Une semaine après le retrait des troupes et des
services secrets syriens de leurs bases à Baalbak, au cœur de la
vallée de la Beqaa, il reste peu d’indications qu’ils ont, à
un moment ou à un autre, contrôlé les rues de cette ville
endormie. A part quelques posters défraîchis du Président
syrien Bashar al-Assad, le changement est intervenu rapidement.
Les check-points militaires, qui auparavant étaient décorés aux
couleurs reconnaissables rouge et blanc du drapeau syrien, sont
maintenant recouverts de cèdres libanais. Même une grande statue
de Hafez al-Assad a été démontée et rapatriée à Damas.
Pour beaucoup de Libanais, ce retrait représente
le point de départ de ce qu’ils considèrent comme le chemin
qui les mènera vers l’indépendance. Mais tous les partis au
Liban n’ont pas accueilli le départ des Syriens avec un tel déchaînement
d’enthousiasme.
Pour les 400 000 réfugiés palestiniens, la résolution
1559 du Conseil de Sécurité de l’ONU, puis tous les évènements
qui ont suivi, des troubles à Beirut jusqu’au retrait syrien,
sont considérés avec une grande inquiétude.
. Yasin ajoute que les souvenirs du massacre de
Sabra et Shatila, pendant lequel 2800 civils palestiniens, la
plupart des femmes et des enfants, ont été tués sous l’œil
attentif du Ministre de la Défense Ariel Sharon, sont trop frais
dans la tête de beaucoup de Palestiniens d’ici. Pour cette
raison, ils considèrent avec crainte, suspicion et hésitation cet
appel au désarmement pour le peu d’armes qui reste dans les
camps. "Nous avons tiré les leçons de Sabra
et Chatila. Nous avons été désarmés en 1982 après la guerre
civile, et puis nous avons été massacrés par les hommes de
Sharon, et ceci sous protection internationale" ajoute
t-il.
L’opinion de Issa et de Yasin fait écho à celle
de tous les Palestiniens au Liban.
En tant que réfugiés, les Palestiniens au Liban
vivent dans un état constant de vulnérabilité, avec peu ou pas de
droits civiques. Non désirés par l’Etat qui les accueille et
dans l’impossibilité de retourner chez eux, leur existence semble
avoir toujours un caractère éphémère.
Leurs camps sont des ghettos, avec leurs ruelles étroites
et tortueuses, leurs abris de ciment murs contre murs, leurs toits
en tôle et leurs services publics sans nom. Ils manquent de tout :
protection quotidienne, sécurité physique, liberté de mouvement
et accès à l’emploi. Des abris sous terrain - restes de la
guerre civile - leurs rappellent les périodes dangereuses
auxquelles ils ont dû faire face, périodes qu’ils redoutent de
vivre une nouvelle fois.
Effectivement le sentiment populaire actuellement
au Liban semble être contre toute présence étrangère. Ainsi
lors d’une manifestation organisée la semaine dernière pour le
retour de l’ex Premier Ministre Michel Aoun dans le square des
Martyrs à Beirut, une banderole disait : "Le Liban aux
Libanais".
Analyse
Les analystes libanais insistent cependant sur le
fait qu’il n’y a rien contre les Palestiniens et que si un
sentiment anti-palestinien peut exister pour certains éléments
de la société libanaise, cela est très marginal et rien de
concret ne peut en découler.
"Oui, il y a des gens qui
veulent que les Palestiniens s’en aillent, mais l’épuration
ethnique n’est pas politiquement réaliste. L’opinion publique
ne l’accepterait pas, et l’Union Européenne ne le permettrait
pas" explique Samir Qassir, un journaliste libanais
influent et membre de l’équipe stratégique pour la campagne médiatique
de l’opposition. "Même les Chiites peuvent
jouer la carte des Palestiniens et ainsi éviter d’être désarmés
eux-mêmes, mais ils ne vont jamais soutenir une épuration
ethnique des Palestiniens ici".
Alors qu’ils sont solidaires des Palestiniens
qui vivent avec eux, les habitants de Baalbeck, pour la plupart
chiites, souhaitent que les Palestiniens puissent retourner chez
eux, mais pour différentes raisons.
" Les Palestiniens ne doivent
pas s’installer ici, au Liban" déclare Hisham Mustafa,
un ouvrier chiite de 31 ans. " Ce n’est pas
parce que nous ne les aimons pas ou qu’ils nous dérangent"
explique t-il. "Les Palestiniens amènent
de l’argent dans ce pays...ils enrichissent le pays. Nous
voulons qu’ils rentrent en Palestine parce que c’est leur
patrie et qu’ils en ont le droit".
Mustafa dit qu’il est contre le désarmement des
Palestiniens, parce qu’il considère que c’est le maillon le
plus faible de la chaîne. "Si ils sont désarmés,
ensuite ce sera notre tour : les Chiites et le
Hezbollah".
Améliorer les liens
Qassir considère que le moment est venu pour
renouer les liens entre les Libanais et les Palestiniens, et que
les responsables palestiniens dans les camps devraient saisir
l’occasion, plutôt que d’alimenter des querelles vacillantes.
" Je crois qu’il y a une
chance actuellement d’améliorer les relations, une chance pour
donner aux Palestiniens leurs droits civiques, mais nous devons
sauver cette chance et ne pas la compromettre en prenant de
stupides positions pro-syriennes qui ne donneront que des excuses
aux éléments les plus radicaux" dit Qassir en faisant référence
aux déclarations de Sultan Abu al-Ayneen, le représentant de
l’OLP au Liban, appelant au rejet de la résolution 1559 et
refusant le désarmement des camps. "Nous
devons saisir l’occasion, mais nous devons aussi désarmer les
éléments radicaux libanais qui pourraient s’en prendre aux
Palestiniens" .
L’opposition libanaise, pendant ce temps, a pris
des positions similaires en disant que les Palestiniens devaient
être désarmés -volontairement, pas par la force- et que le
gouvernement libanais devait en échange mettre fin à sa
politique raciste et discriminatoire envers les réfugiés.
"Notre parti soutient les
Palestiniens qui sont au Liban malgré eux", explique
Wael Abou Faour, un jeune responsable politique druze issu des
rangs du Parti Socialiste Progressiste : le Mouvement Druze
dirigé par le leader de l’opposition Walid Jumblatt.
"Aujourd’hui les
Palestiniens sont un élément important de la réconciliation
entre les différentes factions libanaises et ils ne sont en
confrontation directe avec aucune des parties, contrairement à ce
qui s’est passé pendant la guerre civile. Nous rejetons la [résolution]
1559 qui appelle à l’arrêt de la résistance palestinienne au
Liban, mais nous appelons à un désarmement volontaire des
Palestiniens, nous leur demandons de donner leurs armes au
gouvernement libanais en échanges de leurs droits civiques, et
nous souhaitons discuter avec les Palestiniens via les ministères
libanais adéquats, tel que le ministère de l’Intérieur, plutôt
que via des services secrets et militaires. Nous avons également
comme objectif de mettre fin au siège effectif des camps de réfugiés
palestiniens et à leurs statuts de grandes prisons".
Un avenir incertain
Tout cela est loin de rassurer les Palestiniens du
Liban, qui ne peuvent que faire des suppositions quant à leur
avenir. Alors que les accords de Taief, signés en 1991 à la fin
de la guerre civile, leur ont refusé le droit d’être naturalisés
comme citoyens libanais, Israël leur refuse le droit au retour.
Apparemment, il y a eu des discussions avec le
leader de l’opposition ,Jumblatt, dans les semaines qui ont
suivi l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafiq al-Hariri au
sujet de la naturalisation.
Mais ce n’est pas une solution que les réfugiés
souhaitent ou croient plausible, explique Sameera Abou al-Fool,
une travailleuse sociale et militante politique du FPLP au Liban. "Il
n’y a pas de travail ici, pas de source de revenu. Et nous
sommes traités comme de la vermine. Parmi les Syriens, les
Sri-Lankais et les réfugiés, nous sommes considérés comme la
classe la plus basse" dit Abou al-Fool. Elle dit aussi
que les Palestiniens seront toujours considérés comme une menace
pour le fragile équilibre politique du Liban.
"Même si ils nous
naturalisent, nous sommes catalogués comme des étrangers ici et
nous ne serons jamais intégrés dans la société libanaise.
D’abord nous ne sommes pas les bienvenus. Et puis nous resterons
de citoyens de seconde zone toute notre vie. Nous serons toujours
pointés du doigt, nous serons toujours vulnérables".