Nouvelles d'Irak
Entretien
n°16 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Jeudi 15 juillet 2010
Baghdad Operation Center
19 mars 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous-titres et notes : Gilles Munier
Projection d’un
documentaire
de propagande occidentale
(1)
Saddam Hussein (Détenu de Haute Valeur n°1) a été
interviewé le 19 mars 2004 dans un bâtiment de détention
militaire à l’Aéroport International de Bagdad (AIB),
Bagdad, Irak. Hussein a fourni les informations suivantes :
Avant le début de la session, Hussein a été informé que l’entretien
du jour comportera la projection d’un documentaire sur la
situation dans le sud de l’Irak en 1991 (1), à la suite
de la première guerre du Golfe.
Pour connaître la vérité,
il faut s’adresser aux personnes
concernées
Avant le visionnage, Hussein a expliqué que toute personne présente
les faits en fonction de ses croyances et de son expérience de
la vie. Malgré cela, elle peut aussi être influencée par
l’opinion des autres. C’est ainsi qu’une personne exposant ses
informations sur l’Irak ou un autre pays, le fait sous trois
angles. Le premier est « une échelle divine », selon
ses propres croyances. Le deuxième est une échelle prenant en
compte son expérience de la vie dans son propre pays. Le
troisième et dernier se fonde sur ce qu’elle sait de son pays
par les Nations unies et le droit international. Hussein a
alors demandé à l’interviewer : «Et, vous qui projetez le
film : quel est votre point de vue ? ». Pour Hussein, le
savoir lui permettrait de répondre aux questions et commenter au
mieux.
L’interviewer a dit à Hussein qu’il fallait écouter tous les faits
afin de découvrir la vérité. Hussein a demandé : « Comment
saurez-vous que c’est la vérité ? ». Il a ajouté qu’il
utilisait des médias occidentaux, probablement biaisés, afin de
déterminer la vérité. Il a ajouté : « Vos forces armées
occupent mon pays. Vous êtes libre. Je suis prisonnier ».
Il a ajouté que si quelqu’un cherche la vérité, il doit
s’adresser directement aux personnes concernées. Quant au sud de
l’Irak en 1991, après la guerre, Hussein a dit qu’il fallait
parler « à ceux qui ont été violés, telles les femmes »
par ceux qui avaient été envoyés par l’Iran. Ces mêmes individus
ont commis, entre autre, des pillages, des massacres, des
incendies. Il pense que l’on doit contacter ceux qui sont
de son avis.
Hussein a déclaré que ce documentaire, préparé en Occident et
diffusé pour la première fois en Amérique, n’est pas un
film neutre, produit par des individus neutres. Ce film est
probablement empreint des enseignements du Christ, des lois
américaines, du droit international et du style de vie aux
Etats-Unis. Hussein a souligné qu’il ne voulait pas mettre
l’interviewer mal à l’aise mais, a-t-il ajouté, ce dernier doit
« apprendre la vérité telle qu’elle est » et non pas
comme Hussein la lui présente, ni comme le film la raconte.
Les
« traîtres se sont soulevés
sur l’ordre d’un pays étranger »
L’interviewer a alors commencé la projection du documentaire d’une
heure environ. Hussein a dit que la scène montrant les chiites
dans le sud de l’Irak « pouvait être vue ailleurs, même
aujourd’hui ». Il a ajouté que les chiites filmés à
Kerbala, dans la mosquée, n’étaient ni enfermés ni encerclés
comme il y était décrit. Se rapportant aux paroles du reporter,
à propos de tanks irakiens s’approchant de la mosquée, Hussein a
demandé : « Où sont les tanks ? ». Il a ajouté que la
déclaration entendue dans le documentaire selon laquelle le
Président Bush « avait encouragé » les chiites à se
soulever contre le gouvernement irakien « est l’aveu d’un
crime » (2).
Hussein a demandé alors la date de réalisation du documentaire, le
nom du commentateur et le nom de l’organisation
non-gouvernementale pour laquelle le reporter travaillait.
A propos de la scène montrant des chiites fuyant le sud de l’Irak
vers le territoire kurde du nord, Hussein a remarqué qu’ils
« ne semblaient pas avoir peur, qu’ils semblaient heureux ».
Il a ajouté que les individus en question semblaient être des
Kurdes, pas des chiites.
Après 23 minutes de projection, Hussein a déclaré qu’il était
l’heure de ses exercices et de sa prière. Quand l’interviewer
lui a fait remarquer que les exercices pouvaient être repoussés
à plus tard, Hussein a répondu : « Je pense que c’est assez
pour l’instant ». La suite du documentaire pourrait être
visionnée un autre jour, a-t-il dit : « Pourquoi cette
hâte ? ».
Sur les murs
de la mosquée de l’Imam Hussein :
le sang de
« camarades »
exécutés
Sans être sollicité ou questionné, il a fait quelques commentaires.
Il a noté que le documentaire établit que les chiites se sont
soulevés contre le gouvernement irakien avec les
encouragements du Président Bush. Hussein a déclaré que les
« traitres se sont soulevés sur l’ordre d’un pays étranger »
et ont déclaré la guerre à leur propre pays.
Hussein a affirmé que l’interview de l’ayatollah Khoei (3)
portait en lui une contradiction par rapport aux événements.
Selon le commentateur, Khoei croyait en l’aspect pacifique de sa
religion. Hussein a constaté que la réponse de Khoei aux
questions du commentateur indique qu’il n’accepte pas que
politique et terreur/violence se combinent. Selon Hussein, cela
est en contradiction flagrante avec les actions des chiites.
Sur le compte-rendu de la conduite des chiites, il a réaffirmé :
« Nous pouvons assister à cela n’importe où » car,
selon lui, si un insurgé ne rend pas ses armes, il faut les lui
enlever de force. Il a ajouté que les chiites avaient fait du
mausolée de l’Iman Hussein le quartier général de leur
résistance et que le sang couvrant les murs intérieurs du
sanctuaire n’était pas celui de chiites tués au cours de
l’assaut des forces gouvernemental, mais celui de
« camarades » irakiens exécutés dans le bâtiment (4).
Hussein a dit que l’individu présenté dans le documentaire, la
langue prétendument coupée, peut tout simplement être un muet.
Le documentaire ne fournit aucune information sur les
raisons ou les personnes qui lui ont coupé la langue sauf qu’il
s’agit des services secrets irakiens.
Hussein est d’avis que les Kurdes que l’on voit marchant et
quittant leurs villages peuvent vouloir « émigrer » ou
peut-être s’éloigner d’une zone de combat.
Hussein a demandé si le commentateur avait posé la question aux
chiites à propos de ce qu’ils avaient perdu lorsque « les
criminels sont venus occuper leur ville ». Il a déclaré
être désolé pour la personne qui visionnerait ce documentaire
sans connaître la vérité. Il a posé une question toute
rhétorique : « Qui aurait pu penser que les chiites se
comporteraient de cette façon, en réponse à des événements
survenus il y a 1300 ans » ?
Hussein a accepté de poursuivre le visionnage du film et de le
commenter.
Note :
(1)
Documentaire : « La dernière
guerre de Saddam Hussein ».
(2)
Le 15 février 1991, George Bush
(père) ayant déclaré sur la
Voix de l’Amérique
et sur des tracts jetés par avion:
« L’armée irakienne et le peuple irakien
doivent prendre leur destin en main et forcer Saddam Hussein, ce
dictateur, à se retirer », les
milices chiites et les agitateurs pro-iraniens passèrent à
l’action dans le sud du pays. Le soulèvement fut promptement et
durement réprimé.
(3)
Le Grand ayatollah Abul-Qassim al-Khoei, mort en août 1992,
était le guide spirituel des chiites se réclamant de la
Haouza
de Nadjaf. Un de ses disciples, l’ayatollah Ali al-Sistani, lui
a succédé. Le 10 avril 2003, lendemain de la chute de Bagdad,
Abdul Majid al-Khoei, un des fils d’Abdul-Qasim, qui dirigeait à
Londres la Fondation Al-Khoei,
a été assassiné près du sanctuaire de l’Imam Ali à Nadjaf. Il
était considéré comme un agent du MI6, service secret
britannique. Le régime de Bagdad a accusé Moqtada al-Sadr
du meurtre.
(4)
En 1992, lors du soulèvement chiite dans le sud de l’Irak, les
dirigeants locaux du parti Baas, et souvent leur famille, furent
massacrés par des agents pro-iraniens.
© G. Munier/X.Jardez
- Traduction en français et notes
Publié le 16 juillet 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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