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Le Hamas : problème ou solution ?
Hassan Nafaa



Mais précisément, avec quel Israël le Hamas est-il supposé négocier ? Avec l’état de fait qui occupe en ce moment des territoires palestiniens, libanais et syriens ? Ou avec l’état juif avec son droit à exister internationalement reconnu et des frontières définies par l’Assemblée Générale [des Nations Unies] lors de la partition de 1947 ? 

Je suis heureux d’avoir décidé d’appeler Khaled Meshaal et de l’avoir félicité pour la grande victoire du Hamas lors des élections législatives palestiniennes. Cet appel téléphonique n’était pas motivé par une quelconque préférence politique ou idéologique vis-à-vis d’une organisation palestinienne par rapport aux autres, mais par la conviction que ce moment crucial et délicat demande que l’on fasse preuve de solidarité -- même si celle-ci n’est que symbolique -- avec ceux qui prennent en charge le poids de la responsabilité nationale et religieuse.

Avec cette victoire, la cause palestinienne ainsi que les causes de la nation Arabe dans son ensemble sont arrivées à un croisement qui est à la fois plein de dangers et d’opportunités. Un simple coup d’œil aux réactions internationales, et particulièrement dans les pays occidentaux, est suffisant pour comprendre qu’une nouvelle tempête s’annonce à l’horizon, prête à éclater non sur des organisations ou tendances en particulier, mais sur l’ensemble d’entre elles. C’est le moment de resserrer les rangs et de se préparer à toutes les éventualités, dont celle d’une guerre et de bouleversements à travers la région car la victoire du Hamas s’est produite dans une période de fortes pressions occidentales sur le Liban, la Syrie et l’Iran, et il n’est pas exlu que les puissances de l’Ouest ne cherchent à utiliser cette victoire comme un prétexte pour déclencher des opérations militaires qui avaient été temporairement différés.

En étudiant les réactions des pays occidentaux suite à la victoire du Hamas, j’ai été frappé par un article de Daniel Pipes dans le journal canadien National Post daté du 27 janvier. Son titre : « La victoire du Hamas, fruit amer de la démocratie », résumait joliment la teneur de l’article : les pays de la région ne sont pas prêts pour la démocratie ; les pressions américaines sur leurs grouvernements afin qu’ils se démocratisent n’aboutiront qu’à amener au pouvoir les ennemis mortels de l’Occident et à conférer de la légitimité à des organisations « terroristes ». Pipes n’est pas une voix isolée. Il reflète une opinion émergente qui veut que l’administration des Etats-Unis abandonne ses objectifs de démocratisation dans la région et remette en avant les véritables et premiers objectifs poursuivis.

Peu de temps auparavant, la secrétaire d’état Condolezza Rice a provoqué un choc lors de son intervention à l’université américaine du Caire lorsqu’elle a avancé le concept de « chaos créatif ». Durant la séance de questions-réponses qui s’en est suivie, certains participants tentèrent de la prévenir qu’une démocratisation trop brutale pouvait déboucher sur l’anarchie, laquelle pourrait être exploitée par les groupes islamiques qui se propulseraient au pouvoir. Elle a alors répondu en disant que c’était le népotisme qui avait frappé les Etats-Unis le 11 septembre, que cette situation ne pouvait plus durer et que les Etats-Unis préféraient le changement, même s’il débouchait sur un certain chaos, le « chaos créatif » dont sortiraient de meilleures conditions que celles prévalant actuellement.

Comme je l’avais aolors écrit, cette théorie sert de déguisement à des objectifs cachés. Les Etats-Unis voient cette partie du monde comme une mosaïque de nationalités, d’ethnies, de religions et de cultures. Si tous ces peuples devaient déterminer leur destin par le vote, la carte de la région serait modifiée, donnant le jour à toute une panoplie d’états minuscules dotés de gouvernements affaiblis par des appartenances ethniques fragiles et des équilibres de pouvoir complexes et qui seraient par conséquent faciles à manœuvrer de l’extérieur. Du point de vue des intérêts américains, cette situation est préférable aux régimes nationalistes arabes autoritaires qui semblent être un reliquat de la guerre froide et d’un ordre mondial bipolaire. De façon évidente, la victoire électorale du Hamas dans la zone la plus explosive et conflictuelle du globe a mis à mal à l’idée que la voie électorale amènerait un « chaos créatif » provoquant des changements positifs du point de vue des intérêts américains. La Palestine était censée être une terre d’élection pour la théorie américaine mais au vu de ce qui s’est produit, elle a fortement limité les ambitions de la stratégie « du chaos créatif » !

Aucune réaction n’a été aussi véhémente qu’aux USA. Washington a tout essayé pour arriver aux conditions souhaitées pour que le Liban, la Syrie et l’Iran soient amenés à tenir leur rôle dans ce « chaos créatif » qui a pour but de réorganiser cette partie du monde Arabe.

Washington voulait calmer le jeu en Palestine jusqu’à que ce soit au tour des Palestiniens de jouer leur rôle final dans le drame. Au contraire les Palestiniens ont fait échouer ce plan, rappelant à tous les concernés que leur cause est le thème central et original du problème du Moyen Orient et qu’ils n’avaient aucune intention de tenir un qulconque rôle dans l’e spectacle américano-israélien. A présent, les Etats-Unis et Israël vont plus que jamais s’en prendre à la résistance en Palestine, au Liban, en Syrie et en Iran, et peut-être en Irak, comme dans des arênes séparées d’une même guerre qu’ils sont décidés à mener jusqu’au bout en étant persuadés de finir par gagner. Les pressions qu’ils vont exercer sur le Hamas dans le cadre de leur stratégie guerrière vont venir de trois directions : le front international représenté avant tout par les Etats-Unis et l’Union Européenne, le front régional mené par les alliés des Etats-Unis dans la région et qui ont des relations avec Israël, et le front interne palestinien conduit par ces partis qui estiment que la victoire du Hamas révèle leurs propres échecs et remet en cause leurs intérêts à court et à long terme. Toutes ces pressions vont pousser dans une même direction en voulant contraindre le Hamas à reconnaître Israël et à s’engager dans un processus politique qui amènerait le même type de déboires pour le Hamas que ceux que le processus d’Oslo a apportés au Fatah.

Il n’y a pas de raison pour que le Hamas se sente disposé à offrir une telle reconnaissance [de l’état israélien] ; en effet, il s’en abstiendra le plus longtemps possible. La bataille que le Hamas livre maintenant n’est pas la bataille du Hamas, ni la bataille de l’Islam fondamentaliste ou modéré ; c’est plutôt la bataille de tous les peuples épris de liberté autour du monde. Le Hamas n’est pas obligé de négocier avec Israël, et ce n’est pas non plus son intérêt maintenant. Ceci n’a rien à voir avec les principes du Hamas, comme son refus de reconnaître Israël ou de négocier avec lui, ou la revendication territoriale --- la restauration de toute la Palestine historique -- qu’Israël lui attribue.

Mais précisément, avec quel Israël le Hamas est-il supposé négocier ? Avec l’état de fait qui occupe en ce moment des territoires palestiniens, libanais et syriens ? Ou avec l’état juif avec son droit à exister internationalement reconnu et des frontières définies par l’Assemblée Générale [des Nations Unies] lors de la partition de 1947 ? Ou avec l’état israélien dont les frontières sont fixées comme celles existant avant la guerre de 1967 ? On ne peut demander à personne de reconnaître quelque chose d’aussi vague. De plus, reconnaître Israël maintenant ne peut signifier qu’une seule chose pour un gouvernement légitime du peuple Palestinien : accepter tout ce qu’Israël réclame comme étant son droit, y compris les colonies dans n’importe quel emplacement de la Palestine historique et la construction d’un mur de séparation que la plus haute autorité judiciaire au monde [la Cour Internationale de Justice de la Haye] considère comme illégale.

Au contraire de certaines opinions que je respecte, dont l’opinion exprimée par Mohammed Hassanein Heikal, je ne pense pas que le Hamas soit mieux dans l’opposition. J’estime en effet qu’il est du plus haut intérêt des Palestiniens et des Arabes que le Hamas forme et dirige un gouvernement qui soit représentatif de tous les partis palestiniens. Les risques sont grands, mais pas plus grands que ceux auxquels le Hamas fait face aujourd’hui. La lutte des Palestiniens contre Israël a commencé à s’essouffler au moment où l’accord d’Oslo a été signé.

L’accord, auquel manquait une clause réclamant explicitement un arrêt de l’activité colonisatrice israélienne, était si plein de contradictions que la cause palestinienne s’est mise à ressembler à un chariot tiré par deux chevaux allant dans des directions opposées. Après l’échec d’Oslo et l’arrivée du Hamas au pouvoir, il y a à nouveau espoir que les Palestiniens soient à même de suivre une stratégie unifiée. Alors, indépendamment de savoir quel est le cheval qui conduit l’attelage, ils iront tous dans la même direction, celle de la libération. Ceci devrait être l’aspiration et le but de tout Palestinien, de chaque Arabe vraiment nationaliste, de chaque vrai chrétien et vrai musulman, en fait, de chaque personne au monde éprise de justice.

Pour le monde entier, le peuple Palestinien aujourd’hui est le plus vulnérable face à la tyrannie de l’alliance américano-sioniste, et la première cible de cette alliance politique et militaire et de sa machine de propagande. C’est le devoir de tout avocat des droits humains de ne pas abandonner les Palestiniens ni de contrecarrer leur détermination en invoquant un mauvais choix de leurs représentants, mais au contraire c’est le moment de se tenir fermement à leurs côtés et de les aider à aller de l’avant.

Si la communauté internationale veut transformer cette partie du monde particulièrement explosive, elle doit d’abord se réconcilier avec certains principes. Premièrement, elle doit respecter le choix démocratique qu’a fait le peuple Palestinien et négocier avec ses nouveaux représentants de façon juste et sans préjudice. En second, elle doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que les agences compétentes des Nations Unies imposent à toutes les parties un accord complet s’appliquant au conflit du Moyen-Orient, en accord avec la loi internationale et les principes de la légitimité internationale. Au jour d’aujourd’hui, des négociations -- en supposant qu’elles puissent reprendre -- ne déboucheraient pas sur un accord équitable à cause du trop grand déséquilibre entre les forces en présence. Par ailleurs, en autorisant des négociations en dehors du cadre de la Résolution 242, les Nations Unies sont largement responsables de l’impasse actuelle. L’initiative la plus constructive que le Conseil de Sécurité pourrait prendre dans cette conjoncture serait d’invoquer l’Article 7 de la Charte des Nations Unies pour qu’une nouvelle résolution reformule la résolution 242 en tenant compte de toutes les résolutions pertinentes votées depuis et qu’ une date limite soit fixée pour que cette nouvelle résolution soit mise en œuvre, après quoi des mesures appropriées seraient prises contre les parties faisant de l’obstruction ou refusant de l’appliquer.

Le Conseil de sécurité pourrait imposer que la Résolution 242 soit la base d’un accord immédiat et viable en contraignant les parties intéressées à choisir entre deux solutions :

-   le Conseil de Sécurité publie une interprétation officielle de la Résolution 242 sous la forme d’une nouvelle résolution qui clarifie que ce qui doit être compris dans la formulation « des frontières sûres et reconnues » correspond aux frontières du 4 juin 1967, et que « une juste solution au problème des réfugiés » est basée sur le document de la Résolution 194 de l’Assemblée Générale. Une fois appliquée, la nouvelle résolution obligerait Israël à se retirer jusqu’aux frontières stipulées et à autoriser les réfugiés Palestiniens qui le souhaitent à rentrer dans les villes et villages où ils sont nés, et à verser des compensations pour les autres

-   le Conseil de Sécurité adopte la résolution 181 de l’Assemblée Générale sur la partition de la Palestine en 1947 et considère les frontières fixées dans la résolution comme les frontières définitives des états palestinien et israélien. Dans ce dernier cas, la résolution de 1949 devient sans effet, car elle a été émise après la partition [et la guerre qui a suivi] et que les réfugiés rentreraient en Palestine dans le cadre d’un Etat déjà défini en accord avec les lois fixant la légitimité au niveau international.

La balle est maintenant dans le camp des israéliens et du Conseil de Sécurité, et il y a des inititaives qu’ils doivent prendre avant de demander au Hamas de s’engager à quoi que ce soit. Insister pour que le Hamas reconnaisse Israël simplement pour qu’Israël accepte de négocier avec le Hamas n’est pas une solution. Les israéliens ne feront que faire traîner les discussions pour 50 nouvelles années. Mais, si à l’opposé le Conseil de sécurité fait ce qu’il devrait faire et si le Hamas refuse d’en accepter les termes, alors ce sera le droit de chacun de le blâmer et de le montrer du doigt comme étant le problème. Jusque là, nous ne pouvons que souhaiter que le Hamas soit la solution !

Hassan Nafaa enseigne les Sciences Politiques à l’université du Caire

Hassan Nafaa
11 février 2006 -- Al-Ahram Weekly -- Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2006/781...
Traduction : Claude Zurbach


 Source : CCIPPP
 http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2249


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