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L’administration
Bush fabrique un « dossier » pour justifier la guerre
contre l’Iran
Peter Symonds

L’administration Bush a intensifié sa guerre
de propagande contre l’Iran lors d’un point de presse à
Bagdad dimanche dernier où il a été déclaré que le régime
iranien armait des milices anti-américaines en Irak. Même si le
« dossier » américain ne réussit pas à mettre en
cause Téhéran, cette conférence de presse montre que la
Maison-Blanche est déterminée à fabriquer un prétexte pour une
confrontation militaire avec l’Iran.
Le parallèle avec les mensonges sur les armes
de destruction massive de Saddam Hussein est évident. Ces
mensonges avaient été fabriqués de toutes pièces pour
justifier l’invasion illégale de l’Irak en 2003. Le moment
choisi pour cette conférence donne une indication de son véritable
objectif. Même si les Etats-Unis ont, pendant plus d’une année,
accusé l’Iran de fournir des bombes sophistiquées (roadside
bombs) à des groupes irakiens, ce n’est que maintenant, alors
que l’armée américaine renforce sa flotte dans le golfe
Persique, que la soi-disant preuve est dévoilée.
Le manque de substance du « dossier »
a lui-même fait l’objet d’un débat au sein de
l’administration Bush. Sa publication a été repoussée deux
fois parce que, comme l’a carrément expliqué le conseiller à
la Sécurité nationale Stephen Hadley, « nous croyions
qu’il allait trop loin ». Le département d’Etat et les
hauts responsables des services de renseignement ont déclaré aux
médias sous couvert d’anonymat que la preuve n’était pas
« concluante ». En fin de compte, la conférence de
presse de Bagdad n’a pas été prononcée par l’ambassadeur américain
Zalmay Khalilzad comme cela avait été annoncé, mais par trois
représentants de l’armée américaine qui ont insisté pour ne
pas être nommés.
On a présenté à un auditoire de journalistes
choisis une série de douilles de mortier et de grenades propulsées
par fusée avec des numéros de série qui selon les officiels
permettaient d’établir que les armes avaient été fabriquées
dans des usines iraniennes. L’accent a été mis sur un type de
bombe connu sous le nom projectile à charge formée (EFP,
explosively formed penetrator) pouvant percer la plupart des
blindages, y compris celui des chars Abrams. Selon les présentateurs,
l’arme est responsable de la mort de plus de 170 soldats depuis
juin 2004.
Aucune preuve n’a toutefois été présentée
pour étayer l’affirmation que le régime iranien était
directement impliqué. L’un des trois responsables, présenté
comme un analyste militaire haut placé, a insisté sur le fait
que les armes étaient passées en Irak par une unité spéciale
des Gardiens de la révolution iranienne, la Force al-Qods.
L’implication des Gardiens de la révolution iranienne et de la
Force al-Qods (GRI-Qods), a-t-il déclaré, signifie que les opérations
ont été directement dirigées par « les plus hauts niveaux
du gouvernement iranien ». Lorsqu’il lui fut demandé des
preuves de ce qu’il avançait, il a reconnu que cette
affirmation n’était « qu’une déduction ».
Le New York Times a noté de façon
significative: « Néanmoins, cette déduction, et
l’anonymat des responsables l’ayant énoncée, ne pouvait que
provoquer le scepticisme de ceux qui soupçonnent
l’administration Bush de chercher un bouc émissaire à ses
problèmes en Irak, et peut-être même de tenter de préparer le
terrain pour une guerre avec l’Iran. » En d’autres
termes, il est largement reconnu dans les cercles dirigeants américains
que les accusations actuelles contre l’Iran ne sont rien de plus
qu’un prétexte pour attaquer l’Iran.
La preuve d’une implication des GRI-Qods en
Irak est, elle aussi, peu convaincante. Les officiels américains
ont soutenu que des membres des GRI-Qods se trouvaient parmi les
Iraniens arrêtés lors de raids à Bagdad en décembre dernier et
dans la ville de Irbil, plus au nord, en janvier. L’arrestation
à Bagdad du seul officiel iranien dont on a dévoilé l’identité,
Mohsin Chizari, en même temps qu’au moins quatre autres
personnes, a suscité des protestations non seulement de la part
de l’Iran, mais aussi du gouvernement irakien. Deux des
personnes arrêtées étaient des diplomates officiels invités
par le président irakien Jalal Talibani pour des pourparlers à
Bagdad.
Ces arrestations ont mis en évidence les
contradictions de la politique de l’administration Bush. En évinçant
le régime de Saddam Hussein, les Etats-Unis ont dû avoir recours
à un gouvernement fantoche à Bagdad dominé par des partis
chiites fondamentalistes, ayant des liens de longue date avec l’Iran
voisin. Tout en affirmant qu’ils ont l’autorisation de l’ONU
pour protéger le gouvernement irakien, les officiels américains
accusent les milices chiites du gouvernement de recevoir de
l’aide de l’Iran.
Lors du point de presse, les accusations ont été
portées principalement contre les « éléments rebelles »
de l’Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr, qui est la principale
cible de l’« intensification » du déploiement de
troupes à Bagdad. Cependant, des officiels américains ont aussi
soutenu que des armes avaient été envoyées à la brigade Badr,
qui est liée au Conseil suprême de la révolution islamique en
Irak (CSRII) — l’un des plus proches alliés de Washington en
Irak.
L’Iran a nié vigoureusement avoir fourni des
armes aux milices irakiennes. Le président iranien Mahmoud
Ahmadinejad a rejeté les accusations, affirmant que la sécurité
de son pays dépendait de la stabilité de l’Irak. Le
porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mohammad Ali
Hosseini, a déclaré : « De telles accusations ne sont
pas fiables et ne peuvent être présentées comme preuves. Les
Etats-Unis ont un long bilan de fabrication de preuves. De telles
accusations sont inacceptables. »
A Bagdad, le haut dirigeant chiite Abou Firas
al-Saedi a fait remarquer au magazine Time que les
Etats-Unis portaient des accusations contre l’Iran mais
gardaient le silence sur le soutien envoyé aux milices sunnites
par des pays comme l’Arabie Saoudite, le Koweït et la Jordanie.
« Nous ne nions pas que l’Iran s’intéresse à l’Irak,
et cela est inquiétant », a-t-il déclaré. « Mais la
véritable question est la suivante : “Pourquoi les Etats
arabes permettent-ils aux terroristes d’entrer en Irak en
passant par leurs frontières, et pourquoi les financent-ils ?” »
L’explication réside dans le fait que les
accusations contre Téhéran ne sont rien de plus qu’un prétexte
alors que l’administration Bush se prépare à lancer une
attaque militaire. Washington garde le silence sur l’implication
de l’Arabie Saoudite, du Koweït et de la Jordanie en Irak car
depuis plusieurs mois, il est occupé à tenter d’assurer
diplomatiquement une alliance avec ces Etats arabes contre le
soi-disant « expansionnisme iranien ». Tout en
mobilisant d’autres navires de guerre dans le Golfe persique,
les Etats-Unis ont déployé d’autres systèmes anti-missiles
Patriot pour soutenir la défense des Etats du Golfe persique et
de leurs bases militaires.
C’est un secret de polichinelle à Washington
que l’administration Bush, ou une section significative menée
par le vice-président Dick Cheney, tente agressivement de précipiter
une attaque sur l’Iran. Dimanche dernier, dans l’émission Face
the Nation sur CBS, le sénateur démocrate Chris Dodd a
exprimé un « certain scepticisme » quant aux dernières
allégations contre l’Iran, soulignant le récent rapport de
l’inspecteur général du Pentagone détaillant les activités
du sous-secrétaire à la Défense Douglas Feith qui aurait créé
de toutes pièces des « renseignements » pour
justifier l’invasion de l’Irak.
Lorsque on lui a demandé si l’administration
Bush préparait le terrain pour attaquer l’Iran, Dodd a répondu :
« Eh bien, c’est possible. Certains à qui je pense sont
assurément en faveur d’un tel geste. Nous avons déjà vu
qu’ils n’aimeraient rien autant que de préparer le terrain
pour le faire. Certains d’entre nous nomment cela, l’année
2007, l’année de l’Iran et, dans un sens, cela m’inquiète.
C’est comme ça que nous nous sommes engagés dans le bourbier
irakien. C’est pour ça que certains d’entre nous avaient
appuyé ces résolutions, à cause d’informations fabriquées.
« Aussi, je suis très sceptique, en me
basant sur l’histoire récente, sur cette administration qui
nous conduit dans la même direction. Cela m’inquiète. Ce
n’est pas que l’Iran ne m’inquiète pas. Je suis préoccupé
par l’Iran, et des mesures pourraient être prises, je pense,
pour tenter de changer la direction qu’ils sont en train de
prendre. Mais je suis très inquiet que le travail de base qui est
fait maintenant soit la prémisse d’une opération militaire
contre l’Iran. »
Rien dans les propos de Dodd n’indique que
lui-même ou le Congrès démocrate s’opposeraient à la guerre
contre l’Iran, pas plus qu’ils ne se sont opposés à
l’invasion de l’Irak ou à l’intensification actuelle de la
guerre par Bush. L’élite dirigeante américaine dans son
ensemble est déterminée à établir et maintenir la domination
américaine sur le Moyen-Orient et ses énormes réserves en énergie.
Mais elle est clairement inquiète de la possibilité qu’une
attaque contre l’Iran ait des conséquences désastreuses et
propage la guerre à toute la région.
Dans un commentaire paru dans le New York
Times d’hier, intitulé « Scary Movie 2 » le
chroniqueur Paul Krugman soulignait le danger d’une réédition
de la guerre en Irak. « Attaquer l’Iran serait une erreur
catastrophique, même si toutes les allégations concernant les
agissements de l’Iran étaient vraies. Mais ce ne serait
pas la première erreur catastrophique de cette administration, et
il y a des indications que, au minimum, une puissante faction de
l’administration cherche la bagarre », écrit-il.
Krugman a souligné que la Maison-Blanche
insistait sur la question des armes que l’Iran fournirait à
l’Irak, entre autres, pour éviter d’avoir à obtenir
l’approbation du Congrès. « Si vous pouvez prétendre que
l’Iran intervient en Irak, vous pouvez affirmer ne pas avoir
besoin de l’autorisation pour attaquer – puisque le Congrès a
déjà donné le pouvoir à l’administration de faire ce qui était
nécessaire afin de stabiliser l’Irak. Et avant que les avocats
n’aient terminé d’argumenter, eh bien, la guerre battra déjà
son plein », commentait-il.
Le même prétexte peut être utilisé pour
justifier une attaque contre l’Iran sans l’approbation du
Conseil de sécurité de l’ONU. Les hauts gradés militaires américains
à Bagdad ont insisté auprès des médias sur le fait que les
points de presse soulignaient leur souci d’« une
protection par la force », qui, prétendaient-ils, était déjà
garantie par la résolution de l’ONU autorisant l’occupation
américaine en Irak. En prétendant défendre les troupes américaines,
l’administration Bush cherche à éviter les objections de ses
rivaux alors qu’il prépare une autre guerre d’agression.
Alors que les médias américains soulignent la
menace alléguée que représentent les armes de fabrication
iranienne contre les forces américaines, la vie des soldats américains
en Irak est bien le dernier des soucis de l’administration Bush
dans le « dossier » qu’elle fabrique.
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