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La guerre économique de l’administration Bush contre l’Iran
Peter Symonds
Alors que les Etats-Unis continuent à
renforcer leur flotte dans le golfe Persique, l’administration
Bush a déjà entrepris la guerre économique contre l’Iran dans
le but de ruiner le pays. L’aspect le plus connu de cette
campagne est la tentative par le Trésor américain et d’autres
agences gouvernementales américaines de forcer les gouvernements,
les principales banques, les entreprises pétrolières et
d’autres secteurs économiques de l’Europe et de l’Asie de
mettre fin à leurs investissements, leurs prêts et autres
arrangements financiers avec Téhéran.
Les exigences des Etats-Unis vont beaucoup plus
loin que les sanctions limitées imposées par le Conseil de sécurité
de l’ONU en décembre dernier en réponse au programme de développement
nucléaire de l’Iran. Les Etats-Unis veulent frapper au cœur
des rapports économiques que l’Iran a établi depuis au moins
une dizaine d’années avec l’Europe et l’Asie. La campagne
de l’administration Bush montre clairement que l’objectif
principal de la confrontation avec Téhéran est le rétablissement
de la domination américaine sur ce pays riche en pétrole et ce,
aux dépens de ses rivaux. Les affirmations américaines selon
lesquelles l’Iran fabrique des armes nucléaires et s’ingère
dans l’Irak occupé par les Etats-Unis ne sont que des prétextes
bien commodes.
Washington a déjà indiqué qu’il ferait
pression pour durcir les sanctions lorsque le cas de l’Iran sera
de nouveau étudié par le Conseil de sécurité de l’ONU le 21
février. Pendant ce temps, les responsables américains
exploitent la menace d’une guerre imminente ainsi que les lois
américaines, qui prévoient des sanctions légales contre les
sociétés américaines ou étrangères qui investissent dans les
réserves énergétiques iraniennes, dans le but de forcer les
banques et des sociétés européennes à mettre fin à leurs
relations avec l’Iran.
Vers la fin de janvier, les Etats-Unis ont
concentré leur tir pour bloquer les tentatives iraniennes
d’attirer le capital dont il a désespérément besoin pour améliorer
et agrandir son infrastructure pétrolière et gazière. Un haut
dirigeant d’une société européenne a dit au Washington
Post qu’un responsable du département d’Etat américain
l’avait carrément averti que l’Iran était « chaud et
le deviendrait encore plus ». Un autre cadre a dit que
« L’administration [américaine] met toute la pression
dont elle est capable sur les sociétés étrangères et ne ménage
pas ses efforts pour leur faire comprendre que ce serait une
erreur que de continuer à faire des affaires avec [l’Iran]. »
Ce n’est pas une surprise de voir que les
menaces et la brutalité de Washington suscitent le ressentiment
dans les cercles patronaux et gouvernementaux d’Europe. Un
consultant européen du secteur pétrolier a déclaré à Associated
Press : « Toutes les sociétés pétrolières
vous diront qu’elles reçoivent régulièrement la visite
d’ambassadeurs américains dans leur pays… Personne en Europe
ne va laisser passer l’occasion de faire des affaires avec l’Iran
simplement pour faire plaisir aux Américains. »
Le fait de cibler les sociétés pétrolières
avait pour but de miner une rencontre qui s’est tenue début février
à Vienne et qui était organisée par la société pétrolière
nationale iranienne NIOC désireuse de proposer de nouveaux blocs
de pétrole aux investisseurs étrangers. Malgré les menaces américaines,
plus de 200 représentants d’au moins cinquante compagnies pétrolières
internationales étaient présents. Juste une semaine auparavant,
Shell le géant anglo-néerlandais de l’énergie avait passé
outre les pressions américaines et signé un contrat de plusieurs
milliards avec l’Iran pour développer un projet de gaz naturel
liquéfié (LNG) dans le gisement de South Pars.
L’administration Bush n’a pas l’intention
de laisser de tomber. Prenant la parole le 7 février à Munich,
l’ambassadeur américain à l’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA), Gregory Shulte, a déclaré : « Je
serai franc : du point de vue des Etats-Unis, le Conseil de sécurité
a pris trop de temps et a fait trop peu. Les pays européens
peuvent faire plus, et devraient faire plus. »
Shulte a spécifiquement pointé du doigt les
prêts gouvernementaux visant à faciliter le commerce :
« Pourquoi, par exemple, les pays européens utilisent-ils
des crédits d’exportation pour subventionner les exportations
vers l’Iran ? Pourquoi, par exemple, les gouvernements
européens ne prennent-ils pas davantage de mesures pour décourager
les investissements et les transactions financières ? »
Selon les Etats-Unis, les gouvernements européens ont fourni à
l’Iran 18 milliards dollars de garanties de prêts en 2005 :
6,2 milliards de dollars de l’Italie, 5,4 milliards de dollars
de l’Allemagne, 1,4 milliard de dollars de la France et 1
milliard de dollars de l’Espagne et de l’Autriche. Les
Etats-Unis font aussi pression sur les grandes banques
internationales pour qu’elles coupent les liens avec l’Iran.
Le prêt de crédits commerciaux par les
gouvernements est une pratique internationale très répandue.
Cela n’est pas illégal et ne contrevient pas aux clauses des
sanctions américaines contre l’Iran. La détermination de
Washington à empêcher les relations économiques avec Téhéran
vise autant ses rivaux que l’Iran lui-même. Au cours de la
dernière décennie, l’Union européenne (UE) est devenue le
plus important partenaire commercial de l’Iran en vendant des
machines, de l’équipement industriel et d’autres produits en
échange de réserves énergétiques. Les Etats-Unis en revanche
ne font presque pas de commerce avec l’Iran, ayant pratiquement
maintenu un blocus économique sur le pays depuis que le shah Reza
Pahlavi, proche allié des Etats-Unis, a été évincé en 1979.
Les gouvernements et les entreprises de l’Europe
ne sont pas les seuls à être visés. La Chine se voit menacée
de représailles par les Etats-Unis à cause de ses accords
commerciaux avec l’Iran. Le plus important producteur de pétrole
offshore de l’Iran et de la Chine, CNOOC, a annoncé en décembre
un accord préliminaire évalué à 16 milliards de dollars pour développer
le gisement gazier offshore iranien de North Pars. Une commission
du Congrès américain enquête déjà sur cet accord pour déterminer
si des sanctions économiques ne pourraient être imposées à
CNOOC en vertu de la Loi sur les sanctions contre l’Iran, récemment
renouvelée.
L’Inde a été menacée par la même loi, qui
fournit aux Etats-Unis le droit de sanctionner toute compagnie étrangère
qui investirait plus de 40 millions de dollars dans le secteur de
l’énergie en Iran. L’ambassadeur américain en Inde, David
Mulford, a annoncé de manière significative qu’il avait informé
le ministre des Affaires étrangères de l’Inde, Pranab
Mukherjee, de cette loi avant son voyage en Iran la semaine dernière.
L’Inde participe à un important projet de pipeline gazier de 7
milliards de dollars, qui part d’Iran et traverse le Pakistan,
projet auquel se sont opposés les Etats-Unis.
L’administration Bush a aussi fait pression
sur la Russie pour qu’elle cesse la construction de l’usine
nucléaire iranienne de Bushehr, qui est pratiquement achevée.
Après l’achèvement du contrat de 1 milliard de dollars, la
Russie pourrait obtenir d’autres importants contrats, car Téhéran
prévoit de construire des réacteurs nucléaires additionnels.
Washington a aussi sévèrement critiqué la vente d’armes
russes à l’Iran, y compris son achat récent de systèmes de
missiles anti-aériens sophistiqués.
Le
prix du pétrole comme arme
Le mois dernier, un commentaire dans le Times
de Londres intitulé : « Une nouvelle stratégie américaine
pour l’Iran émerge de Davos », a qualifié l’offensive
économique de l’administration Bush de « mouvement de
tenailles économiques consistant en une diplomatie financière
d’un côté et en une politique énergétique de l’autre ».
La première moitié des tenailles vise à
isoler l’Iran de la finance et du commerce internationaux.
L’Iran est le quatrième producteur mondial de pétrole, mais il
a désespérément besoin d’investissements pour moderniser et développer
ses infrastructures. D’après cet article, la seconde moitié
consiste à faire baisser volontairement les prix mondiaux du pétrole
afin de miner les revenus iraniens provenant des exportations pétrolières.
Le principal allié de l’administration Bush dans cette
tentative de faire baisser les prix du pétrole est l’Arabie
saoudite, qui considère l’Iran comme son plus grand rival régional
et qui, en tant que producteur mondial le plus important, est en
mesure d’augmenter sa production afin de maintenir les prix bas.
L’article du Times explique :
« L’économie de l’Iran dépend entièrement des ventes
du pétrole, qui comptent pour 90 pour cent des exportations et
approximativement pour la même part du budget gouvernemental.
Depuis juillet dernier, le prix du baril de pétrole a chuté de
78 dollars à un prix légèrement supérieur à 50 dollars,
réduisant d’un tiers les revenus du gouvernement. Si le prix du
pétrole baissait pour atteindre un montant compris entre 35
dollars et 40 dollars, l’Iran se trouverait en déficit, et
étant donné que l’accès au marché de prêts étrangers est
bloqué par les sanctions de l’ONU, la capacité du gouvernement
de continuer à financer ses mandataires étrangers s’épuiserait
rapidement. L’Iran a réagi à cette menace en demandant à l’OPEC
de stabiliser les prix, mais en pratique, un seul pays a
suffisamment d’influence pour le faire et c’est l’Arabie
saoudite.
« Au début du mois, dans une déclaration
très significative, Ali al-Naimi, le ministre saoudien du Pétrole,
s’est publiquement opposé à l’appel iranien pour une réduction
de la production dans le but de freiner la chute des prix.
Le discours de M. Naimi était présenté comme une question
technique sans rapport avec la politique, mais il semble confirmer
les avertissements privés du roi Abdullah que son pays allait
tout tenter pour contrecarrer l’hégémonie iranienne partout
dans la région, que ce soit au moyen d’une intervention
militaire ou par l’intervention plus subtile de moyens économiques. »
Les coûts de production iraniens de 15 à
18 dollars le baril étant beaucoup plus élevés que les 2 à
3 dollars le baril de l’Arabie saoudite, la baisse du prix
du baril touche donc beaucoup plus Téhéran que Riyad.
L’Arabie saoudite a bien entendu, nié que son refus de réduire
la production et d’augmenter les prix du pétrole était
d’ordre politique. Le Times, cependant, n’est pas le
seul à spéculer sur une stratégie délibérée des Etats-Unis
et de l’Arabie saoudite visant à miner l’économie iranienne.
Commentant la chute des prix du pétrole, le New
York Times notait le mois dernier que des motivations autres
que purement commerciales « semblent avoir aussi été à
l’œuvre, y compris le désir des Saoudiens de réprimer les
ambitions de l’Iran dans la région. Quelle influence les
Etats-Unis ont-ils exercée ? Cela reste une question qui
demeure sans réponse. Le vice-président Dick Cheney a
rencontré le roi Abdullah de l’Arabie saoudite à Riyad en
novembre, mais son bureau refuse de dire si le pétrole a été un
sujet de discussion. La Maison-Blanche soutient la politique énergétique
de l’Arabie saoudite et le président Bush et son père sont
proches du Prince Bandar bib Sultan, le ministre saoudien de la Sécurité
nationale et ancien ambassadeur à Washington. »
Un conseiller saoudien à la sécurité, basé
aux Etats-Unis, Nawaf Obaid, qui, comme Bandar bin Sultan, défend
une politique saoudienne plus agressive pour bloquer l’influence
iranienne, a ouvertement lancé l’idée dans un article du Washington
Post de novembre d’utiliser le pétrole comme arme économique. « Si
l’Arabie saoudite augmentait sa production et diminuait de moitié
les prix du pétrole, le royaume pourrait encore financer ses dépenses
courantes. Mais ce serait dévastateur pour l’Iran, qui
fait face à des difficultés économiques même avec les prix élevés
d’aujourd’hui », expliquait-il.
On ne sait pas dans quelle mesure un tel projet
est actuellement mis en oeuvre. Mais ce qui est indéniable,
c’est que l’administration Bush mène une offensive économique
contre l’Iran dans le but de miner son économie et
d’affaiblir le gouvernement tandis que les Etats-Unis préparent
une agression militaire. Les objectifs plus larges de la stratégie
économique et militaire sont les mêmes : établir la
domination américaine sur l’Iran et ses réserves d’énergie,
ce qui représente un élément de son plan d’hégémonie américaine
sur tout le Moyen-Orient et l’Asie centrale.
(Article original paru le 12 février 2007)
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