A l'occasion du congrès du droit à retour de Nazareth (16-18 décembre
2005)
Centre d'Information sur la Résistance en Palestine
Kafr Bir'im et Iqrit
Le cas de lutte le plus exemplaire et le plus long fut celui mené
par les villageois de Kfar Bir'im et Iqrit pour retourner à
leurs villages. Les habitants de ces deux villages, situés au
nord de la Galilée, ont été expulsés en novembre 1948. C'étaient
pourtant des villages considérés "amis", n'ayant pas
participé à la lutte contre l'armée sioniste. Le 6 novembre
1948, les villageois sont expulsés vers d'autres villages de
Galilée, dont Jish et Rama, pour "des raisons de sécurité",
dirent les responsables du nouvel Etat sioniste. Shitrit, le
ministre israélien des minorités, leur promit de retourner
dans deux semaines. Le 21 juin 1949, une délégation des
villageois rencontre Shirit qui leur demanda de patienter. Mais
rien ne se passa pendant les deux années suivantes.
Perdant confiance dans les autorités sionistes, les villageois
portent plainte devant la cour suprême le 30 août 1951 qui
ordonna au gouvernement de s'expliquer sur l'interdiction des
villageois à retourner chez eux. En réponse, l'armée décréta
le village de Kfar Bir'im "zone fermée" pour des
raisons de sécurité, selon la loi d'urgence. Le 4 août 1953,
le ministre israélien des finances confisque officiellement les
terres de Kfar Bir'im pour les "besoins du développement"
prétextant que les terres sont abandonnées et non cultivées.
Le 16 et 17 septembre 1953, l'armée détruit les maisons encore
debout à Kfar Bir'im. Les terres des deux villages furent
confisquées, déclarées "terres d'Etat", et remises
aux colonies agricoles et citadines juives.
Les villageois de Kfar Bir'im et de Iqrit n'ont pas été
autorisés à retourner car, selon les déclarations de Golda
Meir en 1972, leur permettre de retourner pouvait constituer un
précédent pour les autres villageois, déracinés de la même
manière. Une compensation monétaire fut apparemment proposée
aux villageois qui la refusèrent dans la grande majorité.
Quand ces derniers réalisèrent les mensonges des autorités
israéliennes, ils se mirent à protester de diverses manières
: manifestations, rassemblements, protestations auprès des
tribunaux. Parmi les causes qui contribuèrent à populariser
leurs luttes, N. Masalha (Catastrophe Remembered) évoque
quatre principales :
1 - la ténacité et la persévérance des villageois qui
n'ont jamais perdu l'espoir de retourner,
2 - la mobilisation des églises chrétiennes en Terre sainte
qui ont des relations internationales.
3 - La formation d'associations de base populaires pour mener
cette campagne spécifique pour le retour des villageois de Kfar
Bir'im et Iqrit
4 - L'attitude des israéliens sionistes libéraux qui ont
considéré que le cas de ces villages était spécifique, que
soutenir leurs revendications ne signifiait et ne devait pas
signifier l'autorisation à tous les villageois déplacés
internes, ni à tous les réfugiés, de retourner chez eux.
L'affaire de Kfar Bir'im et d'Iqrit souleva une longue
controverse, à l'intérieur d'Israël et en Occident, notamment
après la décision de Golda Meir de ne pas autoriser le retour.
Dans la presse sioniste aux Etats-Unis, les revendications des
villageois étaient même reprises et discutées. A la fin
de 1972, les zones fermées à l'intérieur de la Ligne verte
furent abolies (31 décembre 1972) mais le premier janvier 1973,
Moshe Dayan l'imposa de nouveau sur les villages de Kfar Bir'im
et Iqrit. Quelques mois plus tard, le premier avril 1973,
plusieurs milliers de Palestiniens et d'Israéliens
participaient à un meeting de solidarité avec les habitants de
ces deux villages.
Il faut attendre 1993 pour que l'affaire soit reposée au niveau
ministériel, avec la formation d'un comité sous la direction
de David Libai, ministre de la justice de l'Etat sioniste. Deux
ans plus tard, ce comité avance les propositions suivantes : -
le retour partiel, seulement 600 familles sont autorisées à
retourner, la terre restera sous le contrôle du ministère des
Finances, une petite partie des terres seront louées aux
villageois autorisés à retourner, les villageois doivent
mettre un terme à leurs revendications sur leurs maisons et
leurs terres, les villageois qui retourneraient ne doivent pas
"s'engager dans l'agriculture".
Le comité décréta que ces propositions sont un "geste de
générosité de la part du gouvernement israélien".
Les habitants de Kfar Bir'im et Iqrit rejetèrent les
propositions. En 1948, les habitants de Kfar Bir'im étaient
950, et ceux de Iqrit 500; Selon les statistiques britanniques
en 1945, les terres de Kfar Bir'im étaient évaluées à 12.244
dunums et celles de Iqrit à 711. A la date de ces propositions,
le nombre des habitants de ces deux villages s'était élevé à
plus de 8000 personnes.
Selon Kamal Ya'coub, du comité des Déracinés de Kfar Bir'im,
il y a trois problèmes avec ces propositions gouvernementales :
elles limitent le nombre des villageois pouvant retourner, les
terres demeurent sous le contrôle de l'Etat, les terres cultivées
par les villageois ne seront pas toutes rendues. Un autre
villageois demande : lequel de mes fils pourrais-je ramener à
Kfar Bir'im ? Que vais-je dire aux autres de mes six fils
?"
Quelques années plus tard, les propositions furent amendées :
les restrictions aux enfants furent levées, mais la question
des terres est restée sans modification.
La campagne populaire s'est poursuivie et l'affaire prit une décision
"définitive" avec le cabinet d'Ariel Sharon, en 2001,
lorsque ce dernier se prononça contre le retour des villageois
pour causes de sécurité et parce que "ce serait un précédent
pour les autres Palestiniens déplacés qui voudront demander
leur retour à leurs villages et leurs maisons".
l'Association Nationale pour la défense des droits des
Déplacés internes (ADRID)
C'est dans les années 90, avec les conférences internationales
"de paix" (les conférences de Madrid et d'Oslo) que
l'organisation des Palestiniens de 48, de façon autonome, s'est
faite urgente. En effet, les Palestiniens à l'intérieur de la
ligne verte ont craint, à juste titre, que les négociations,
les pressions et les conférences internationales n'écartent
leur cause, ne la sépare du reste des Palestiniens, vivant sous
occupation depuis 1967 et une partie de l'exil. C'est à partir
de ce moment qu'ils ont commencé à s'organiser, en
associations de base, mettant en avant leurs propres
revendications, sans toutefois couper leurs relations avec les
organisations palestiniennes globales. Il s'agissait plutôt de
"compter sur leurs propres forces", face aux multiples
abandons et reculs de la direction palestinienne, dont ils s'étaient
sentis les premières victimes.
ADRID a été fondée en 1992, juste après la conférence de
Madrid. Le dirigeant d'ADRID, Wakim Wakim, de Galilée, et lui-même
descendant de familles déplacées du village de Bassa, déclarait
en décembre 2002 : "Nous avons commencé juste après la
conférence de Madrid. Il n'est pas nécessaire de dire que nous
étions très en colère contre la délégation palestinienne
qui n'a pas soulevé la question des déplacés internes, et
notre crainte était d'être exclus de la statégie de l'OLP...
Avant notre initiative, il y avait plusieurs comités locaux qui
travaillaient sur le terrain, représentant les habitants de
villages détruits, comme Iqrit et Bir'im. Il y avait aussi un
comité pour Saffuriya, pour Hittin, et d'autres".
Le comité a travaillé pour unifier les efforts locaux et de
mettre en avant la cause commune plutôt que celle d'un ou de
l'autre village. Le 11 mars 1995, se tient la première conférence
à Qasr al-salam, près de Tamra, avec la participation de 280 délégués
représentant 39 villages détruits et divers groupes de déplacés
internes. Cette conférence nationale rejetta toutes les
alternatives autres que le retour aux villages d'origine.
Mémoire de la Nakba
Toute la stratégie sioniste consista, après 1948, à détruire
la mémoire palestinienne de la Nakba. Cette mémoire a été
considérée comme "une bombe à retardement" pour
l'entreprise sioniste et de ce fait, les autorités israéliennes
devaient enfouir cette mémoire en supprimant la question des réfugiés
internes, porteurs en partie de cette mémoire.
Mais, contrairement aux voeux sionistes, la mémoire ressurgit
encore plus fort, parmi la troisième génération des
absents présents, que parmi les deux premières. La
participation active aux commémorations ces dernières années
indique une mobilisation croissante des Palestiniens autour de
leur histoire et de leur avenir. Un intense travail d'écriture
s'est mis en place, au sein des Palestiniens, pour écrire
l'histoire des villages et des villes, mais aussi le récit de
ces années cruciales ayant constitué la Nakba, ou mené à la
Nakba, en 1948. Les histoires orales sont recueillies, les commémorations,
les activités culturelles et les camps d'été pour les jeunes,
sur les terres des villages démolis (Suhmata, Saffuriya,
al-Ghabisiyya, al-Birwa, Maalul, Lubya, Hittin) mais aussi les
marches vers les villages démolis deviennent les points de
ralliement de tous les Palestiniens de 48, et notamment des déplacés
internes.
Les villages d'origine sont devenus pour les déplacés
internes les centres de la mémoire, de l'identité et de la
lutte pour le retour.
Une autre activité parallèle se met en place, celle de la
restauration des sites religieux ou sacrés dans les villages démolis,
initiée par le mouvement islamique, qui a fondé une
association spéciale dans ce but, l'Institution al-Aqsa. Il
s'agit de restaurer les églises, mosquées et cimetières situés
dans les villages détruits, et de réclamer leur réappropriation.
Cette activité fut bientôt reprise par l'ADRID qui agit
conjointement avec l'Institution al-Aqsa.
Au cours du rassemblement organisé par ADRID le 11 mars 2000 à
Nazareth, auquel participèrent plusieurs responsables
politiques palestiniens de l'intérieur, des députés, des
maires et des dirigeants de partis, Wakim Wakim expliqua les
revendications d'ADRID, disant :
- ADRID appelle au retour de tous les déplacés internes à
leurs maisons et leurs biens, selon la résolution 194 de l'ONU.
- Il appelle à l'abolition de la loi sur les biens des absents
présents et d'autres lois racistes et discrminatoires contre
les citoyens arabes d'Israël.
- Alors qu'ADRID représente les déplacés internes, l'OLP
reste le seul représentant légitime de tout le peuple
palestinien, y compris les réfugiés externes et les déplacés
internes.
- ADRID appelle au maintien des sites sacrés (mosquées, églises
et cimetières) dans les villages détruits et la protection de
tous les sites historiques arabes.
Tout accord futur entre l'OLP et Israël qui excluerait le droit
au retour serait considéré nul et non avenu par les réfugiés
et les déplacés internes.
- ADRID réclame l'aide des institutions sociales et
politiques palestiniennes à la question des déplacés
internes.
Malgré les diverses intimidations et les restrictions israéliennes
contre les marches organisées par ADRID en direction des villages
démolis, en signe de commémoration et de revendication au
retour, les marches se sont poursuivies, annuellement, depuis
1996. Le 28 mars 1998, au moment où les Israéliens se préparaient
à célébrer leur 50ème anniversaire de la création de l'Etat
d'Israël, des milliers de déplacés internes marchaient du
village de Sheikh Dannun en Galilée en direction d'al-Ghabisiyya.
Les marcheurs portaient des pancartes avec le nom des villages
palestiniens détruits en 1948 et réclamaient leur retour à
leurs villages. Une prière collective eut lieu, devant la mosquée
fermée d'al-Ghabisiyya.
C'est alors que l'idée germa de faire coïncider les marches
palestiniennes avec les célébrations israéliennes avec pour
slogan : "Leur indépendance est Notre Nakba".
Pour la première fois, en mai 2000, un appel officiel des
Palestiniens de 48, avec le haut comité de suivi des masses
arabes (organe regroupant toutes les institutions, partis
politiques et associations arabes) réclama le boycott des célébrations
de l'"indépendance" de l'Etat d'Israël, à
l'initiative d'ADRID.
Les autorités sionistes ont pris cet appel pour de la
subversion nationaliste et la police fut envoyée pour réprimer
les marcheurs.
Depuis 2000, ADRID travaille de près avec les organisations et
les comités des réfugiés de la Cisjordanie et participe aux
rassemblements des réfugiés palestiniens dans le monde.