Yitzhak Shamir voulait rencontrer Sadam
Quand Israël faisait du pied à
Saddam
Gilles Munier
Gilles Munier
Dimanche 20 décembre 2009
Le général Hussein Anwar, ancien cadre de l’IIS (Iraqi
Intelligence Service) réfugié dans un pays du Golfe, a
révélé sur son blog (The Mesopotamian) qu’en 1989 un
Suisse a approché Barzan al-Tikriti, ambassadeur d’Irak à Genève
– et demi-frère de Saddam Hussein - pour lui proposer
de rencontrer un envoyé spécial israélien, porteur d’un message
destiné au Président irakien. Le général affirme tenir cette
information, et ce qui s’est passé ensuite, du Président et de
Barzan, ancien directeur de l’IIS.
Rappelons qu’au début 1989, l’Irak sortait vainqueur de 8 ans de
guerre avec l’Iran. Les efforts de son gouvernement étaient
focalisés sur la reconstruction du pays. Barzan demanda à Saddam
s’il fallait donner suite à la demande. Le Président répondit
par l’affirmative et chargea Hamid Youssef Hamadi, son ancien
chef de Cabinet, ministre de l’Information, d’aller à Genève
pour le seconder. L’ordre était d’écouter en silence et de
rendre compte.
Barzan pensait qu’Israël leur délèguerait un officier ou, tout
au plus, un directeur adjoint du Mossad. Quelle ne fut pas sa
surprise de découvrir que ce serait Yitzhak Shamir, Premier
ministre d’Israël, qui participerait à la réunion qui allait se
tenir dans un endroit discret de la capitale suisse.
Pour mémoire, il faut savoir que Shamir est non seulement un
ancien membre du Mossad, mais aussi qu’il a dirigé le Groupe
Stern dans les années 40, une organisation sioniste terroriste
anti- anglaise qui a proposé à Adolphe Hitler de l’aider à
s’emparer de la Palestine.
En psychologue averti des us et coutumes arabes, Yitzhak Shamir
est entré dans le vif du sujet en disant qu’il s’adressait à
Abou Odaï, le « Père d’Odaï », une formulation à
connotation affective traduisant le respect porté à un proche.
Il leur dit que l’Irak avait remporté la guerre contre l’Iran et
que l’armée irakienne était désormais la plus forte du
Moyen-Orient, qu’il n’était pas là pour demander que l’Irak
reconnaisse Israël comme Etat juif. Il leur demandait de
transmettre ses respects à Abou Odaï et de lui dire qu’il était
prêt à le rencontrer à Bagdad ou dans n’importe quel pays de son
choix.
Shamir percevait les discours de Saddam sur le conflit
israélo-palestinien comme une menace, car ils enflammaient la
rue arabe. « Nous luttons avec les Palestiniens depuis 50
ans », dit-il, « laissez-nous lutter 50 ans encore, mais en vous
tenant à l’écart ». Qu’Abou Odaï oublie la Palestine, du
moins dans ses interventions télévisées, et il en ferait faire
le plus puissant des chefs d’Etat arabes. Israël l’aiderait à
renverser et à introniser qui il voulait de la Mauritanie à
l’Irak. « Mais, si vous commettez l’erreur de frapper
Israël, ne serait-ce qu’avec un seul missile », avertit
Shamir, « je vous promets de faire revenir l’Irak à l’âge de
pierre ». La même menace, en des termes quasi identiques
- faire retourner l’Irak à l’âge pré-industriel - fut
lancée par le secrétaire d’Etat américain James Baker à Tarek
Aziz et Barzan, à Genève, le 9 janvier 1991, lors de la
conférence qui précéda la Première guerre du Golfe.
Barzan, pas impressionné, répondit à Shamir que sa proposition
était inacceptable, qu’aucun baasiste ne consentirait à trahir
son serment de militant. Il prit l’avion pour Bagdad où il
rendit compte à Saddam de la réunion, verbalement. Ce dernier
écouta attentivement, refusa la proposition israélienne et donna
l’ordre de couper tout contact avec des envoyés sionistes. Il
rappela que la libération de la Palestine est la priorité n°1 du
parti Baas et, bouillant de colère, cria : « et qu’en enfer
aillent les colonisateurs et les traîtres… ».
Source :
http://nebuchadnezzar-ii.blogspot.com/2009/12/israeli-offernot-our-kind-of-offer.html
Nota :
1)
La proposition d’Yitzhak Shamir n’est pas sans rappeler celle
faite, en 1191, par Richard Cœur de Lion à Salah Eddine al-Ayoubi
(Saladin) lors de la 3ème Croisade. « S’agissant de
Jérusalem, c’est notre lieu de culte», avait
déclaré le roi anglais au sultan, par l’intermédiaire d’Al-Adel,
frère de ce dernier, « nous n’accepterons jamais d’y
renoncer, même si nous devons nous battre jusqu’au dernier ». Salah Eddine avait répondu : « La ville sainte est autant
à nous qu’à vous ; elle est même plus importante pour nous car
c’est vers elle que notre prophète a accompli son
miraculeux voyage nocturne et c’est là que notre communauté sera
réunie le jour du jugement dernier. Il est donc exclu
pour nous que nous l’abandonnions. Jamais les musulmans ne
l’admettraient ». On connaît la suite... (cité par Bishara
Khader, L’Europe et la Palestine : des Croisades à nos jours,
Ed. L’Harmattan, 1999).
2)
En 1982, après la fermeture de l’oléoduc Kirkouk-Banyas par la
Syrie, Yitzhak Shamir avait proposé à l’Irak d’exporter son
pétrole via Haïfa. Saddam avait refusé. Hanan Bar-On,
sous-directeur au ministère des Affaires étrangères israélien,
était revenu à la charge avec le projet de la société américaine
Bechtel de construire un pipeline Kirkouk-Aqaba… qu’un certain
Donald Rumsfeld était allé « vendre » à Bagdad en décembre 1983
et mars 1984.
Nouveau refus de Saddam. (Lire : La soif de pétrole irakien
d’Israël, par Gilles Munier*).
*
http://www.france-irak-actualite.com/pages/Petrole_Israel_et_le_petrole_irakien_mars_2008-1969256.html
Publié le 21 décembre 2009 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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