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Les tambours de guerre se font plus insistants après que l’Iran
ait refusé de se plier à la date butoir fixée par l’ONU
Peter Symonds

L’administration Bush augmente la pression
sur l’Iran après que ce dernier ait refusé de respecter la
date butoir fixée par l’ONU de suspendre son programme
d’enrichissement de l’uranium et d’autres programmes nucléaires.
Tout en oeuvrant publiquement pour une nouvelle résolution
du Conseil de sécurité de l’ONU qui comprendrait des sanctions
économiques et diplomatiques plus strictes à l’encontre de Téhéran,
les Etats-Unis poursuivent résolument leurs préparatifs pour
attaquer militairement l’Iran.
Après des mois d’intimidations de la part
des Etats-Unis, le Conseil de sécurité de l’ONU a finalement
voté une première résolution en décembre dernier qui imposait
des sanctions et donnait deux mois à l’Iran pour mettre fin à
ses activités nucléaires. Téhéran, toutefois, insiste sur son
droit, en vertu du Traité de non-prolifération nucléaire, de
mettre en œuvre tous les aspects du cycle nucléaire, y compris
la production d’uranium enrichi pour ses centrales nucléaires.
Il rejette les allégations américaines selon lesquelles il
entreprendrait un programme nucléaire secret.
L’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA) a publié un rapport officiel jeudi dernier — un
jour après la date butoir — confirmant que l’Iran continuait
à agrandir son usine d’enrichissement de l’uranium à Natanz
et qu’il construisant un réacteur à eau lourde expérimental
à Arak. Le rapport n’a pas encore été rendu public, mais les
médias américains et internationaux ont souligné les projets
iraniens visant à achever d’ici le mois de mai l’installation
de 3000 centrifugeuses dans son usine de Natanz. Au même moment,
l’AIEA n’a encore trouvé aucune preuve que l’Iran cherche
à construire une bombe nucléaire.
Washington a saisi l’occasion que lui offrait
le rapport de l’AIEA pour entreprendre une nouvelle offensive
diplomatique contre l’Iran. Le sous-secrétaire d’Etat américain,
Nicolas Burns, doit rencontrer ce lundi à Londres des hauts
fonctionnaires des autres pays membres permanents du Conseil de sécurité
de l’ONU (la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie)
ainsi que l’Allemagne pour rédiger une nouvelle résolution de
l’ONU. La semaine dernière Burns avait accusé l’Iran de
« narguer » la communauté internationale.
La soi-disant communauté internationale est
loin d’être unie toutefois. C’est à reculons que la Russie
et la Chine avaient accepté la résolution de décembre dernier.
L’ambassadeur russe aux Nations unies, Vitaly Churkin, avait
appelé à une solution diplomatique à cette crise, déclarant
que le but des discussions n’était pas une nouvelle résolution
et de nouvelles sanctions, mais « un résultat politique ».
Toutefois, en refusant de défier ouvertement la position
belliciste américaine, la Russie, la Chine et les puissances
européennes ont fourni aux actions américaines un mince vernis
de légitimité onusienne.
L’administration Bush n’a pas le moindre
intérêt à un accord politique. Les responsables américains ont
clairement fait comprendre que les Etats-Unis avaient
l’intention de durcir les sanctions contre l’Iran, avec ou
sans l’accord de l’ONU. Selon le Scotsman, Burns va
faire pression pour élargir les sanctions commerciales et économiques
pour qu’elles s’appliquent à davantage d’entreprises
iraniennes et pour augmenter le nombre des responsables iraniens
interdits de voyage. Les Etats-Unis veulent aussi interdire la
pratique des gouvernements européens consistant à accorder des
prêts à l’Iran lui permettant ainsi de financer ses
transactions.
Un article du Wall Street Journal de la
semaine dernière a révélé que la Maison-Blanche voulait plus
particulièrement viser les Gardiens de la révolution qui, selon
les Etats-Unis, seraient non seulement impliqués dans les
programmes d’armement nucléaire, mais fourniraient aussi des
armes aux insurgés antiaméricains en Irak. Washington n’a
fourni aucune preuve substantielle pour étayer ses dires. Mais
les Etats-Unis ont choisi les Gardiens de la révolution,
organisation avec laquelle le président iranien Mahmoud
Ahmadinejad est étroitement lié, comme moyen de fomenter des
divisions politiques internes à Téhéran. Le représentant du Trésor
américain, Matthew Levitt a carrément dit au Wall Street
Journal qu’en prenant les Gardiens de la révolution pour
cible, on «nourrissait dans le pays les critiques envers le système
de copinage du régime ».
Du point de vue des Etats-Unis, les programmes
nucléaires iraniens ne sont qu’un prétexte commode pour
continuer leur politique de « changement de régime »
à Téhéran. Tout comme ils l’avaient fait avant l’invasion
illégale de l’Irak en 2003, l’administration Bush est en
train de fabriquer des preuves que l’Iran possèderait des armes
de destruction massive. Des sources du bureau central de l’AIEA
à Vienne ont déclaré au Guardian, journal londonien, la
semaine dernière que « la plupart des pistes de la CIA et
d’autres agences du renseignement américain sur de soi-disant
sites secrets d’armements ont mené à des impasses, après enquête
par les inspecteurs de l’AIEA. »
Un diplomate ayant une bonne connaissance des
inspections de l’AIEA a expliqué : « La plupart
des pistes se sont révélées être fausses. Ils nous ont donné
une liste de sites. [Les inspecteurs] ont fait le suivi, ils se
sont rendus à certains sites militaires, mais il n’y avait
aucun signe d’activités [nucléaires interdites].
Aujourd’hui, [les inspecteurs] n’y vont plus à
l’aveuglette, mais seulement si l’information réussit un test
de crédibilité. »
L’article du Guardian soulève aussi
la possibilité que certaines « preuves » aient été
fabriquées. Les services de renseignement américains ont donné
à l’AIEA des copies de documents qui auraient été trouvés
par la CIA sur un ordinateur portable volé, fourni par un
informateur en Iran. Téhéran a aussitôt déclaré que ce matériel,
qui contenait les plans d’une tête nucléaire, était faux.
Certains membres de l’AIEA partageaient aussi ces doutes.
Un officiel a déclaré au Guardian : « Tout
d’abord, s’il existe un programme clandestin, on ne le met pas
sur un portable qui peut facilement être déplacé. Les données
sont toutes en anglais, ce qui peut être compréhensible pour
certaines questions techniques, mais à un moment ou un autre on
s’attendrait à ce qu’il y ait au moins quelques notes en
farsi. Il y a donc des doutes sur la provenance de l’ordinateur. »
Un
nouveau prétexte pour une attaque militaire
L’absence de preuves concluantes n’a pas
empêché les Etats-Unis de porter des accusations. De hauts représentants
américains maintiennent toujours qu’il est indubitable que l’Iran
possède des plans pour construire une bombe. Les Etats-Unis
rejettent les démentis iraniens en insinuant que les travaux se
poursuivent en d’autres lieux secrets. Tout comme les allégations
de possession d’armes de destruction massive contre le régime
irakien de Saddam Hussein, Téhéran ne pourra jamais prouver ce
qui est essentiellement improuvable : qu’il ne possède pas
de laboratoires secrets dans le pays.
Plus que jamais, on trouve dans les médias américains
et internationaux des déclarations exagérées sur le délai
requis par l’usine de Natanz pour produire suffisamment
d’uranium hautement enrichi pour la fabrication d’un engin
nucléaire. Toutes ces allégations ignorent comme par hasard le
fait que l’Iran est toujours signataire du Traité de non-prolifération
nucléaire et que ses installations nucléaires demeurent sous
inspection de l’AIEA. Cette dernière surveille spécialement
l’usine de Natanz afin de s’assurer qu’elle ne produise que
de l’uranium faiblement enrichi pour le carburant nucléaire et
non de l’uranium hautement enrichi pour la fabrication de
bombes.
Étant donné la faiblesse des arguments
cherchant à accuser l’Iran de posséder des armes nucléaires,
l’administration Bush tente maintenant de changer
d’argumentation. Par un tour de passe-passe rhétorique, les
officiels américains parlent de plus en plus maintenant de la nécessité
d’empêcher l’Iran non pas d’avoir des bombes nucléaires
mais « d’avoir la capacité » de construire des
bombes nucléaires. Vendredi, un haut représentant américain a déclaré
au New York Times : « Personne n’a défini la
limite que les Iraniens ne peuvent franchir. » Mais, a-t-il
affirmé, le président Bush est déterminé à « ne pas
leur permettre d’être à un tour de vis d’obtenir la bombe
nucléaire. »
Le nouveau critère très large pourrait aller
d’une capacité d’enrichissement industriel de 3000
centrifugeuses à, comme l’a mentionné le vice-président américain
Dick Cheney à Sydney la semaine dernière, la « maîtrise
de la technologie », ce que l’Iran a réussi l’an
dernier de façon très rudimentaire. Comme l’a expliqué le
directeur de l’AIEA, Mohamad ElBaradei, au Financial Times
la semaine dernière : « La différence entre acquérir
les connaissances pour fabriquer une bombe et posséder une bombe
est d’au moins cinq à dix ans. Et c’est pour cela que j’ai
dit que les service de renseignement, britannique et américain,
affirment que l’Iran est encore à des années, entre cinq et
dix ans, d’être en mesure de fabriquer des armes nucléaires.»
La secrétaire d’Etat américaine Condoleezza
Rice a répliqué à une déclaration du président Ahmadinejad
selon laquelle le programme d’enrichissement iranien était
comme un train « sans marche arrière », en déclarant
le week-end dernier : « Ils n’ont pas besoin d’une
marche arrière, ils n’ont qu’à s’arrêter et nous pourrons
ainsi aller à la table de négociation pour discuter de la méthode
à adopter pour aller de l’avant. » Mais l’offre de
pourparlers de Rice est complètement vide de sens. Il ne suffit
plus que l’Iran ne possède pas de programmes d’armes nucléaires,
à présent il faut que l’Iran ne maîtrise pas cette
technologie. Et s’il venait à passer le nouveau test, il existe
une longue liste d’autres allégations américaines — un Etat
hébergeant le terrorisme, un fournisseur d’armes aux insurgés
anti-américains en Irak, etc. — qui pourrait être utilisées
comme prétexte à un affrontement militaire.
Toute cette situation ressemble fortement à la
période qui a précédé l’invasion américaine de l’Irak. La
« diplomatie » de l’administration Bush sert à
menacer ses rivaux européens et asiatiques afin qu’ils se
rangent derrière elle dans sa fabrication d’un prétexte et sa
poursuite des préparatifs militaires pour la guerre. Le but de la
stratégie militaire américaine contre l’Iran n’est pas de
mettre un terme à une menace nucléaire inexistante ou au soutien
iranien de la milice chiite irakienne, mais de concrétiser les
plans de l’administration Bush qui visent à assurer la
domination des Etats-Unis sur les régions stratégiques riches en
pétrole du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.
Un nombre grandissant d’articles de journaux
indique l’état avancé des préparatifs de guerre américains
contre l’Iran.
Dans un article de la revue le New Yorker, le
journaliste américain chevronné, Seymour Hersh écrit: « Le
Pentagone continue la planification intensive d’une possible
attaque contre l’Iran, un processus qui a débuté l’an
dernier, suivant les directives du président. Ces derniers mois,
m’a confié un ancien officier supérieur des services de
renseignement, un groupe spécial de planification a été créé
dans les bureaux du chef du personnel, chargé de mettre sur pied
un plan de bombardement d’urgence concernant l’Iran
pouvant être exécuté, sur les ordres du président, dans les 24
heures.
« Ces derniers mois, m’ont dit un
conseiller en objectifs des forces armées de l’air et le
consultant du Pentagone sur les questions de terrorisme, le groupe
de planification pour l’Iran a eu pour nouvelle mission
d’identifier des cibles en Iran qui seraient peut être impliquées
dans la fourniture ou le soutien de militants en Irak. Précédemment,
l’accent avait été mis sur la destruction des usines nucléaires
et d’un possible changement de régime. » Le changement des
missions a beaucoup à voir avec le changement des prétextes pour
la guerre. Indifférent à l’excuse utilisée, un article de la
BBC révélait la semaine dernière que l’armée américaine est
en train de planifier une guerre éclair contre les forces
militaires et l’infrastructure de l’Iran.
Le New Yorker indique également un
possible calendrier. L’administration Bush a déjà ancré deux
groupes de porte-avions dans le golfe Persique pour la première
fois depuis l’invasion de l’Irak en 2003. « Il est
prévu qu’ils seront relevés au début du printemps, mais
certains militaires craignent de recevoir l’ordre de
rester dans la région après l’arrivée de nouveaux
porte-avions, selon plusieurs sources » explique
l’article. « L’ancien haut représentant du
renseignement a dit que le plan d’urgence actuel permet
une attaque pour ce printemps. Il a cependant ajouté que
les officiers supérieurs de l’Etat major comptaient sur la
Maison-Blanche pour ne pas être ‘assez stupide pour faire cela
eu égard les problèmes en Irak, et les problèmes que cela
causerait aux républicains en 2008.’ »
Un autre article du Sunday Telegraph du
week-end dernier révélait qu’Israël négocie avec les États-Unis
la permission de survoler l’Irak en vue de la préparation de
son plan de frappes aériennes contre les installations nucléaires
iraniennes. « Nous nous préparons à toutes les éventualités,
et la résolution de telles questions est d’une importance
cruciale » a dit un officier supérieur de la Défense israélienne
au journal britannique. « L’unique moyen est de survoler
la zone aérienne sous contrôle américain. Si nous ne clarifions
pas immédiatement ces questions, nous pourrions nous retrouver
dans une situation où les avions américains et israéliens se
tirent dessus. »
Le journal israélien Haaretz prétend
que les forces aériennes israéliennes avaient déjà obtenu la
permission de trois Etats du golfe — le Qatar, Oman et les Émirats
arabes unis — de survoler leur espace aérien dans l’éventualité
d’une attaque contre l’Iran. L’article cité dans le journal
Koweitien Al-Siyasa du week-end, indiquait que les
dirigeants de l’OTAN avaient approché la Turquie sur la
même question. Selon un diplomate britannique, la Turquie
ne ferait pas la même « erreur » qu’en 2003, quand
elle avait refusé d’ouvrir son espace aérien aux avions américains
en route pour bombarder l’Irak.
Les Etats-Unis et Israël ont bien sûr démenti
tous ces rapports, mais leurs démentis deviennent de plus en plus
malhonnêtes. Au cours des trois dernières années, Bush
et ses hauts représentants n’ont cessé de déclarer que
« toutes les options étaient sur la table » — y
compris l’option des frappes militaires – face au programme
nucléaire iranien. Cependant, quand le vice-président Cheney a réitéré
cette menace, le week-end dernier lors de sa visite en Australie,
cette menace ne semblait plus être une lointaine possibilité.
(Article original paru le 26 février 2007)
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