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Guerre du pétrole à Kirkouk
Hold-up
à Baba Gurgur
Gilles Munier
Gilles Munier
5 octobre 2007
Poussés par leurs
dirigeants, des centaines de milliers de Kurdes d’Irak, mais
aussi des Kurdistans syrien, iranien, turc, s’installent à
Kirkouk. Bien plus que le nombre d’habitants expulsés du temps
de Saddam Hussein. Le but : modifier la composition ethnique de la
ville avant le référendum qui décidera du statut de la région
fin 2007.
Depuis le 10 avril 2003 – lendemain de
la chute de Bagdad - on assiste à Kirkouk à une véritable
invasion kurde : Massoud Barzani et Jalal Talabani, respectivement
dirigeants du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) et de
l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) organisent
militairement l’immigration massive des Kurdes vers les
territoires irakiens qu’ils veulent conquérir. Les nouveaux
venus s’inscrivent sur les listes électorales et attendent le référendum
devant se dérouler avant le 31 décembre prochain. But de l’opération
: donner un vernis démocratique à l’annexion de la région par
les Kurdes et céder aux Américains le champ pétrolifère de
Baba Gurgur, situé près de Kirkouk.
Turcomans
et Kurdes
L’International Crisis Group (ISG) a
recueilli le témoignage d’un membre – turcoman - du
Gouvernorat qui résume la situation : « En 2003, Kirkouk
avait 800 000 habitants. Elle en a maintenant 1 150 000. D’où
viennent les 300 000 habitants supplémentaires ? Ils
correspondent à 50 000 familles. On sait que 10 000 familles ont
été expulsées, d’où viennent ces 40 000 familles supplémentaires
? ». Depuis, la population est passée à 1 500 000
habitants, majoritairement kurdes, donc pour l’annexion.
La mise en œuvre de l’opération n’est
pas simple car l’article 140 de la nouvelle « constitution
» irakienne stipule que le référendum doit être précédé par
la « normalisation » de la situation dans la région, et
par un « recensement ». La « normalisation » est
en cours. Elle signifie le retour des Kurdes, Turcomans et
Assyriens déplacés et - parallèlement - le départ des
Arabes qui les ont remplacés. Des pressions sont exercées sur
les Kurdes qui refusent d’y retourner parce qu’ils ont refait
leur vie ailleurs ou craignent que l’annexion tourne au bain de
sang. Pour les faire changer d’avis, le « Gouvernement régional
kurde » ne leur délivre plus de documents administratifs et
les prive d’aides sociales.
Les méthodes employées contre les
non-Kurdes sont plus radicales. S’ils refusent les 15 000
dollars de dédommagement, ils risquent d’être assassinés ou
de disparaître dans les prisons de la Région autonome.
L’attentat du 7 juillet 2007 à Amirli – 150 morts, 250
blessés - rappelle la sauvagerie de l’Irgoun en
Palestine. Sur place, les services secrets kurdes sont accusés et
la réponse n’a pas tardé : le 16 juillet une voiture a explosé
à Kirkouk devant un siège de l’UPK, faisant de
nombreuses victimes.
Les nouveaux arrivants à Kirkouk n’y
vivent pas tous. Beaucoup restent à Soulimaniya ou à Erbil,
faute de logements ou pour des raisons de sécurité. Ils n’y
vont que le week-end pour justifier leur « déménagement ».
A Kirkouk, il suffit de creuser des fondations ou de réserver un
appartement dans un immeuble à construire, pour devenir électeur…Le
« recensement », néanmoins, n’est pas facile à
organiser. Il doit faire le décompte ethnique et religieux des
habitants de la région de Kirkouk, et celui des « territoires
disputés », c'est-à-dire revendiqués par les Kurdes. Le
problème, c’est qu’ils s’étendent du Mont Sinjar à la
frontière syrienne, jusqu’à la frontière iranienne… et à
une vingtaine de kilomètres au sud de Bagdad. Pour les Arabes,
Turcomans, Yézidis, Shabaks, et Assyriens qui peuplent les lieux
depuis des lustres, tous hostiles à la partition de l’Irak,
c’est une déclaration de guerre. Il y a toujours eu des Kurdes
à Kirkouk, mais ceux qui prétendent que la ville est kurde
falsifient l’histoire. Les archives ottomanes, les récits de
voyageurs, les rapports des diplomates en poste en Mésopotamie et
des espions – notamment de l’Intelligence Service au
début du 20ème siècle – attestent sans
exception que Kirkouk et sa région sont turcomanes. Les
dirigeants kurdes font remonter leur droit de constituer un Etat
au Traité de Sèvres de 1920, mais oublient de dire que le
Kurdistan promis… ne comprenait pas Kirkouk. A l’époque, les
Britanniques n’auraient pas apprécié qu’ils réclament une région
aux ressources prometteuses : les veines pétrolifères détectées
allaient de Mossoul à Kasr El Chirin, en passant sous Tuz
Khurmatu, Kifri, Mandali, régions peuplées majoritairement de
Turcomans, et non de Kurdes. En février 1925, la commission de la
Société des Nations qui enquêtait sur la question de Mossoul
– attribuée à la France par l’accord Sykes-Picot -
proposa officieusement aux dirigeants irakiens de rattacher le
wilayet à l’Irak s’ils s’engageaient à céder la Compagnie
Turque des Pétroles aux Britanniques, ce qu’ils
firent. La frontière irakienne fut donc tracée comme le
souhaitaient les Anglais.
La découverte de l’immense champ pétrolifère
de Baba Gurgur, le 15 octobre 1927, bouleversa l’équilibre
ethnique des alentours. Aux Kurdes qui y vivaient, s’ajoutèrent
ceux recrutés par l’Irak Petroleum Company (IPC)
: montagnards réputés dociles et durs à l’ouvrage. Le
quartier Imam Kassim, à Kirkouk, leur fut réservé. L’IPC
les préférait aux Turcomans soupçonnés de kémalisme, et les
utilisait pour contrer l’influence grandissante du nationalisme
arabe et du bolchevisme en Irak.
Les Kurdes de Kirkouk sont pour une bonne
part descendants des réfugiés des guerres déclenchées sous la
monarchie et les régimes républicains. La révolte de Cheikh
Mahmoud, proclamé « roi du Kurdistan » en novembre 1922,
fut écrasée dans le sang. Des milliers de montagnards kurdes,
fuyant les bombardements au gaz mortels de la RAF, s’y réfugièrent.
En 1945, la première révolte de Mustapha Barzani fut également
écrasée par les Anglais. Les habitants des villages détruits y
affluèrent eux aussi, tandis que leur chef trouvait asile en URSS
après une courte période comme général dans l’éphémère République
kurde de Mahabad, en Iran.
Baba Gurgur encerclé en rouge - Carte azady.nl
La
guerre pour Kirkouk
Après le renversement de la monarchie, le 14
juillet 1958, le Président Abdel Karim Kassem décréta une
amnistie générale. Barzani, alors pro communiste, rentra
triomphalement à Bagdad. L’entente entre eux dura deux ans,
jusqu’à ce que le chef kurde – conseillé par les Soviétiques
désireux de gêner les approvisionnements pétroliers occidentaux
- exige la création d’une région autonome avec Kirkouk
pour capitale. Kassem lui déclara aussitôt la guerre. En
septembre 1961, des milliers de réfugiés kurdes aboutirent à
Kirkouk. Ils furent installés à Iskan, à l’est de la
ville.
L’URSS soutenant finalement les
gouvernements irakiens successifs, Barzani se tourna vers l’Iran,
Israël et les Etats-Unis qui l’utilisèrent pour déstabiliser
le régime des frères Aref, puis les baasistes arrivés au
pouvoir en juillet 1968. En juin 1972, Barzani s’opposa à la
nationalisation de l’IPC affirmant que le pétrole du
nord était kurde et qu’il en céderait l’exploitation aux Américains
dès l’accession du Kurdistan à l’indépendance. En mars
1974, il refusa la loi d’autonomie négociée avec Saddam
Hussein, prétextant que la carte de la Région n’englobait pas
Kirkouk. Les combats reprirent, avec leur lot de morts et de réfugiés.
La guerre Iran-Irak en septembre 1980 entraîna la destruction de
nouveaux villages le long des frontières avec l’Iran. Les
rescapés se retrouvèrent dans des hameaux construits dans la
plaine d’Erbil. Depuis la chute de Bagdad, le 9 avril 2003, ils
ont été transférés à Kirkouk dans la perspective du référendum.
La guerre du Golfe de 1991, l’embargo puis
le renversement de Saddam Hussein, ont donné aux séparatistes
kurdes l’opportunité de créer un Etat. Sauront-ils la saisir ?
Rien n’est moins sûr, car Kirkouk n’est pas seulement une
pomme de discorde entre Irakiens – Arabes et Turcomans contre
Kurdes - mais entre Massoud Barzani et Talabani qui se détestent
cordialement. Ce dernier se prévaut de droits spécifiques,
arguant que la plupart des Kurdes de Kirkouk parle le Sorani,
dialecte de Soulimaniya, son fief.
Les deux chefs de guerre se livrent à une
surenchère verbale sans en mesurer les conséquences. Pour
Barzani, Kirkouk est « le cœur du Kurdistan », et pour
Talabani le « Jérusalem des Kurdes », une suggestion,
dit-on, du Mossad israélien. Forts des promesses américaines,
ils pensent l’emporter. S’ils réussissent, la ville sera la
capitale de la Région autonome, puis d’un Etat « indépendant
», et peut-être un jour celle d’un « Grand Kurdistan
» englobant les régions kurdes des pays limitrophes.
L’entreprise américaine Bechtel qui a construit le pipeline
Kirkouk-Haïfa – fermé avec la création d’Israël en 1948
- étudie déjà les moyens d’alimenter Israël en pétrole et
en eau à partir du Kurdistan irakien…
C’est évidement compter sans la résistance
irakienne, et la réaction plus ou moins violente de la Turquie où
des kémalistes estiment avoir un droit de regard sur l’ancien
wilayet de Mossoul. C’est aussi ignorer Moqtada Sadr qui
soutient les chiites des Marais expulsés de Kirkouk. Cela ne leur
enlève pas le droit de vote dans le gouvernorat, dit-il. Les
transferts d’inscriptions d’Arabes ou des Turcomans sur des
listes électorales d’autres régions – en échange de
quelques centaines de dollars - sont parfaitement illégaux.
Il se propose d’organiser avec eux un référendum parallèle si
les Kurdes maintiennent le leur.
Le hold-up kurde en préparation à Kirkouk
inquiète le Proche-Orient. Selon Al-Binah al-Jadidah,
quotidien chiite bagdadi, le roi Abdallah d’Arabie a proposé en
avril dernier à Massoud Barzani et Borham Saleh, « Vice-Premier
ministre » irakien, 2 milliards de dollars pour qu’ils
reportent le référendum de 10 ans. Ils ont refusé.
Bloomberg Markets estime les réserves
pétrolières de la Région autonome à 25 milliards de barils.
Avec Kirkouk – 10 milliards de barils – et les « territoires
disputés » – 20 milliards de barils – les revenus
du « Grand Kurdistan irakien » dépasseraient ceux du
Mexique ou du Nigeria. On comprend que ces chiffres donnent le
vertige aux chefs féodaux kurdes et suscitent à l’étranger
bien des convoitises.
Publié le 11 octobre
2007 avec l'aimable autorisation de Gilles Munier
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