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Le Hamas et ses moyens de financement
Joseph Massad


L’histoire du Mouvement National Palestinien pourrait être uniquement décrite par la façon dont les différents gouvernements arabes et non-arabes ont tenté de le contrôler. 

Alors que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) était contrôlée principalement par le régime de Gamal Abdel-Nasser, la défaite de 1967 a affaibli cette dépendance et a provoqué le changement révolutionnaire de l’organisation en 1969 par les mouvements de guérilla. Avec le Fatah et les guérillas politiquement à gauche aux commandes, le potentiel révolutionnaire de l’OLP constituait une telle menace qu’une guerre totale a été déclenchée en Jordanie en 1970, situation que les régimes arabes répressifs ne voulaient pas voir se répéter. C’est dans ce contexte que l’argent du pétrole (venant d’Arabie Saoudite, du Koweit, de Libye, des Emirats Arabes Unis et d’Irak) a commencer à affluer dans les caisses de l’OLP, en premier pour s’assurer que l’OLP n’encouragerait pas des changements révolutionnaires dans les pays arabes, et ensuite pour que les armes de l’OLP soient uniquement tournées vers Israël, tant que cela ne s’oppose pas aux intérêts de ces régimes. La guerre civile libanaise et le rôle que l’OLP y a joué dans la seconde moitié des années 1970 restait un problème, mais pour autant que les régimes arabes étaient concernés, c’était un problème qu’ils pouvaient circonscrire.

Avec les évènements du début des années 80 et la défaite militaire [au Liban] en 1982, les financements arabes au profit de l’OLP n’étaient plus seulement conditionnés au fait que l’OLP ne tourne pas ses armes contre ces régimes, mais aussi au fait que l’OLP ne s’attaque plus non plus à Israël. Les diverses tentatives d’accord entre l’OLP et le roi Hussein de Jordanie au milieu des années 1980 se situaient dans le cadre de ces exigences. Suite au refus constant des Etats-Unis et d’Israël de négocier avec l’OLP, quelles que soient ses évolutions politiques et idéologiques, la situation est restée figée jusqu’au soulèvement palestinien de 1987, lequel a été l’occasion pour l’OLP de déposer les armes face à Israël. La formalisation de ce changement s’est faite au congrès de l’OLP à Alger en 1988, puis plus tardivement à la conférence de Madrid.

Comme l’argent du pétrole a fait défaut après la guerre du Golfe de 1990 et 1991, l’OLP a eu besoin d’autres sources de financement. Entrent alors en scène les Etats-Unis et leurs alliés dont les conditions n’incluaient pas seulement la capitulation d’Oslo mais aussi que l’Autorité Palestinienne (AP) nouvellement créée et contrôlée par le Fatah soit armée mais pour que ses armes soient tournées vers une nouvelle cible : le peuple Palestinien lui-même.

L’AP mise sous tutelle a continué à recevoir ces fonds jusqu’au déclenchement de la seconde Intifada, lorsque contre sa raison d’être [en français dans le texte - N.d.T], une partie de ses forces de sécurité a engagé le combat contre les israéliens au moment de leur invasion. Les financements ont été arrêtés par intermittence, Yasser Araft a été mis en arrestation dans son domicile, et les Israéliens ont réoccupé les territoires palestiniens. Des financements réguliers ont repris après la mort d’Arafat, conditionnés par « le sérieux » de Mahmoud Abbas et sa disponibilité à pointer les armes palestiniennes sur les Palestiniens eux-mêmes, ce qu’il a accepté de faire avec l’aide de ses services de sécurité. Mais cela n’a pas été jusqu’au point qu’avaient souhaité les Etats-Unis et Israël.

Ceci est donc le point où nous nous trouvons aujourd’hui. La victoire électorale du Hamas a changé les règles du jeu. Les Etats-Unis et l’Union Européenne insistent pouur que le Hamas se fasse à l’idée que ses armes doivent uniquement être tournées du côté des Palestiniens qui résistent à Israël, aucun argent ne devant être versé dans le cas contraire. Le Hamas refuse d’accepter ces exigences et considère comme une réelle alternative l’argent du pétrole (d’Arabie Saoudite, du Qatar, des Emirats Arabes Unis, du Koweit, et d’Iran), comme si aucune condition n’y était attachée. En effet beaucoup de ces financements avaient été coupés après le 11 septembre sur instruction des Etats-Unis, laissant le Hamas dépendant de financements privés en provenance de ces mêmes pays. C’est là que résident le dilemme du Hamas et sa capacité future à agir. Les scénarios possibles sont les suivants :
-  Les Etats-Unis et leurs alliés coupent toutes les sources directes et indirectes de financement à l’Autorité Palestinienne dans l’espoir de forcer le Hamas à leur emboîter le pas
-  Les Etats-Unis et leurs alliés coupent toutes les sources directes de financement (ce qui représente en réalité relativement peu d’argent) et maintiennent des sources indirectes via des canaux qui ne sont pas directement liés à l’AP mais via des ONGs (Organisations Non-Gouvernementales) comme c’est déjà largement le cas, en affirmant que ces organisations sont les seules à pouvoir obliger le Hamas à modifier son programme et que supprimer ces financements signifierait mettre au profit du Hamas les « réalisations » d’Oslo.

Quelque soit le scénario retenu (et cela dépendra du point de vue qui dominera à la Maison Blanche), le Hamas cherchera, et est en fait déjà en train de chercher, des financements alternatifs de la part des gouvernements arabes et musulmans de la région du Golfe. Comme tous ces gouvernements craignent autant maintenant la popularité du Hamas qu’ils craignaient le mouvement de la guérilla palestinienne dans les années 1960 et 1970, ils sont heureux de trouver un moyen de le contrôler et de s’assurer que la rhétorique et le potentiel que le Hamas représente n’inonderont pas leurs propres pays. Depuis que les tentatives par Israël et l’AP de détruire le Hamas par la répression (sans parler de sa criminalisation par les Etats-Unis et l’Europe et son harcèlement permanent par les Jordaniens) ont échoué à le rendre moins populaire, la mise sous tutelle parait être pour les régimes arabes la meilleure stratégie. Ce qui est escompté, c’est que le financement du Hamas par l’argent du pétrole puisse écarter la menace que celui-ci représente et puisse l’influencer dans son action.

Savoir combien de temps le Hamas résistera à un tel scénario dépend largement du clivage interne au mouvement. Au contraire du Fatah et de l’AP, le Hamas a une histoire et une réputation limpides, sans accusation de corruption ou de vol, mais complétement liées aux services à caractère social qui aident tant des dizaines de milliers de Palestiniens.

L’aura qui a entouré le groupe jusqu’à maintenant ne perdurera pas une fois que le Hamas assurera sa nouvelle charge, quelles que soient les sources de financement qu’il trouvera. Alors que plusieurs des principaux responsables du Hamas ont été assassinés par la campagne terroriste israélienne de meurtres ciblés, la direction à la tête du Hamas aujourd’hui n’est plus aussi unifiée sur les questions centrales qu’elle a pu l’être dans le passé. Il est important de noter que le Hamas a connu depuis sa création des fluctuations sur le plan idéologique, non seulement sur la question de négocier ou non avec les israéliens mais aussi sur les éléments du processus d’Oslo sur lesquels il est prêt ou non à s’engager, pour ne citer que ces deux questions centrales. Sa récente participation aux élections, lesquelles résultent d’Oslo, sont en complète contradiction avec son rejet officiel de cet accord. Son action durant ces prochains mois, si ce n’est durant ces prochaines années, permettra de savoir si le Hamas se lance dans des acrobaties idéologiques et, si c’est le cas, quelles seront les conditions de financement qu’il aura acceptées, celles des pays du Golfe ou celles des Etat-Unis et de l’Union Européenne (USA/UE).

Les différences entre les conditions USA/UE et celles venant du Golfe ne sont pas aussi marquées que les dirigeants du Hamas semblent vouloir le faire croire. Les deux côtés veulent domestiquer le Hamas en le faisant disparaître comme menace pour eux-mêmes et pour Israël. Les Etats-Unis peuvent jouer le même rôle que celui qu’ils ont joué pendant 30 ans lorsqu’ils refusaient de négocier avec l’OLP et sous-traitaient le soutien de celle-ci aux pays du Golfe. Les Etats-Unis peuvent à nouveau adopter cette stratégie pour une autre trentaine d’années.

Même si les conditions posées par les pays du Golfe peuvent apparaître moins astreignantes que celles des USA/UE, dans la mesure où ils ne vont pas se risquer à demander devant toute la planète que le Hamas abandonne son programme (seul le gouvernement égyptien avait franchi ce pas et pourrait rapidement revenir en arrière), ils peuvent lui demander de se comporter comme s’il avait effectivement changé son programme mais sans y renoncer de façon ouverte. Dans les deux cas, l’effet serait le même. Le peuple Palestinien a voté dans sa majorité pour le Hamas dans l’espoir qu’au contraire du Fatah corrompu et répressif, il puisse le délivrer en mettant un terme à l’occupation. Si le Hamas veut rester fidèle à ses principes par rapport à la question de la libération des territoires sous occupation, la seule stratégie qu’il puisse suivre est justement celle que l’Autorité Palestinienne et Arafat, sur les instructions de leurs donateurs, avait abandonnée en 1994, c’est-à-dire un retour à une mobilisation du type de celle de la première Intifada, mais sans avoir recours aux attaques-suicides qui sacrifient des vies palestiniennes et israéliennes. Les dirigeants du Hamas ont en effet fait connaître leur disposition à maintenir la trêve militaire avec Israël en place depuis plusieurs mois. En tant qu’élément central du gouvernement, le Hamas pourra aisément organiser une grève générale et des manifestations massives contre l’occupation israélienne qui seraient centrées sur le Mur de l’Apartheid, les implantations coloniales et les checkpoints.

Si le Hamas, comme certaines déclarations récentes de ses responsables l’indiquent, combine une stratégie interne avec une offensive diplomatique pour remettre sur les rails la loi internationale et le consensus exprimé dans les résolutions des Nations Unies contre l’occupation, contre les colonies et contre le Mur (tous ces aspects ont été négligés par l’Autorité Palestinienne aussi bien sous Arafat que sous Abbas par volonté de se conformer aux désirs des donateurs), il sera alors à même de maintenir et même d’augmenter sa popularité dans le peuple Palestinien.

La collaboration de l’Autorité Palestinienne, récompensée par beaucoup de financements, n’a pas ramené un mètre carré de terre palestinienne sous souveraineté palestinienne, et le Hamas n’acceptera jamais ce type de marché. Comme cela dépend des rapports de force internes au Hamas, il est difficile de savoir quelle stratégie suivra l’organisation. Comme ce n’est pas l’attribution d’argent sous condition mais plutôt une réelle stratégie pour évincer les occupants israéliens, qui mettra fin à l’occupation et permettra au Hamas de rester au pouvoir, le test pour les dirigeants du Hamas sera soit de jouer le jeu illusoire de la gouvernance sous occupation comme le Fatah l’avait fait, soit de parvenir à un mobilisation et une résistance massives et civiles contre cette même occupation.

Les ennemis du peuple Palestinien font des prières pour que le Hamas choisisse l’illusion de gouverner.

* Joseph Massad est professeur associé en Histoire intellectuelle et politique du monde arabe à l’université Colombia. Son livre The Persistence of the Palestinian Question sera publié prochainement par Routledge.

Joseph Massad
10 février 2006 - Al-Ahram weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2006/781...
Traduction : Claude Zurbach


 Source : CCIPPP
 http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2171


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