Dernier "spin" avant la victoire ?
François-Bernard Huyghe
Photo IRIS
2 novembre 2008
Comment un sénateur quasiment inconnu jusqu'en 2004 (jusqu'au
discours au congrès démocrate qui l'a rendu célèbre) est-il
arrivé à deux pas de devenir l'homme le plus puissant du monde ?
Comment a-t-il battu Hillary Clinton, lui à qui aucun
politologue n'accordait l'ombre d'une chance ? Comment a-t-il
réussi là où deux purs produits de l'élite politique, Gore et
Kelly, ont échoué ? Comment a-t-il renversé la prédominance
idéologique (pour ne pas dire la "révolution culturelle") que
les néo-conservateurs croyaient avoir définitivement imposée ?
Dans les jours qui viennent, on apportera des dizaines de
réponses à cette question. Elles se référeront dans des
proportions diverses à la crise économique, au retour du rêve
américain, au métissage et à la globalisation, à la
postmodernité, aux ruses de l'histoire, à des facteurs
sociologiques, culturels ou autres et la plupart comporteront
une part de vérité. Nous laisserons de plus savants examiner
les raisons "nobles" de cette victoire.
Mais il est deux facteurs beaucoup plus terre à terre, qui
auront contribué à faire d'Obama ce qu'il est : l'argent et la
technique (la seconde procurant en grande partie le premier).
Cette technique - appelons la influence ou marketing politique-
n'est pas le fruit d'un don inné (quel que soit le charisme ou
le talent de celui qui se définit lui-même comme "un grand type
au nom imprononçable"). Elle est pratiquée, enseignée et
commercialisée par des spécialistes. Leur métier est de produire
désir, attention et adhésion à la demande. Ils sont aux
propagandistes des années 20 ou aux communicants des années 70
ce qu'Internet est au journal et à la télévision.
Pour ceux qui veulent en juger, il suffit de regarder quelques
minutes sur les trente de la publicité à 5 millions de dollars
que s'est offert le candidat. Une demi-heure d'une "histoire
américaine". Le film a été fait par le même réalisateur que le
succès d'Al Gore, "Une vérité qui dérange" ; il fonctionne selon
une logique simple : d'abord celle du storytelling ;
cette technique consiste à remplacer le discours politique
programmatique par des cas exemplaires de gens sympathiques :
leur succès ou leur échec, leur vie à laquelle chacun peut
s'identifier, personnalisent des valeurs et démontrent par
l'exemple vécu ce dont les mots abstraits et les arguments ne
convaincraient peut-être pas). Le tout filmé avec une esthétique
léchée et très publicitaire. Et chaque fois, vient la réponse d'Obama,
qui repose moins sur la cohérence des solutions que sur la
volonté de se montrer "proches des gens" et de rappeler qu'il
incarne le changement et l'optimisme. Un pur produit de l'école
américaine, un chef-d'œuvre de la politique hollywoodienne.
Bien sûr, un stratège ne remporte que les coups qu'autorise la
configuration du moment et un rhéteur ne persuade que ceux qui
sont réceptifs. Reste pourtant qu'il faudra un jour calculer ce
que la victoire dObama, si elle se confirme mercredi, doit à
quelques fabricants d'opinion : les spin doctors. Deux
d'entre eux, aux noms faciles à retenir, David Axelrod (dit "la
hache") et David Plouffe (ça ne s'invente pas), ont plus que
personne contribué à donner l'impulsion, la pichenette, la
torsion, bref le "spin" qui change l'histoire.
Axelrod, 53 ans, fils d'un psychologue new-yorkais de gauche et
ami d'Obama depuis plus de dix ans n'a pas seulement un profil
de personnage de Woody Allen, ni pour seul atout d'être le Blanc
de la côte Est qui sait faire élire des représentants ou des
sénateurs noirs. C'est d'abord un professionnel reconnu : à un
moment où à un autre quatre autres candidats à la candidature
Hillary Clinton, John Edwards, Chris Dodd, et Tom Vilsack l'ont
consulté. On lui attribue le mérite d'avoir axé la campagne d'Obama
sur le thème du changement comme l'invention du slogan "Yes,
we can". Il semblerait surtout rechercher la "révélation"
du "vrai Moi" de son candidat, la façon de faire s'épanouir ses
qualités qui sont en accord avec les demandes de l'opinion. Il
l'aide à incarner plutôt qu'à produire un programme (assez flou
en l'occurrence). Axelrod est l'homme qui vend des
personnalités, pour ne pas dire des images de marques, plutôt
que des idées.
Quand éclate un "scandale" de dernière minute, la découverte
d'une tante d'Obama en situation irrégulière, c'est Axelrod qui
monte au créneau. Quand on se demande où faire porter l'effort
final on consulte "la hache".
Mais c'est aussi un féru de nouvelles technologies qui a bien
compris le rôle du Web pour collecter les fonds, pour susciter
des mouvements du "grassroot", de la base, c'est-à-dire
pour animer des réseaux, des blogs, du journalisme citoyen, et
tout ce qui donne l'impression soudaine qu'un irrésistible
mouvement de démocratie participative est né spontanément.
N'oublions pas que le métier du spin doctor ne consiste
pas (pas seulement) à faire écrire de beaux discours pour son
candidat, à trouver de magnifiques slogans et à lui apprendre à
sourire à la télévision. Un bon professionnel est un médiologue
(il sait choisir les vecteurs, les moyens d'expression, les
organisations qui transformeront le message du candidat en force
sociale), et c'est un stratégie (quelqu'un qui sait où faire
porter son effort, et qui sait aussi penser intendance et moyens
matériels). En l'occurrence, c'est un bon connaisseur du système
électoral qui devine là où le même effort de communication peut
faire basculer un État et apporter le plus grand nombre de
délégués. Et en ce domaine, son associé, David Plouffe a une
réputation inégalée. Il a un sens inné du bon "caucus".
Un spin doctor est un chef d'orchestre qui sait diriger
tous les instruments à sa disposition :
- les publicités télévisées (les "ads") qui coûtent des
millions de dollars au total sont les techniques auxquelles on
pense d'abord avec la préparation aux grands débats cathodiques.
- les campagnes négatives pour décrédibiliser l'équipe adverse,
y compris par des arguments ad hominem ou sous la
ceinture, font partie de la panoplie (lors d'un débat, les deux
candidats se sont suffisamment reproché la violence de leurs
attaques respectives et la tonalité négatives de leur campagne)
- Mais des techniques inspirées du télémarketing (si possible
avec des centres d'appels employant des salariés) ou du
marketing tout court (groupes tests sur lesquels on "essaie" les
thèmes de campagne en laboratoire) ne sont pas moins importantes
- La chasse aux stars et aux peoples qui soutiendront le
candidat, l'art de lancer des "buzz", sur Internet, et bien
d'autres techniques inspirées de la publicité commerciale ne
sont pas négligeables non plus.
Enfin, et surtout, le spin doctor est un homme d'affaire (qui,
comme Axelrod et bien d'autres, a aussi pour clientes des
entreprises pour qui il fait de la communication et du
lobbying). Il est bien payé (les salaires mensuels peuvent être
à cinq décimales) mais il rapporte. Il rapporte les fonds qui
permettent de tourner à l'énorme machine à convaincre.
Et, en ce domaine, Obama a gagné la bataille des dollars haut la
main. Contrairement à une règle historique qui voulait que les
Républicains fussent de bien meilleurs "fund raisers" (et que
leurs liens avec les milieux d'affaires leur permettent de
dépenser bien davantage en propagande), cette fois le "pauvre",
ce fut Mc Cain. et c'est lui qui hurle que l'argent pervertit la
démocratie.
Rappelons que la campagne 2008, la plus chère de tous les temps,
a coûté le double de celle de 2004 et le triple de celle de
2000. Selon le Center for Responsive Polittics, un organisme
indépendant, l'l'élection du président, vice-président, d'un
tiers du Sénat et de l'ensemble des représentants au Congrès
aura coûté 5, 3 milliards de dollars dont un peu moins de la
moitié pour la présidentielle.
Les derniers chiffres de la collecte de fonds réalisée par Obama
(et datant de quelques semaines) indiquaient qu'il avait dépensé
605 millions de dollars et certains situent sa supériorité
financière face à Mc Cain de la proportion de de quatre à un. Au
moment où nous écrivons, nous écrions combien le démocrate a
collecté en Octobre, dans la dernière ligne droite, mais, à
titre indicatif, en septembre, il avait reçu 105 millions de
dollars.
Bien entendu, il faudrait ajouter aux sommes que dépense
directement le candidat celles de ses soutiens indirects :
telles des associations qui, sans appeler explicitement à voter
Obama ou sans utiliser la célèbre mention "cette annonce a été
approuvée par le candidat" subventionnent des pages de journaux
ou des spots télévisés préconisant une politique en matière de
santé ou autre, qui, comme par hasard, est celle du candidat de
leur choix.
La chose est d'autant plus sensible qu'Obama après avoir annoncé
qu'il s'en tiendrait au système de financement public mis en
place après le scandale du Watergate et limitant -assez
modestement il est vrai - les dépenses d'un candidat, y a
renoncé, contrairement à Mc Cain.
D'où viennent de tels flots d'argent ? Les soutiens d'Obama
mettent en avant les millions de petits contributeurs anonymes
(il ne publie pas le noms des donateurs de moins de 200 dollars,
conformément à la loi), notamment grâce à Internet. Reste
pourtant que suivant le CRP, au moins la moitié de l'argent d'Obama
vient de grosses sociétés. Les Républicains (qui, il est vrai,
ne critiquaient pas le système quand il marchait en leur faveur)
pointent du doigt les 5 millions de dollars versés à Obama par
la banque d'investissements Goldman-Sachs. Les grosses
contributions, celles qui ne peuvent pas être anonymes montrent
que les milieux financiers nettement voté démocrate pour la
première fois.. Et il n'est pas si certain que les "petites
contributions" proviennent vraiment de particuliers et qu'il n'y
ait pas de "fausses moustaches" ajoutent les sceptiques.
Règne de l'argent ? Triomphe de la démocratie spectacle ?
Politique réduite à la promotion de personnalités séduisantes,
comme on vend le "brand" d'une grande marque ? Montée des
hommes de l'ombre, des spin doctors qui pourraient
devenir les Gepettos de leurs candidats Pinochio (un reproche
que l'on avait adressé à Carl Rove, le "baby genius" de
G.W. Bush) ?
Certes, les Républicains ne sont pas les mieux placés pour
s'indigner du poids des lobbys ou de l'influence de l'argent..
Dans la période d'allégresse planétaire qui va suivre la très
vraisemblable élection d'Obama, il n'est pas besoin d'être un
séide du bushisme le plus obscurantiste pour oser poser les
mêmes questions à propos du nouveau président.
François-Bernard Huyghe
Docteur d’État en Sciences Politiques
Habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Information
et Communication
Intervient comme formateur et consultant
Avertissement Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion
d'informations relatives aux événements du Moyen-Orient et de
l'Amérique latine.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions
de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité
de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine -
Solidarité ne saurait être
tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et
messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou
faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine -
Solidarité n'assume
aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces
sites. Pour contacter le webmaster, cliquez
< ici >