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D’autres signes d’une guerre américaine
contre l’Iran
Peter Symonds

Avions bombardiers furtifs F117
© Documents A.F.Link
29 octobre 2007
La décision sans précédent
de l’administration Bush d’accuser le CGRI iranien (Corps des
gardes révolutionnaires islamiques) d’être un agent de prolifération
d’armes et sa force al-Quds d’être un « soutien du
terrorisme » a exacerbé les tensions avec Téhéran et sapé
les efforts des pays européens en vue de négociations, créant
les conditions d’une attaque américaine contre l’Iran.
Bien que la Maison-Blanche prétende
toujours chercher une solution diplomatique à l’actuelle
confrontation, une suite d’articles de presse, constatant la
nature de plus en plus belliqueuse du ton employé par Washington,
ont averti de ce que les Etats-Unis semblaient s’être décidés
à une action militaire contre l’Iran.
Dans un commentaire publié
jeudi dernier, le Financial Times britannique déclarait
« la Maison-Blanche semble vouloir, une fois de plus et à
tout prix, passer pour moins intelligente devant le jugement de
l’opinion publique et peut-être aussi vouloir faire un mauvais
calcul stratégique qui pourrait faire ressembler la guerre en
Irak à un intermezzo ».
Le chroniqueur du Financial
Times, Philip Stevens notait : « Si M. Bush a
l’intention d’agir, il faut qu’il se dépêche. Le moment
propice d’une attaque, comme le veut la sagesse conventionnelle,
sera passé l’année prochaine. Même ce président-là ne
pourra pas entraîner la nation dans une autre guerre de son choix
une fois la campagne électorale de 2008 commencée. Ce compte à
rebours coïncide avec l’affermissement, à Washington et dans
une ou deux capitales européennes, de la conception que la
diplomatie de la coercition n’a rien fait pour ébranler la résolution
de l’Iran à se donner les moyens de produire une bombe. »
Les affirmations répétées
de Washington selon lesquelles l’Iran aurait un programme de
production de l’arme nucléaire furent contredites par le chef
de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
Mohamed ElBaradei dans un commentaire fait dimanche à CNN. On lui
avait demandé s’il avait une preuve quelconque que l’Iran
cherchait à produire une bombe atomique. ElBaradei déclara :
« Je n’ai reçu aucune information sur un programme
d’arme nucléaire concret réalisé à ce moment précis. »
Après avoir remarqué que l’AIEA cherchait à clarifier des
questions non encore élucidées, il insista à nouveau :
« Avons-nous vu l’Iran posséder le matériel pouvant être
immédiatement utilisé pour produire une arme ? Non.
Avons-nous vu un programme actif de transformation en une arme ?
Non. »
Craignant de toute évidence
que l’administration Bush n’entende fabriquer un prétexte
pour une guerre, ElBaradei ajouta : « J’ai de grandes
inquiétudes pour ce qui est d’une confrontation, du fait
qu’on organise une confrontation, parce que cela conduirait
absolument à un désastre. Je ne vois pas de solution militaire.
La seule solution durable est à travers des négociations et des
inspections… Ma crainte est que si nous continuons l’escalade
des deux côtés, nous finirons dans un précipice, nous irons
finalement dans l’abîme. »
Parlant à la station de
radio australienne ABC ce matin, il a dit aussi : « J’espère
que nous allons arrêter de gonfler et de déformer la question
iranienne » parce que cela pourrait conduire à un « embrasement
de proportions majeures… non seulement au niveau régional, mais
encore au niveau de la planète ».
Un net signe que
l’administration Bush n’a aucun intérêt à une résolution
pacifique de l’affrontement avec l’Iran fut son hostilité à
un accord passé au mois d’août entre l’AIEA et Téhéran
pour répondre systématiquement aux questions non résolues sur
le programme nucléaire iranien. D’un côté, la Maison-Blanche
insiste pour que l’Iran ferme ses usines d’enrichissement
d’uranium comme préalable à toute négociation, se réclamant
de questions non résolues quant à ses activités nucléaires
passées. De l’autre, lorsqu’un processus a été établi pour
répondre à ces questions, les Etats-Unis réprimandent ElBaradei,
lui reprochant d’outrepasser ses pouvoirs.
Un article paru dans le Sunday
Times britannique et intitulé « Bush va-t-il vraiment
bombarder l’Iran ? » remarquait que l’aviation américaine
avait fait une demande de financement au Congrès pour un « besoin
opérationnel urgent de la part du commandement militaire sur le
terrain » de 88 millions de dollars afin d’équiper des
bombardiers « B2 Stealth » d’une bombe de plus de 6
tonnes connue sous le nom de MOP (Massive ordinance penetrator).
Cette bombe est un « casseur de bunker » sophistiqué,
destiné à détruire des cibles se trouvant à une grande
profondeur sous la terre. Il n’y a pas de sites en Irak ou en
Afghanistan qui justifierait la commande « urgente »
d’une telle bombe. La cible évidente sont les sites nucléaires
iraniens, en particulier l’usine d’enrichissement d’uranium
de Natanz, située dans une énorme caverne souterraine.
Le Sunday Times répéta
les commentaires de Bush il y a une semaine mettant en garde
contre les dangers d’une troisième guerre mondiale si l’Iran
arrivait « à savoir comment fabriquer une arme nucléaire ».
Comme l’observait l’article : « Ceux qui observent
l’Iran ont relevé avec intérêt l’utilisation du mot
"savoir". Il semble que Bush ait résolu d’agir bien
avant que les mullahs n’arrivent même à envisager la
production d’une véritable bombe… Une source de haut rang du
Pentagone qui se souvient des roulements de tambours d’avant
l’invasion de l’Irak, pense que Bush prépare une action
militaire avant de quitter ses fonctions en janvier 2009.
"C’est pour de bon maintenant. Je pense qu’il signale
qu’il va le faire", dit cette source. »
L’article écarte
l’argument que les Etats-Unis étaient simplement en train de
proférer des menaces sans conséquence et destinées à obtenir
des concessions de la part de l’Iran, et conclut ainsi :
« L’explication la plus convaincante de ces bruits de
guerre est que Bush a pris une ligne d’action pouvant conduire
à la guerre, mais il y a de nombreuses étapes, y compris
l’imposition de sanctions plus sévères, avant qu’il ne
conclue qu’une attaque militaire de l’Iran en vaille le
risque….Si la diplomatie nucléaire peut arrêter les mullahs,
tant mieux. Si elle ne le peut pas, Bush peut décider de lancer
une attaque comme un des actes finaux de sa présidence ».
Des
préparatifs de guerre bien avancés
Une des indications les plus
effrayantes que l’administration Bush prépare de longue date
une guerre contre l’Iran est venue de deux ex-initiés de
l’administration, Flynt Leverett et Hillary Mann, qui travaillèrent
en tant que spécialistes du Moyen-Orient au Conseil national de sécurité.
Dans une longue interview publiée la semaine dernière dans le
magazine Esquire, Leverett et Mann ont non seulement
souligné le danger d’une attaque immédiate, mais ont fait
encore remarquer que l’administration Bush n’avait jamais
voulu sérieusement négocier avec Téhéran. Etant donné que ces
deux personnes sont politiquement des conservateurs et acceptent
l’affirmation sans fondement de l’existence d’un programme
iranien d’arme nucléaire et de soutien des milices antiaméricaines
en Irak, leurs commentaires en disent long.
Esquire explique
: « Ils ont quitté la Maison-Blanche, car ils étaient
devenus de plus en plus inquiets, l’administration Bush non
seulement se dirigeait tout droit vers une guerre avec l’Iran,
mais elle poursuivait ce cours depuis des années. C’est ce que
les gens ne réalisaient pas. C’était exactement comme pour
l’Irak ; la Maison-Blanche avait alors montré un tel zèle
pour la guerre qu’elle ne pouvait cacher son impatience à voir
les inspecteurs de l’ONU quitter le pays. Il y eut beaucoup de
pas franchis de façon persistante et ils conduisaient tous dans
la même direction. Et à présent la situation est pire. On se
rapproche de plus en plus de la guerre. »
Leverett a dit au magazine :
« L’aile dure renforce sa pression sur le Département
d’Etat. Foncièrement ils disent : "Vous avez essayé
depuis plus d’un an maintenant de trouver le contact avec l’Iran
et qu’est ce que vous avez obtenu ? Ils continuent de
construire des centrifugeuses [pour enrichir l’uranium], ils
envoient ces IED [dispositifs explosifs de circonstance] en Irak
qui tuent des soldats américains, la situation politique intérieure
est devenue plus répressive en ce qui concerne les droits de l’Homme
- qu’avez-vous à faire valoir comme succès de votre stratégie
du contact ?"»
Selon Leverett et Mann un échec
à obtenir de nouvelles sanctions par l’ONU plus une poursuite
de l’enrichissement d’uranium et une « ingérence »
iranienne en Irak, déclencheraient une réaction militaire de la
part de la Maison-Blanche. « Si tous ces éléments sont réunis,
disons dans la première moitié de 2008, que va faire le président ?
Je pense que le risque qu’il décide d’ordonner une attaque
des équipements nucléaires iraniens et probablement une attaque
de plus grande envergure, est très réel » dit
Leverett.
« Si l’Irak est un désastre,
une attaque de l’Iran pourrait, elle, précipiter l’Amérique
dans une guerre avec l’ensemble du monde musulman » ajouta
Mann. En tant que responsable de haut niveau du Conseil national
de sécurité, elle a pris part, à la suite des attentats du
11-Septembre, à des discussions secrètes avec des diplomates
iraniens. Bien qu’on ait déjà parlé de ces négociations dans
la presse, Mann est le premier responsable à confirmer que des
discussions régulières ouvrant la perspective d’un relâchement
des tensions entre les Etats-Unis et le régime iranien, à la tête
duquel se trouvait alors le président « modéré »
Mohammed Khatami, ont eu lieu entre 2001 et 2003.
Mann faisait partie d’une
équipe de responsables américains ayant rencontré des
diplomates iraniens en 2001 afin de discuter sur quelle base Téhéran
coopérerait à l’intervention américaine en Afghanistan.
L’Iran accepta de porter assistance à tout avion américain
abattu sur son territoire, pour permettre aux Etats-Unis
d’acheminer des vivres par l’Iran et aussi de réfréner les
éléments antiaméricains en Iran, comme le chef de milice
Gulbuddin Hekmatyar. Pendant la campagne de bombardement américaine,
un responsable des services secrets iraniens indiquait des cibles
à l’aviation américaine. Après la chute des talibans, l’Iran
aida les Etats-Unis à installer le gouvernement fantoche dirigé
par le président Karzaï.
Loin d’offrir en retour un
relâchement des tensions, l’administration Bush bloqua toute négociation
avec l’Iran et son allié syrien. Stephen Hadley, qui était
alors vice-conseiller national pour la Sécurité, rédigea un
bref mémoire à la fin de 2001 dans le but de définir tout
contact. Ce mémoire fut connu sous le nom de Directives Hadley.
Elles sont décrites comme suit dans Esquire: « Si
un Etat comme la Syrie ou l’Iran offre une assistance spécifique,
nous l’accepterons sans offrir quoi que ce soit en échange.
Nous l’accepterons sans conditions ni promesses. Nous ne nous en
servirons pas comme point de départ pour autre chose. »
La réponse de Bush à
l’aide fournie par l’Iran fut de dénoncer celui-ci, avec l’Irak
et la Corée du Nord, comme une partie de « l’Axe du mal »
dans son discours sur l’état de l’Union en 2002. Comme
l’explique Mann, le discours avait profondément choqué Téhéran
qui avait néanmoins poursuivi, pendant un an encore, les
discussions mensuelles. Bien que cela ne soit pas rapporté dans
l’article d’Esquire, le régime iranien a fourni de
l’aide à l’armée américaine au cours de son invasion
criminelle de l’Irak en 2003.
Un an après le début de
l’invasion de l’Irak, Téhéran avait offert aux Etats-Unis,
via l’ambassadeur de Suisse, des négociations pour une résolution
définitive de tous les problèmes existant entre les deux pays.
Un mémoire fut envoyé par fax comprenant des propositions sur
toutes les questions régulièrement évoquées par la
Maison-Blanche comme raisons pour traiter l’Etat iranien en
paria : ce mémoire contenait des offres d’« action décisive »
contre tous les terroristes en Iran, de mettre fin au soutien des
organisations palestiniennes Hamas et Djihad islamique, de
cessation des programmes nucléaires et d’accord en vue d’une
reconnaissance d’Israël.
L’administration Bush écarta
cependant d’emblée l’offre iranienne. Un mémoire rédigé
par Mann et conseillant l’envoi d’une réponse rapide et
positive par les Etats-Unis fut bloqué. Condoleezza Rice, alors
conseillère de la Maison-Blanche pour la Sécurité nationale,
nia par la suite avoir même eu connaissance du mémoire iranien.
Le secrétaire d’Etat de l’époque, Colin Powell, loua Mann en
privé pour son mémoire, mais lui dit : « Je n’ai
pas pu le voir à la Maison-Blanche. » On a réagi par la
censure et la menace aux tentatives de Leverett et Mann de rendre
l’offre iranienne publique après avoir quitté leurs emplois.
Le refus catégorique de
l’administration Bush d’approuver des négociations avec l’Iran
donne certes du poids aux avertissements de Leverett et Mann sur
les dangers d’une nouvelle guerre américaine avec l’Iran.
Mais bien qu’ils considèrent une telle attaque comme de la
folie, ces deux anciens responsables du gouvernement Bush ne
peuvent pas expliquer pourquoi la Maison-Blanche est résolue à
poursuivre une telle ligne d’action. Comme pour les occupations
de l’Irak et de l’Afghanistan, les Etats-Unis cherchent à
imposer leur domination absolue sur les régions riches en énergie
du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. L’Iran qui, avec ses énormes
réserves de pétrole et de gaz, se trouve dans une position stratégique,
est une cible évidente pour ces plans irresponsables.
(Article original publié le
29 octobre 2007)
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Publié le 24 septembre 2007 avec l'aimable autorisation du WSWS

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