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Irak
Les nouveaux
escadrons de la mort irakiens
Shane Bauer

Photo The Nation
Mercredi 1er juillet 2009
(The Nation – 3/6/09- extraits*)
Les Forces
Spéciales d’Opérations Irakiennes (ISOF ou FSOI) sont
certainement les Forces spéciales les plus importantes jamais
constituées dans le monde par les Américains. Elles échappent
aux contrôles que la plupart des gouvernements imposent à de
telles unités.
Leur constitution a débuté dans les déserts de Jordanie, peu
après la prise de Bagdad, en avril 2003. Là, les Forces
Spéciales - les Bérets Verts - ont entraîné de jeunes
Irakiens de 18 ans qui n’avaient aucune formation militaire. La
brigade formée a été le couronnement de leur rêve : c’était une
unité d’élite, implacable, clandestine, entièrement équipée par
les Etats-Unis, ne répondant qu’aux ordres américains, sans
attache avec aucun ministère irakien.
Selon les rapports du Congrès, l’ISOF comprend neuf
bataillons, répartis dans quatre « bases de commandos »
dispersées à travers l’Irak. En décembre, cette force comprendra
une « cellule de renseignements » fonctionnant
indépendamment des réseaux de renseignements étatiques. Avec
4564 membres, l’ISOF a la même taille que les Forces
Spéciales US en Irak. Toujours selon le Congrès, il est
prévu de doubler ce nombre dans les « prochaines années ».
Pour le Lt. Colonel Roger Carstens, les Forces Spéciales US
sont « en train de mettre sur pied la force la plus
puissante de la région ». En 2008, Carstens, alors officier
supérieur au Centre pour la Nouvelle Sécurité américaine,
était conseiller de la Force Antiterroriste Nationale
Irakienne, où il a aidé les Irakiens à élaborer les règles
du contre-terrorisme en vigueur pour l’ISOF. « Tout ce
que ces gars
veulent », dit-il, «c’est sortir et tuer des sales type
toute la journée… Ils sont aussi efficaces que nous. Nous les
avons entraînés. Ils sont comme nous. Ils utilisent les mêmes
armes. Ils marchent comme des Américains ».
Une
branche occulte de l’armée US
Quand les Forces Spéciales US ont commencé à transférer
petit à petit l’ISOF aux Irakiens en avril 2007, elles ne
l’ont pas placée sous la tutelle du Ministère de la Défense ou
du Ministère de l’Intérieur, institutions qui, de par le monde,
contrôlent de telles unités. Les Américains ont, en revanche,
forcé les Irakiens à créer un Bureau de niveau ministériel
appelé le Bureau du Contre-Terrorisme. Institué
par une directive du premier ministre Nouri al-Maliki, le BCT
qui commande l’ISOF, sans aucune intervention de la
police ou de l’armée, est sous son autorité directe. Selon les
termes de la directive, le Parlement n’a aucune influence sur l’ISOF
dont il ignore les missions. Des individus comme Carstens voient
ce bureau comme « la structure idéale pour le
contre-terrorisme dans le monde ».
Pour les Irakiens, l’ISOF – surnommée La sale brigade
- même si elle se
trouve sous le contrôle officiel du gouvernement, est une
branche occulte de l’armée US. Ce n’est pas loin de la vérité.
Les Forces Spéciales US sont étroitement associées à
chaque niveau de l’ISOF, de la planification à la
réalisation des missions pour décider de la tactique et de la
politique à suivre car « elles disposent de conseillers à
chaque échelon de la chaîne de commandement » selon le
général Simeon Trombitas, véritable fondateur du projet ISOF
alors qu’il dirigeait l’Equipe de Transition de la Force
Nationale Irakienne de Contre terrorisme. Trombitas a passé sept
des ses trente années de service à former des forces spéciales
en Colombie, El Salvador, entre autres. Le 23 février, il m’a
fait faire le tour de AREA IV, une base irako-américaine
près de l’aéroport de Bagdad où a lieu l’entraînement de l’ISOF.
Il me confie qu’il est fier de ce qui a été fait au Salvador
mais il oublie de mentionner que ces forces modelées par les
Etats-Unis sont responsables de la mort, dans les années
1980, de 50 000 civils, sympathisants de la guérilla de gauche.
Au Guatemala, cas similaire : les escadrons de la mort ont tué
140 000 personnes. Au début des années 1990, une unité d’élite
de la police colombienne, Los Pepes, formée par les
Etats-Unis, accusée de nombreux meurtres, constitue l’élément
central de l’organisation paramilitaire actuelle.
Sur
le blog du Département de la Défense, Trombitas affirme que les
campagnes d’entraînement en Amérique Latine peuvent « facilement
être transposées » en Irak. Les forces spéciales
salvadoriennes ont même aidé l’ISOF, me dit-il.
« C’est un monde de coalition. Plus nous travaillons ensemble,
plus nous nous ressemblons. Quand nous partageons nos valeurs et
nos expériences avec d’autres armées, ils deviennent nous ».
En le quittant, je lui demande combien de temps les Etats-Unis
seront engagés auprès de l’ISOF. « Les forces
spéciales sont spéciales parce que nous conservons des relations
avec des forces étrangères. Une partie de notre stratégie
d’engagement sur le terrain est de maintenir des liens avec les
unités qui sont importantes pour la sécurité de la région et du
monde… Nous allons avoir des relations de travail pour un
certain temps » m’assure-t-il.
La milice
d’al-Maliki
C’est ce que craint un membre du Parlement irakien, Hassan al-Rubaie
qui les voit d’un mauvais œil. « Si les Etats-Unis quittent
l’Irak, ce sera la dernière force qui y restera ». Il
s’inquiète qu’une force aussi puissante et secrète, étroitement
liée aux Américains, puisse transformer l’Irak en « une base
militaire dans la région » leur permettant ainsi de
continuer à conduire des missions en Irak sous couvert de l’ISOF.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule cause de méfiance des
parlementaires. En août dernier, les bâtiments du gouvernorat de
Diyala furent l’objet d’un raid de la part de l’ISOF
appuyée par des hélicoptères Apaches US au cours duquel des
membres du Parti islamique sunnite furent arrêtés. En réponse à
la levée de boucliers du Parlement, Maliki, qui doit approuver
chaque opération de l’ISOF,
a démenti avoir eu connaissance de l’affaire. D’où la
question : qui a donné l’ordre ? Les Américains ? Maliki a-t-il
menti pour cacher que l’ISOF a été utilisée à des fins
politiques ? Depuis, d’autres opérations du même type ont eu
lieu : en décembre, 35 fonctionnaires, opposants au Parti Dawa
de Maliki, furent arrêtés à Sadr City. Dans ce quartier, où les
Américains ne s’aventurent pas, l’ISOF
conduit des opérations
de châtiment collectif pour intimider la population. Certains
parlementaires craignent que l’ISOF devienne l’escadron
de la mort personnel du Premier ministre. Pour le député Abdul
Karim al-Samarrai, entre autres, le démantèlement du BCT
doit être effectif car « il n’existe aucune base légale pour
l’existence d’une brigade armée hors du contrôle du ministère de
la Défense ou de l’Intérieur ».
Or,
Obama a indiqué qu’il s’appuiera davantage sur les forces
spéciales US. La nomination par Robert Gates et de Stanley
McChrystal en Afghanistan montre qu’il tient sa parole. De 2003
à 2008, ce dernier a été à la tête de Commandement Conjoint des
Forces Spéciales qui supervise les forces les plus secrètes de
l’armée et est responsable de la formation des forces spéciales
à l’extérieur. McChrystal a également été le commandant des
Forces Spéciales d’Opérations US en Irak pendant cinq ans. Selon
le Wall Street Journal, il y « commandait des unités
qui se spécialisaient dans la contre - guérilla, y compris la
formation d’unités locales ». Pour certains, les unités
locales sont utilisées pour des opérations clandestines. « Le
commandement des Forces Spéciales d’Opérations des Etats-Unis
cultive des relations avec les forces spéciales d’autres pays
parce cela permet aux Etats-Unis d’intervenir militairement de
manière anonyme. L’opération clandestine idéale est celle qui
est conduite par des forces locales».
*Article résumé par Xavière Jardez - Texte intégral :
http://www.thenation.com/doc/20090622/bauer
Publié le 1er juillet 2009 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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