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Accord sur l’arrêt des activités
nucléaires en Corée du Nord : avoir les mains libres pour
le conflit avec l’Iran
John Chan et Peter Symonds
L’accord
passé mardi
dernier entre
les Etats-Unis et la Corée du Nord à
la suite d’une récente série de pourparlers à Pékin a été
largement présenté par la presse internationale comme un
« tournant » et un « accord historique »
permettant d’envisager la fin de plus de cinquante années de
confrontation entre les deux pays.
Rien n’est plus éloigné
de la vérité. Loin de représenter une profonde modification du
cours militariste de l’administration Bush, cet accord constitue
une manœuvre tactique et temporaire qui règle de façon commode
un problème potentiellement explosif à un moment où les
Etats-Unis préparent une guerre contre l’Iran.
Avec ce traité, les
Etats-Unis ont, en apparence du moins, fait volte-face. Après
avoir pris ses fonctions et annulé l’accord-cadre précédent
signé en 1994 avec la Corée du Nord, l’administration Bush
avait catégoriquement refusé d’entreprendre des pourparlers
bilatéraux avec Pyongyang, ou de « récompenser de mauvais
comportements », c’est-à-dire, d’offrir des incitatifs
à la Corée du Nord pour qu’elle abandonne ses programmes nucléaires.
En 2002, Bush avait déclaré que la Corée du Nord faisait partie
d’un « axe du mal » et a plusieurs fois dénoncé le
dirigeant nord-coréen Kim Jong Il, le qualifiant de « tyran »
et de « dictateur ».
Au cours de l’année passée,
Bush s’est abstenu de critiquer publiquement le dirigeant
nord-coréen. Dans la période menant aux pourparlers à six de Pékin,
le négociateur en chef américain, Christopher Hill, a rencontré
son homologue nord-coréen en Allemagne pour jeter les bases de
l’accord conclu cette semaine. Un élément clé de l’accord
est l’approvisionnement de la Corée du Nord en carburant ou un
équivalent en échange d’engagements par rapport à ses
programmes nucléaires.
Un examen de l’accord
montre cependant que les Etats-Unis se sont engagés à bien peu,
particulièrement à long terme. Un calendrier concret n’existe
que pour la phase initiale de 60 jours, au cours de laquelle la
Corée du Nord doit cesser toute activité à son usine nucléaire
de Yongbyon et autoriser la présence en Corée du Nord des
inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA), et cela en échange de 50 000 tonnes de carburant. La
Corée du Nord est aussi tenue de fournir une liste de tous ses
programmes nucléaires, y compris l’extraction de plutonium à
partir de matériel nucléaire usagé.
De l’autre côté, les
promesses américaines sont faciles à répudier. Les Etats-Unis
« entameront » des pourparlers bilatéraux pour
arriver à des relations diplomatiques entières. Les Etats-Unis
« entameront » le processus qui mettra fin à la
caractérisation de Pyongyang comme un Etat parrainant le
terrorisme. Des « groupes de travail » seront formés
pour traiter de la dénucléarisation de la péninsule coréenne,
de la normalisation des relations entre les Etats-Unis et la Corée
du Nord, de la normalisation des relations entre le Japon et la
Corée du Nord ainsi que de la coopération dans les domaines de
l'économie et de l'énergie.
La deuxième phase, pour
laquelle il n’y a aucun calendrier, sera selon l’accord celle
où la Corée du Nord devra démanteler de façon permanente ses
installations nucléaires, y compris son réacteur de recherche et
son usine de traitement du plutonium, en échange de 950 000
tonnes additionnelles de carburant. L’accord signifie que
Pyongyang abandonne les deux réacteurs nucléaires à eau légère
promis aux termes de l’accord de 1994 et ses programmes nucléaires
(son principal atout dans les négociations) contre des promesses
plutôt vagues sur la normalisation de ses relations avec le Japon
et les Etats-Unis. La Corée du Nord a été l’objet
d’intenses pressions, particulièrement de la part de son allié
chinois, pour la forcer à accepter cet accord.
Pour l’administration
Bush, c’est un accord obtenu à bon marché. L’aide totale
offerte concrètement à la Corée du Nord, un million de tonnes
de carburant, représente environ 400 millions $ et équivaut à
seulement deux ans de livraisons telles qu’elles étaient
garanties auparavant par l’accord de 1994. La Corée du Sud, qui
participe aux pourparlers à six avec la Russie, la Chine et le
Japon, a accepté de fournir la majorité de l’aide. Le Japon
avait, ce qui constitua un contretemps dans les pourparlers, refusé
de financer une aide quelconque. Tout comme Washington, Tokyo a
adopté une position très agressive envers Pyongyang.
La presse internationale
se répand en spéculations sur la volonté de la Corée du Nord
à respecter sa part de l’accord. La véritable question est de
savoir combien de temps il faudra à l’administration Bush pour
fabriquer un prétexte lui permettant de se retirer de l’accord
et de reprendre son attitude menaçante. Vu les antécédents des
Etats-Unis dans ce domaine, cela devrait se faire assez
rapidement.
L’accord a déjà
provoqué la colère, à peine voilée, des éléments les plus
militaristes de l’administration Bush et de ses partisans
droitiers les plus extrêmes. L’ancien ambassadeur américain
aux Nations unies, John Bolton, qui devrait être désigné sous
peu au poste de sous-secrétaire d’Etat américain, a immédiatement
qualifié l’entente de « mauvaise affaire ».
« Cela contredit les principes fondamentaux de la politique
que le président poursuit depuis les six dernières années »,
a-t-il affirmé. « De plus, cela fait paraître
l’administration très faible à un moment où, en Irak... elle
doit paraître forte. »
Mercredi, le Wall
Street Journal a publié un éditorial qui tournait l’accord
en dérision et affirmait qu’il représentait la « prolifération
de la bonne foi ». Après avoir déclaré que « M.
Bush pense peut-être que c’est là ce qu’il peut faire de
mieux durant les derniers mois de son administration », le
journal a prudemment évoqué le véritable objectif de cet
accord. « Ou peut-être, selon l’explication la plus
favorable, souhaite-t-il se débarrasser de ce problème afin de
disposer de plus de capital politique pour contrôler les
ambitions nucléaires de l’Iran », a commenté l’éditorial.
La contradiction entre
l’attitude de l’administration Bush envers l’Iran d’une
part, et la Corée du Nord de l’autre, est flagrante.
Contrairement à la Corée du Nord, qui a déjà fait des tests
avec une arme nucléaire rudimentaire, l’Iran a signé le Traité
sur la non-prolifération des armes nucléaires, a respecté ses
conditions et insiste que ses programmes nucléaires sont de
nature pacifique. Malgré tout, Washington a refusé à maintes
reprises d’engager des pourparlers avec Téhéran, intensifie
actuellement sa guerre de propagande contre l’Iran et menace
celui-ci en concentrant une importante armada dans le Golfe
persique.
Bien que le Wall Street
Journal et Bolton aient averti que l’accord avec la Corée
du Nord envoyait le mauvais message à l’Iran,
l’administration Bush n’a aucune intention d’interrompre ses
préparatifs de guerre. Quelles que soient les différences
tactiques existant à la Maison-Blanche à propos de la Corée du
Nord, il y a consensus sur la confrontation violente et
irresponsable qui se prépare contre Téhéran. Comme le laisse
entendre le Wall Street Journal, l’explication logique de
l’entente avec la Corée du Nord est que cela fait un problème
de moins.
Dans le débat public, une
voix est restée remarquablement silencieuse, celle du vice-président
Dick Cheney, dont le soutien d’une politique agressive contre la
Corée du Nord et d’un « changement de régime » à
Pyongyang est bien connu. Cheney s’était auparavant
vigoureusement opposé à toute atténuation de la position américaine
envers la Corée du Nord ou à toute concession à Pyongyang, même
minime.
En 2003, alors que le département
d’Etat américain était engagé dans une activité diplomatique
fiévreuse afin de ranimer les discussions à six, Cheney a
effectivement saboté le processus en rejetant les termes de la négociation.
Le journal Knight Ridder avait rapporté dans son édition
du 19 décembre 2003 que Cheney avait dit lors d’une réunion :
« J’ai été mandaté par le président pour faire en
sorte qu’il n’y ait de négociation avec aucune tyrannie dans
le monde. Nous ne négocions pas avec le mal; nous le battons. »
En septembre 2005, dans
une précédente ronde de négociation à six, un cadre avait été
adopté par toutes les parties en vue d’un accord. Presque
aussitôt l’arrangement éclata, lorsque la Corée du Nord découvrit
que le département du Trésor américain avait gelé 24 millions
de dollars d’avoirs dans la banque Delta Asia basée à Macao,
affirmant que l’argent provenait d’activités illicites. Ce
geste et les efforts subséquents des Etats-Unis pour imposer un
embargo financier ont provoqué l’indignation à Pyongyang, qui
accusa Washington d’avoir négocié de mauvaise foi et refusa de
retourner à la table de négociation.
Plusieurs reportages ont
indiqué que le département de Cheney était impliqué dans le
sabotage des négociations. Les tensions refirent surface lorsque
la Corée du Nord, ignorant les avertissements internationaux,
testa un missile balistique de longue portée et fit ensuite
exploser une petite bombe nucléaire en octobre. Le Japon et les
Etats-Unis firent adopter, avec l’appui de la Chine et de la
Russie, deux résolutions imposant des sanctions contre la Corée
du Nord.
Si les éléments les plus
militaristes de l’administration Bush, menés par Cheney,
n’ont pas imposé leur veto ou saboté, pour le moment, ce
dernier accord, ce n’est pas parce qu’ils ont changé d’idée
sur cette question. Mais c’est plutôt parce qu’ils ont conclu
qu’avec l’armée américaine concentrée sur l’escalade
guerrière en Irak et sur les préparatifs d’une nouvelle
agression contre l’Iran, les Etats-Unis ne sont pas en mesure de
répondre immédiatement à une troisième crise en Corée du
Nord.
À long terme cependant,
les Etats-Unis ne peuvent pas éviter un conflit dans l’Asie du
Nord-Est. Tout comme les guerres au Moyen-Orient visent à
subjuguer cette région riche en pétrole, la confrontation de
l’administration Bush avec la Corée du Nord est liée aux intérêts
stratégiques et économiques américains. Les tensions au sujet
du programme nucléaire nord-coréen ont été un prétexte
commode pour maintenir et renforcer la présence militaire américaine
dans la région, et faire pression sur les rivaux des Etats-Unis
dans la région, sur la Chine en particulier.
Comme le notait le Wall
Street Journal, l’accord récent était « une victoire
pour la Chine, qui cherche à prendre plus de place dans la
diplomatie internationale et a joué un rôle majeur pour que les
discussions aient lieu ». En d’autres termes, le « succès
diplomatique » de Bush a affaibli la position américaine
dans l’Asie du Nord-Est. Une telle situation est simplement
inacceptable pour l’élite dirigeante américaine.
(Article original paru le
16 février 2007)
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