législation
permettant de mettre en œuvre certaines des recommandations
faites par la commission d'enquête sur les attentats du 11
septembre auxquelles s'était opposée l'administration Bush et
qui comprenaient des mesures de sécurité accrues dans les ports,
les aéroports et d'autres plaques tournantes dans les transport
et des moyens financiers accrus pour les polices locales.
Quand à
l'assertion des démocrates selon laquelle ils auraient défendu
les intérêts socio-économiques de la population travailleuse,
(leur fonds traditionnel de démagogie dans les années d'élections),
la seule « réalisation » du 110 e Congrès fut la
première hausse en dix ans du salaire minimum garanti. Le Congrès
n'a pas annulé le veto de Bush contre une extension du State
Children’s Health Insurance Program (Programme d´Etat pour l´assurance
maladie des enfants) ni son veto contre le financement de la
recherche sur les cellules souche.
Avec l' « Omnibus
Budget Bill » voté cette semaine, les démocrates tant au
Congrès qu´au Sénat ont abandonné tout effort pour augmenter
les dépenses publiques générales pour ce qui est des services
sociaux au delà de ce qui avait été proposé par la Maison
Blanche en février dernier. Pour se conformer à la dépense
maximale proposée par Bush, les démocrates ont soit renoncé à
augmenter les dépenses proposées soit réduit certains
programmes sociaux afin de payer pour l´ augmentation d'autres
programmes.
La débâcle
des démocrates a été tellement complète que le dirigeant de la
minorité du Congrès, John Boehner, un républicain de l’Ohio,
s’est vanté de ce que la loi de finance était meilleure que
tout ce qu’il avait vu pendant les dix sept ans qu’il avait
passé au Sénat, ce qui inclut les douze années où ce furent
les républicains et non pas les démocrates qui avaient la
majorité au Congrès.
Tout en
suivant à la lettre les recommandations de l’administration
Bush en matière budgétaire, le Congrès et le Sénat ont encore
voté 48 milliards de dollars supplémentaires de réductions
fiscales pour les ménages à hauts et moyens revenus affectés
par l´Alternative Minimum Tax (AMT) introduite en 1969 et destinée
à taxer les riches, mais non indexée sur l´inflation.
Une
proposition de financement de cette réduction d´impôt par
l’augmentation de la taxe sur les milliardaires des fonds d´investissements
a bien été votée à la Chambre des représentants mais elle a
été bloquée après une vigoureuse campagne de lobbying qui a
obtenu le soutien de figures démocrates telles que Max Baucus du
Montana, président du Finance Committee et de Charles Schumer de
New York, président des démocrates au Campaign Committee du Sénat.
Le Sénat
avait déjà bloqué une augmentation d´impôt pour les opérateurs
de fonds d´investissements, puis il avait rejeté mardi une
version différente de la loi AMT qui aurait permis de financer la
réduction fiscale en fermant les paradis fiscaux dont se servent
les fonds d’investissement. Et la Chambre des députés a voté
mercredi, à une majorité de 352 contre 64, une exemption d’impôt
pour vingt deux millions de familles qui seraient tombées sous la
loi AMT cette année, sans compenser d’aucune manière la perte
que cela représentait, augmentant par là le déficit fédéral
et la pression pour réduire plus encore les dépenses sociales l´année
prochaine.
Dans les
récentes années une loi de finances « omnibus » de
dernière minute était pour le Congrès devenue l’instrument
pour imposer des changements de politique contre l´opposition du
président. Cette année cependant, la direction démocrate du
Congrès a retiré chaque mesure à laquelle avait objecté la
Maison-Blanche. Ces mesures comprennent un arrêt de l´interdiction
d´aide américaine à des organisations comme Planned Parenthood,
qui soutiennent l´avortement en tant que mesure de planning
familial à l´étranger, une extension du Davis Bacon Act qui
requiert le paiement de salaires syndicaux pour les projets de
construction financés par l´Etat au niveau fédéral et un relâchement
de l’embargo commercial vis-à-vis de Cuba.
Il est
utile de comparer les actes du Congrès démocrate de 2007 à ceux
du Congrès républicain qui prit ses fonctions en 1995. Chacune
des majorités nouvellement élues faisait face à un président
de l’autre bord. Les républicains ont cependant cherché de façon
agressive une confrontation avec la Maison-Blanche de Clinton. Ils
votèrent un budget basé sur leurs propres priorités comprenant
des coupes majeures de l’assurance maladie et d´autres
programmes de protection sociale et puis, après une suite de
vetos de la part de Clinton qu´ils ne purent surmonter, ils
obtinrent temporairement l’incapacité du gouvernement fédéral
pour imposer leur cours. Lorsque Clinton obtint des gains
politiques à la suite de cette confrontation se faisant réélire
facilement en 1996, les républicains lancèrent une suite d´enquêtes
et autres attaques législatives qui trouvèrent leur apogée en décembre
1998 dans une procédure d´« impeachment » contre
Clinton.
Les démocrates
ont agi de façon diamétralement opposée. Nancy Pelosi annonçait
quelques jours seulement après la victoire démocrate en novembre
2006, qu´il n´y aurait pas d´effort pour déclencher à
l’encontre de Bush une procédure d’« impeachment »
pour sa guerre illégale contre l´Irak ou pour ses attaques de la
constitution aux Etats-Unis mêmes. Un « impeachment »
n´était pas à l´ordre du jour, avaient déclaré les
dirigeants démocrates.
Plus
significatif encore a été le fait que les démocrates ont renoncé
à utiliser le seul moyen constitutionnel d´imposer une fin
de la guerre en Irak, une interruption des moyens financiers votés
par le Congrès pour la guerre. Se servir du « pouvoir de la
bourse » n´exigeait pas de passer outre le veto présidentiel
ou bien surmonter une obstruction de la part du Sénat, les prétendus
obstacles institutionnels cités sans cesse par les démocrates
aujourd´hui pour excuser le fait qu’ils n’ont pas mis un
terme à la guerre.
Un Congrès
qui aurait effectivement résolu d’en finir avec la guerre
aurait permis aux lois de finances courantes d´expirer et ne les
aurait pas renouvelées. L´autorisation pour les dépenses en
faveur de la guerre aurait expiré le 30 septembre 2007, quelles
qu´aient été les actions entreprises par les républicains au
Congrès ou par la Maison-Blanche.
Le
leader de la majorité démocrate du Congrès, Steny Hoyer, a
d’emblée rejeté un tel cours, avant même que les députés démocrates
ne prennent leurs fonctions en janvier dernier. La présidente de
la Chambre des représentants, Nancy Pelosi et la direction
démocrate du Sénat toute entière l’avaient suivi,
entreprenant au lieu de cela une suite interminable de
protestations pour la forme qui n´a abouti à rien et qui ne
pouvait mener à rien obtenir, comme ils le savaient bien avant de
commencer. Il y eut plus de 50 votes sur des résolutions « antiguerre »
au Congrès et au Sénat cette année. Mais la Maison-Blanche a
tout simplement ignoré ces démonstrations d´impuissance, et
envoyé 35.000 soldats supplémentaires en Irak y entraînant une
énorme augmentation de la violence.
Après
ce dernier abandon des poses antiguerres des démocrates, le chef
du groupe démocrate au Sénat, Richard Durbin de l’Illinois, a
admis que même avec une majorité démocrate plus importante,
ceux-ci n’auraient pas empêché le financement de la guerre.
« Il y aura toujours des démocrates qui s’opposeront à
la guerre mais qui ne soutiendront pas un arrêt du financement de
la guerre » dit-il, décrivant sans le vouloir, le
comportement des démocrates sous une future administration
Clinton ou Obama.
Le Washington
Post a résumé son passage en revue au vitriol du 110e Congrès
par ce commentaire : « Les efforts pour changer la politique
iraquienne de Bush ont pris l’allure de la charge de Pickett à
Gettysburg ». La déroute a en effet été de cet ordre,
avec pourtant cette différence : les confédérés à Gettysburg
avaient effectivement eux, essayé de gagner. »
Les démocrates
ont obtenu une majorité au Congrès à cause de l’opposition
populaire à la guerre en Irak, mais ils n’ont jamais véritablement
partagé cette opposition. Le Parti démocrate, tout comme le
Parti républicain est un instrument de l’élite dominante américaine
et qui défend les intérêts de l’impérialisme américain
Bien
qu’il existe de fortes divisons au sein de l’élite dominante
quant à la politique étrangère de l’administration Bush, qui
est largement considérée comme incompétente et irresponsable,
celles-ci touchent à la tactique et à la méthode et non
pas aux questions de principe. Une future administration démocrate,
si elle prenait ses fonctions en janvier 2009, continuerait
l’occupation de l’Irak et les efforts destinés à établir
l’hégémonie américaine sur le Moyen-Orient y compris sur le
golfe persique et ses ressources pétrolières vitales.
(Article
original paru le 21 décembre 2007)
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Publié le 3 janvier 2008 avec l'aimable autorisation du WSWS
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