Cette étude vise à suivre et analyser les positions des
dirigeants et penseurs du mouvement sioniste, depuis Herzl
jusqu'à Sharon, à propos de ce qu'ils nomment "le problème
démographique".
Autonomie et "résolution du problème démographique"
Dans une tentative de surmonter le "problème démographique"
et résoudre la contradiction à laquelle il doit faire face,
représentée par d'une part l'extension, l'annexion et
l'imposition d'une souveraineté juive et de l'autre, la
crainte d'une densité de population palestinienne, le Likoud
a adopté des programmes d'autonomie, proposés par Menahim
Begin, élève de Jabotinsky. En 1977, ce dernier propose aux
Palestiniens, dans les territoires occupés (en 67) une
administration autonome, pour les habitants seulement, avec le
maintien de la souveraineté juive sur la terre. Dans cette
perspective, le Likoud et ses alliés, les petits partis, ont
construit des colonies à partir de 1977, dans les régions
palestiniennes surpeuplées, afin de créer, progressivement,
de nouvelles réalités sur le terrain en vue de modifier l'équilibre
démographique dans ces régions, au profit des Juifs pour
finalement les annexer et, d'autre part, pour mettre des bâtons
dans les roues au programme du parti travailliste disposé
à se passer de ces territoires surpeuplés au profit du
royaume de Jordanie, s'il revenait au pouvoir.
Opinions des théoriciens sionistes
Au moment où le conflit entre les partis israéliens
sionistes se déroulait pôur savoir quels seraient les
meilleurs moyens pour résoudre l'impasse dans laquelle se
trouve Israël depuis plus de 20 ans, un conflit parallèle se
déroulait entre les penseurs, écrivains et experts israéliens,
sur le même sujet. Au cours des décennies de l'occupation et
à cause de cette impasse, des centaines d'articles, d'études
et de livres israéliens furent écrits pour traiter ce problème, de
tous les côtés, livrant à la pensée sioniste des courants
et des propositions très graves, qui rappellent les solutions
finales proposées et exécutées par les nazis envers les
juifs eux-mêmes, lors de la propagation de l'antisémitisme
en Europe. Tout comme la simple présence des Juifs dans les
sociétés européennes était considérée comme un problème
pour les groupes et forces antisémites en Europe, la simple
présence de l'Arabe palestinien dans sa patrie, quelles que
soient ses opinions politiques ou sociales, quelles que soient
ses activités, ou son âge, qu'il soit enfant ou vieillard,
homme ou femme, calme ou résistant, pauvre ou riche, est
considérée par les penseurs et les experts israéliens comme
un grave problème menaçant Israël, et ils appelaient à
s'en débarrasser.
Ils divergent cependant sur la manière de se débarrasser de
ce "problème". On peut les distinguer en deux
groupes principaux, le premier appelant au retrait, ou
"la fuite", de larges parties des régions
palestiniennes occupées en 1967 et le second appelant à
garder ces régions occupées et chasser les Palestiniens, ou
la majorité, vers l'extérieur.
A cause de la faiblesse arabe, tout penseur israélien, qui
mettait en garde contre la possibilité de victoire d'une
force arabe, dans l'avenir, à cause des potentialités et des
possibilités des peuples arabes, était ridiculisé. Ce qui
donna un élan à la pensée sioniste appelant à chasser les
Palestiniens, ou la majorité d'entre eux, qui devint vite une
pensée largement acceptée dans les milieux israéliens, préparant
ainsi l'opinion à l'idée d'annexion. En fait, s'il y avait
eu réellement un "mur de fer" arabe, ces
discussions qui se déroulaient en Israël auraient pu être
prises pour tout simplement un luxe intellectuel, et n'aurait
même pas germé l'idée d'expulsion. Mais étant donné que
la situation était complètement à l'opposé, le courant
sioniste appelant à l'annexion considéra la présence
palestinienne dans les territoires occupés comme l'entrave
presque unique à l'annexion des territoires et à la
fondation du "royaume d'Israël", sur la "terre
occidentale d'Israël". Il se mit à exercer de fortes
pressions en faveur de l'expulsion, occupant de plus en plus
de place dans la société et les partis israéliens. Suite à
la guerre de 67, les plus extrémistes des dirigeants
sionistes, des penseurs et des experts se mirent à l'oeuvre
pour résoudre ce "problème", et proposèrent des
solutions qui semblaient simples, appelant au refus de se
retirer de tout territoire palestinien occupé, de faire en
sorte de se débarrasser des Palestiniens et les expulser. Ils
ont publié leurs idées et leurs programmes dans les journaux
et les revues israéliennes paraissant en hébreu, qui, à
leur tour, ont rejoint ce climat délirant et arrogant,
ayant dominé Israël après la guerre de juin 67.
Il n'est pas nécessaire de reprendre toutes les opinions
exprimées à ce propos, réclamant l'annexion des territoires
occupés. Nous nous contenterons d'en citer quelques unes, qui
ont poursuivi, plus que d'autres, leurs campagnes. Parmi les
auteurs les plus connus figurent Moshe Shamir, Yoval Naeman,
Tsivi Shilwah, Eliazar Livne, Nathan Alterman, le rabbin Tsivi
Yehuda Cook, Eliahu Amikam, Yehuda Don, Aharon Amir, Ishak
Tabenkin, Azaria Alon, Rahel Siporai, Moshe Tabenkin, Zeev
Weisel, Meir Barayli, Israel Dad, Ifraim bin Haiim, Aharon ben
Ami, Abraham Hiller et d'autres.
Tsivi Shilwah, considéré d'habitude comme "expert"
dans les affaires arabes, probablement parce qu'il a occupé
le poste de gouverneur militaire de la Galilée après la création
de l'Etat d'Israël, a réclamé dans une dizaine d'articles
et d'"études" d'annexer les régions palestiniennes
occupées et de chasser les Palestiniens. Dans un article écrit
quelques mois après l'occupation de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza, Shilwah a mis en garde contre l'existence de
"régions libérées" avec des centaines de milliers
d'Arabes, car "la présence de ces habitants à l'intérieur
des frontières d'Israël est une bombe à retardement au
coeur même de l'Etat" et leur maintien dans ces régions
expose Israêl à des dangers et représente un danger sur son
caractère "national juif". Il conclut que "la
seule solution est d'organiser leur expulsion et leur
installation dans les pays arabes où il y a beaucoup d'eau et
de terres, comme en Syrie et en Irak" (Davar, 2/7/67).
L'idée d'expulsion des Palestiniens, et notamment des réfugiés,
s'ancra dans les esprits, et notamment dans celui du savant
atomique Yoval Naeman, qui fut l'un des dirigeants du
mouvement Hatihya. Il n'a cessé de réclamer l'application de
cette proposition.
Poursuivant les discussions de plus en plus exacerbées pour résoudre
cette "impasse", entre le courant réclamant une
solution régionale moyenne et un retrait des régions
surpeuplées et entre le courant réclamant l'annexion des régions
palestiniennes occupées, les idéologues appartenant au deuxième
courant menaient des études sur la question démographique et
son importance, présentant des solutions dans le cadre des
intérêts sionistes expansionnistes.
A ce propos, Abraham Hiller publia en 1970 un chapitre
de son livre "A qui appartiennent les droits sur ce
pays", sous le titre "le démon démographique",
dans la revue Haoma, qui devint après 1967 la tribune des
adeptes de l'annexion et de l'expulsion, où il minimisait
l'importance du "danger démographique". Il commença
son étude par répondre à ceux qui avançaient le slogan de
"la paix en contrepartie de la terre", et qui
s'appuyaient sur l'idée du danger démographique pour
diffuser leurs propositions. Il demande : "Est-ce que
notre situation démographique était meilleure à l'époque
du mandat ? lorsque nous étions entre 60 et 80 milles, et que
nous formions 10% de l'ensemble de la population du pays ?
Surtout que l'émigration juive était, à cette époque,
contenue et limitée par les intentions de l'administration
britannique". Il ajoute, disant : "Si la direction
du yishouv et du mouvent sioniste avaient fait des calculs démographiques
en 1947, aurait-il été possible d'accepter la décision de
partition et la création de l'Etat juif au moment où le
nombre des Arabes dans la région consacrée à l'Etat juif était
plus de 40 % ? S'ils avaient proposé, à cette époque, d'étendre
nos frontières avec des régions habitées par des
Arabes, n'aurions-nous pas accepté avec enthousiasme ?"
avant de dire : "le peuple et sa direction ont pris à
cette époque la décision de fonder l'Etat avec un grand
enthousiasme, car ils ont cru dans l'idéologie sioniste, par
la volonté de salut représentée par l'immigration et le
regroupement de la diaspora, et leurs espérances n'ont pas été
trahies" (Hiller, l'ombre démographique, Haoma, 1970).
Alors qu'il a totalement ignoré l'expulsion des Palestiniens,
à la veille, au cours et après la création de l'Etat d'Israël,
par la direction sioniste, qu'il a par ailleurs beaucoup louée,
pour se débarrasser du danger de voir cet Etat devenir un
Etat bi-national, Hiller a pris soin de noter le rôle de
l'immigration juive en Israël, après sa fondation, qui se
monte à des centaines de milliers d'immigrants, pour faire
face au danger démographique. Il en conclut que l'immigration
juive, et notamment celle d'Union soviétique dont il s'attend
à l'augmentation, va jouer un rôle essentiel pour résoudre
le problème démographique auquel fait face Israël du fait
de son occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Puis il poursuit pour aborder la question de la différence de l'accroissement
naturel des Arabes et des Juifs, la considérant "très
inquiétante". L'accroissement naturel des Arabes atteint
trois fois celui des Juifs israéliens, dit-il, et Hiller
commente qu'il ne s'agit pas d'une "loi fixe",
s'attendant à ce que cet accroissement diminue du fait des
conditions économiques et sociales, et indiquant que l'émigration
arabe de la Cisjordanie et de la bande de Gaza limitera cet
accroissement, et par conséquent, améliorera l'équilibre démographique
au profit des Juifs. Il a, de plus, compté sur la poursuite
de l'émigration arabe vers l'extérieur.
Le parti travailliste empêtré dans ses
contradictions et ses solutions extrêmes
Au moment où les adeptes de l'annexion et de l'expulsion
poursuivaient la propagation de leurs idées, les faisant
adopter par le public israélien sans ambiguité ni équivoque,
s'appuyant sur la force israélienne, les dirigeants du parti
travailliste furent atteints de désarroi, de confusion et
d'extrémisme à la fois. La tendance à l'expansion et l'appétit
de l'annexion, ainsi que les tentatives de se débarrasser des
Palestiniens les ont attirés, dans la plupart des cas, loin
de leurs programmes politiques officiels et proclamés, qui réclamaient
une solution régionale moyenne. Au début de 1973, Ishak
Rabin déclarait que "la question des réfugiés dans la
bande de Gaza ne doit pas être résolue dans la bande, ou
dans al-Arish (le Sinaï), mais dans la Transjordanie".
Il a ajouté qu'il essayait de se débarrasser des réfugiés
palestiniens vivant en Cisjordanie et agissait pour transférer
la population arabe, non par l'utilisation de la force, mais
en assurant les conditions permettant un déplacement de
population naturel vers la Transjordanie au cours des dix ou
vingt années prochaines" (Maariv, 16/ 2/73).