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L’héritage de Sharon, en action
Tanya Reinhart



http://www.tau.ac.il/~reinhart

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

[Intervention à la Conférence de Biella (Italie) sur La dimension du mot partagé : quel avenir pour Palestine / Israël ?]

Actuellement, le monde occidental semble toujours sous le charme de la geste d’Ariel Sharon, qui, nous dit le conte, aurait apporté un gigantesque changement à la politique israélienne – laquelle serait passée de l’expansion et de l’occupation à la modération et à des concessions ; une vision que son successeur, Ehud Olmert, serait censé reprendre à son compte. Depuis l’évacuation des colonies de la bande de Gaza, la narration occidentale consiste à dire qu’Israël aurait fait sa part, dans le sens de la fin de l’occupation, qu’il se serait déclaré prêt à prendre de nouvelles mesures à l’avenir et qu’il appartiendrait désormais aux Palestiniens de montrer qu’ils sont capables de vivre en paix avec leurs voisins, tellement bien intentionnés.

Comment Sharon, le dirigeant le plus brutal, le plus cynique, le plus raciste et le plus manipulateur qu’Israël ait jamais connu, a-t-il pu ainsi terminer sa carrière politique en héros de paix légendaire ? La réponse, à mon avis, c’est que Sharon n’a pas changé. Loin de là : le mythe érigé autour de sa personne reflète l’omnipotence actuelle des systèmes de propagande, qui, pour paraphraser une notion proposée par Noam Chomsky, a atteint la perfection dans l’art de « fabriquer la conscience » [manufacturing consciousness].

Le coup de baguette magique qui a métamorphosé Sharon aux yeux du monde, c’est l’évacuation des colonies de Gaza. J’y reviendrai, car pour moi, même cela, Sharon ne l’a pas fait de son propre mouvement, mais bien en raison de pressions sans précédent des Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, Sharon a dit très clairement, dès le début, qu’évacuer les colonies de Gaza ne rendait pas la bande de Gaza libre ! Le plan de désengagement, publié dans les quotidiens israéliens le 16 avril 2004, spécifiait par avance qu’ « Israël supervisera(it) et conservera(it) l’enveloppe extérieure en matière de territoires, maintiendra(it) son contrôle exclusif sur l’espace aérien de Gaza, et continuera(it) à mener des opérations militaires dans ses eaux territoriales [1]. »

Examinons brièvement les états de sévices du général Sharon :

Durant ses quatre années au gouvernement, Sharon a bloqué toute chance de négocier avec les Palestiniens :

- En 2003 – époque de la Feuille de route – les Palestiniens ont accepté ce plan de paix et ils ont déclaré un cessez-le-feu. Mais, tandis que l’Occident fêtait une nouvelle ère de paix, l’armée israélienne, sous les ordres de Sharon, intensifiait sa politique d’assassinats ciblés, poursuivait le harcèlement quotidien des Palestiniens soumis à l’occupation et, enfin, déclarait une guerre à outrance au Hamas, tuant tous ses dirigeants militaires et politiques de premier plan.

- Après quoi, tandis qu’une fois encore le monde occidental retenait son souffle, durant un an et demi d’attente du retrait de Gaza annoncé, Sharon fit absolument tout son possible afin de trahir le président palestinien, Mahmoud Abbas, qui avait été élu en janvier 2005. Sharon déclara qu’il n’était pas un partenaire convenable (parce qu’il ne combattait pas le terrorisme) et il repoussa toutes ses offres de reprise des négociations.

La réalité quotidienne des Palestiniens, dans les territoires occupés, n’a jamais été aussi sombre que sous Sharon :

- En Cisjordanie, Sharon a entrepris un projet massif d’épuration ethnique dans les zones frontalières d’Israël. Son projet de muraille vole les terres des villages palestiniens situés dans ces zones, emprisonne des villes entières et prive leurs habitants de leur gagne-pain. Si le projet se poursuit, beaucoup des quelque 400 000 Palestiniens affectés devront partir et aller gagner leur vie dans les faubourgs des villes situées au centre de la Cisjordanie, comme cela s’est déjà produit dans le cas de Qalqiliya, une ville du Nord de la Cisjordanie.

- Les colonies israéliennes ont été évacuées de la bande de Gaza, mais cette bande demeure une immense prison, totalement scellée et coupée du monde extérieur, au bord de la famine et terrorisée par l’armée israélienne qui la bombarde depuis la terre, la mer et l’air. La question qui préoccupait les élites politiques et militaires israéliennes depuis la conquête des territoires palestiniens, en 1967, était celle de savoir comment garder la superficie maximale avec le minimum de Palestiniens ? Le plan du travailliste Alon, qui trouva sa réalisation à Oslo, consistait à conserver environ 40 % de la Cisjordanie, mais à accorder l’autonomie aux Palestiniens sur les 60 % restants. Toutefois, Barak et Sharon ont détruit les arrangements d’Oslo. Le modèle qu’Israël a développé, sous Sharon, est un système complexe de prisons. Les Palestiniens se voient reléguer et enfermer dans des enclaves ségréguées, entièrement contrôlées depuis l’extérieur par l’armée israélienne, qui fait des incursions à l’intérieur de ces enclaves quand bon lui chante. A ma connaissance, cet enfermement de tout un peuple représente un modèle d’occupation sans aucun précédent, et il est mis en pratique avec une rapidité et une efficacité proprement effrayantes.

En même temps, l’autre technique que Sharon a portée à la perfection, c’est la fabrication de la conscience, démontrant que la guerre est toujours susceptible d’être vendue sous l’appellation de recherche inlassable de la paix. Il a démontré qu’Israël peut emprisonner les Palestiniens, les bombarder depuis les airs, leur voler leurs terres en Cisjordanie, faire échouer toute chance de paix, et néanmoins continuer à être salué par le monde occidental comme le partenaire pacifique, dans le conflit israélo-palestinien…

Sharon est désormais retiré de la vie politique, mais cela, en soi, ne promet aucun changement. En effet, le legs de Sharon est, hélas, bien vivant. Depuis plus de dix ans, il a eu le temps de macérer, dans l’armée israélienne, qui est, de fait, le facteur dominant dans la vie politique israélienne.

L’armée est le facteur politique le plus stable – et le plus dangereux – en Israël. Comme un analyste israélien l’a indiqué, dès 2001 : « au cours des six années écoulées, depuis octobre 1995, il y a eu cinq premiers ministres et six ministres de la défense [en Israël], mais seulement deux chefs d’état-major. [2] » L’armée et le système politique israéliens ont de tout temps été intimement entremêlés, les généraux passant directement de l’armée au gouvernement ; mais le statut politique de l’armée a été consolidé encore, sous Sharon. Bien souvent, il est patent que les décisions réelles sont prises par l’armée, et non par l’échelon politique. Les responsables militaires briefent la presse (ils finissent par s’arroger au minimum la moitié de l’espace éditorial dans les médias israéliens), et ce sont eux aussi qui briefent et forment les avis des diplomates étrangers ; ils partent à l’étranger en mission diplomatique, ils tracent des plans politiques pour le gouvernement, et ils expriment leurs visions politiques dès qu’ils en ont l’occasion.

Contrastant avec cette stabilité de l’armée, le système politique israélien connaît un processus incessant de désintégration progressive. Dans un rapport de la Banque mondiale, daté d’avril 2005, Israël est cité comme étant le pays le plus corrompu et le moins efficient du monde occidental, seule l’Italie le précédant dans l’index de la corruption gouvernementale, et il occupe le dernier rang du classement en matière de stabilité politique [3]. Sharon a été personnellement associé, ainsi que ses fils, à de graves accusations de concussion qui n’ont jamais été portées devant un tribunal. Le nouveau parti créé par Sharon, Kadima, qui dirige désormais le gouvernement, est un conglomérat hiérarchisé d’individus, dépourvu des institutions propres à un parti, et même de sections locales. Ses lignes directrices, rendues publiques le 22 novembre 2005, permettent à son dirigeant de court-circuiter tous les processus démocratiques classiques et de désigner la liste des candidats du parti aux élections législatives, sans vote ni aucune autre forme d’approbation de l’une quelconque des instances dudit parti. [4]

Le parti travailliste a été incapable d’offrir une quelconque alternative. Lors des deux dernières élections en Israël, le parti travailliste a élu des candidats colombes au poste de Premier ministre : Amram Mitzna (en 2003) et Amir Peretz (en 2006). L’un comme l’autre ont été accueillis, au début, avec un énorme enthousiasme, mais ils se sont vu intimer très rapidement le silence par leur parti et par leurs conseillers électoraux – quand il ne s’agissait pas d’autocensure - afin de se situer « au centre de la carte politique ». Très vite, leur programme est devenu impossible à distinguer de celui de Sharon. Peretz a même déclaré qu’en matière « extérieure et sécuritaire », il ferait exactement ce que Sharon, ou plus tard Olmert feraient, et qu’il ne diffèrerait d’eux qu’en matière sécuritaire. Ainsi, ces candidats travaillistes ont contribué à convaincre les électeurs israéliens que la voie empruntée par Sharon était la bonne. Ces dernières années, il n’y a jamais eu d’opposition de gauche conséquente au pouvoir de Sharon et des généraux, étant donné que dès le lendemain des élections, le parti travailliste finirait bien dans tous les cas par rejoindre le gouvernement, en lui fournissant l’image de colombe dont les généraux ont un si grand besoin pour leurs mascarades internationales…

Avec l’effondrement du système politique, l’armée demeure l’institution qui détermine et exécute la politique d’Israël, et comme le démontrent les quelques mois écoulés depuis l’indisponibilité de Sharon, l’armée est déterminée à mener à bien la politique qu’il lui a léguée, avec au gouvernement Ehud Olmert, le successeur de Sharon,. Pour cela, il est fondamental que quoi qu’Israël fasse, cela soit présenté comme des concessions douloureuses. Juste en ce moment, nous sommes à la veille de l’annonce d’un énième « plan de paix », dont Olmert va faire le marketing.

Olmert a peut-être choisi le nom de ce plan, mais les droits d’auteur en reviennent à Sharon. Le 2 janvier 2006, peu après le départ de Sharon, le quotidien israélien Ma’ariv rendait public le plan qu’il avait l’intention de présenter, concernant la Cisjordanie. Ce plan est fondé sur l’éventuelle reconnaissance, par les Etats-Unis, du blocage de la Feuille de route – et même sur celle qu’il s’est toujours agi d’une « non-solution », étant donné que, d’après la ligne officielle israélienne, il n’y a jamais eu d’authentique partenaire de paix, du côté palestinien. C’était encore avant que les élections palestiniennes ne portent le Hamas au pouvoir, mais du point de vue israélien, aucun partenaire palestinien n’a jamais été considéré comme un partenaire convenable. Sharon objectait que l’Autorité palestinienne, sous la direction de Abbas, ne remplissait pas ses obligations en matière de lutte contre les « organisations terroristes ». En l’absence d’un partenaire convenable, Israël allait déterminer ses frontières unilatéralement – c’est-à-dire qu’Israël allait décider lui-même quelle proportion du territoire palestinien il allait s’arroger, avant de se désengager du restant. D’après ce plan, des négociations avec les Etats-Unis devraient conduire à « un agrément signé avec Washington, déterminant la frontière orientale d’Israël ». Cet accord américano-israélien comportera « l’achèvement rapide de la barrière [comprendre : le mur]… qui deviendra une véritable barrière frontalière. » [5]

La veille des élections israéliennes, Olmert a dévoilé publiquement ce plan, qui devint ensuite le plan officiel du nouveau gouvernement israélien, sous le titre de « consolidation » ou « convergence ». Il a souligné que la nouvelle frontière d’Israël correspondrait au tracé du Mur, qui serait achevé avant que ne commence le désengagment [6]. Pour mettre ce plan en application, le mur devrait être déplacé encore plus loin vers l’est que son tracé actuel, et Olmert est très explicite lorsqu’il donne son avis quant à son emplacement définitif. Il veut s’assurer qu’ « Israël conservera les colonies d’Ariel, Ma’aleh Adumim, la banlieue de Jérusalem et le Gush Etzion », tout en établissant son contrôle sur la vallée du Jourdain [7]. Un simple coup d’œil sur une carte montre que les zones qu’Israël annexerait unilatéralement, du fait de ce plan, correspondent à environ 40 % de la Cisjordanie…

Olmert est persuadé que les circonstances actuelles sont favorables à l’imposition de cette « solution » aux Palestiniens, notamment parce qu’après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes, il devrait être encore plus évident, pour le monde entier, qu’il n’y a pas de partenaire pour des négociations de paix. Il a notamment déclaré :

« Il y a actuellement une « fenêtre d’opportunité » pour parvenir à un accord international de fixation de la frontière, au lendemain de l’accession du Hamas au pouvoir et… en raison du soutien reçu par notre retrait de Gaza  [8] ».

Au niveau des déclarations, le plan comporte une évacuation potentielle de certaines colonies située à l’est de la nouvelle frontière. Toutefois, à la différence du plan de désengagement de Gaza, aucun calendrier n’a été fixé pour cette évacuation intentionnelle, ni aucune liste de colonies à évacuer dressée. Dans tous les cas, si un scénario d’évacuation se fait jour, le plan consiste à conserver les enclaves palestiniennes en Cisjordanie sous le contrôle total d’Israël, comme cela avait été le cas dans la bande de Gaza. Olmert a été explicite, à ce sujet, lorsqu’il a annoncé publiquement son plan. Les arrangements d’après retrait consisteront à « donner à l’armée israélienne une liberté d’action en Cisjordanie similaire à celle qui avait fait suite au désengagement israélien dans la bande de Gaza [9] ».

Par conséquent, le plan d’Olmert consiste à faire du legs de Sharon une réalité, en annexant 40 % de la Cisjordanie à Israël et en appliquant le modèle gazaoui de prison géante aux enclaves palestiniennes restantes. Mais qu’importe, puisque Olmert est le nouvel homme de paix israélien !

Nous vivons des temps difficiles : le legs de Sharon semble sur le point de l’emporter, aucune barrière n’étant dressée ni par le droit international, ni par la justice internationale, sur sa route destructrice.

Voici moins de deux ans de cela, c’était le 9 juillet 2004, la Cour Internationale de Justice rendait son avis sur les « Conséquences juridiques de la construction d’un mur dans les territoires palestiniens occupés. » La cour a considéré que le tracé actuel du mur représentait une violation sérieuse et massive du droit international. Les premières réactions, en Israël, allaient dans le sens d’une préoccupation inquiète. A la mi-août 2004, le procureur général d’Israël, Menachem Mazuz, présentait au gouvernement un rapport indiquant : « Il serait difficile d’exagérer les multiples conséquences négatives qu’aura le jugement de la Cour internationale pour Israël, à plusieurs niveaux, et même dans des domaines qui dépassent largement la question du mur de séparation. Cet avis crée une réalité politique, pour Israël, au niveau international, qui peut être utilisée afin d’entreprendre des actions anti-israéliennes dans des forums internationaux, au point que ces actions pourraient déboucher sur des sanctions [10]. » Israël s’est donc empressé de clarifier que le mur était une barrière de sécurité temporaire, qui ne saurait en aucun cas déterminer des faits accomplis sur le terrain. Néanmoins, dans l’atmosphère politique qui prévaut aujourd’hui, Israël déclare avoir l’intention de faire de ce mur sa frontière, et cela ne fait même pas sourciller un quelconque gouvernement européen.

Il y a un an, également, le monde occidental célébrait l’aube de la démocratie au Moyen-Orient. A la suite du départ d’Arafat, les Palestiniens étaient engagés dans une authentique campagne électorale. Le Hamas déclara son intention de participer à ces élections, et de passer de la lutte armée à l’action sur l’arène politique. On aurait imaginé que cela aurait été perçu comme une évolution positive et encourageante, après des années de sang versé. De fait, les Etats-Unis insistèrent sur l’organisation des élections, en dépit des objections israéliennes. Mais, hélas, les Palestiniens ont élu le mauvais parti ! Combien il est naturel, semble-t-il, pour le monde occidental, de punir collectivement le peuple palestinien de sa compréhension erronée de ce qu’est la démocratie. Les Etats-Unis édictent, et l’Europe entérine que toute aide en direction des Palestiniens doit être stoppée, ce qui les menace d’une famine imminente, tandis que les vestiges d’infrastructures et le système sanitaire continuent à se désagréger.

Néanmoins, ces dernières années n’ont pas été seulement des années de victoire, pour l’expansion israélienne. Replacée dans la perspective à long terme du maintien de l’occupation israélienne en Cisjordanie, l’évacuation des colonies de la bande de Gaza s’avère un échec.

Un avis prédominant dans les milieux critiques consiste à dire que Sharon a décidé d’évacuer les colonies parce que les maintenir coûtait trop cher, aussi a-t-il décidé de concentrer ses efforts sur son objectif central, à savoir conserver la Cisjordanie et étendre les colonies israéliennes qui s’y trouvent. Mais, de fait, cette opinion n’est étayée par aucune preuve tangible.

Bien sûr, l’occupation de Gaza a toujours été coûteuse, même du point de vue des expansionnistes israéliens les plus acharnés. Israël n’a pas besoin de ce territoire, un des plus densément peuplés au monde, et dépourvu de toute ressource naturelle. Le problème étant que vous ne pouvez pas libérer Gaza, si vous voulez conserver la Cisjordanie. Un tiers des Palestiniens sous occupation vivent dans la bande de Gaza. Si on leur donne la liberté, ils deviendront le centre de la lutte de libération palestinienne, avec un accès libre aux mondes occidental et arabe. Pour contrôler la Cisjordanie, Israël devait s’accrocher à Gaza. Et dès lors qu’il est clair que Gaza doit être occupée et contrôlée, l’ancien modèle d’occupation était le choix optimal. La bande de Gaza était contrôlée de l’intérieur par l’armée, et les colonies fournissaient le système logistique à ladite armée, ainsi que la justification morale aux brutalités de l’armée d’occupation. L’occupation transformait sa présence dans la bande de Gaza en une mission de protection de la patrie. Le contrôle depuis l’extérieur est sans doute meilleur marché. Mais, sur le long terme, rien n’en garantit le succès.

De plus, depuis les années Oslo, les colonies ont été conçues, tant localement qu’internationalement, comme un problème tragique qui, en dépit des bonnes intentions verbales israéliennes de mettre fin à l’occupation, était censé être insoluble. Ce mythe bien utile a été brisé par l’évacuation des colonies de Gaza, qui a montré à quel point il est facile, de fait, d’évacuer des colonies, et combien grand est le soutien de la société israélienne à cette évacuation.

Bien que je ne puisse ici entrer dans les détails, j’affirme dans mon livre L’héritage de Sharon [11] que Sharon n’a pas évacué les colonies de Gaza de sa propre volonté, mais bien plutôt parce qu’il a été contraint de le faire. Sharon a mitonné son plan de désengagement pour en faire un moyen de gagner du temps, au plus fort des pressions internationales qui ont fait suite au sabotage par Israël de la feuille de route et à sa construction de la muraille en Cisjordanie. Néanmoins, à tout instant depuis lors, jusqu’au dernier moment, il cherchait des moyens d’échapper à ses engagement, comme il l’avait fait pour tous ses engagements, par le passé. Mais, cette fois-ci, il a été forcé de mettre ses engagements en application, par l’administration Bush. Bien qu’elle ait été entièrement cachée derrière des paravents, la pression [américaine] était tout à fait conséquente, et elle incluait y compris des sanctions militaires. Le prétexte officiel pour ces sanctions fut la vente d’armes israéliennes à la Chine, mais à d’autres occasions, par le passé, la crise avait été réglée dès lors qu’Israël avait accepté d’annuler le marché. Cette fois-ci, les sanctions furent sans précédent, et elles restèrent en vigueur jusqu’à la signature de l’accord du point frontière, en novembre 2005.

L’historique de l’évacuation de Gaza montre que la pression internationale peut contraindre Israël à faire des concessions. J’affirme dans L’Héritage de Sharon que la raison pour laquelle les Etats-Unis ont exercé des pressions sur Israël – pour la première fois dans l’histoire récente – c’était qu’à l’époque, les Etats-Unis s’enfonçant dans les sables mouvants de l’Irak, il était impossible d’ignorer le mécontentement très largement répandu dans le monde entier au sujet des politiques d’Israël et du soutien indéfectible que leur apportaient les Etats-Unis. (Par exemple, un sondage effectué dans l’ensemble de l’Union européenne a montré que la majorité des Européens voyaient en Israël le pays le plus dangereux pour la paix mondiale [12].) Les Etats-Unis devaient, pour une fois, tenir compte de l’opinion publique internationale.

Du point de vue des Etats-Unis, leur objectif consistant à apaiser la pression internationale avait été atteint grâce à l’évacuation des colonies de Gaza. Les dirigeants et les médias occidentaux furent euphoriques à propos des nouveaux développements au Moyen-Orient. On le sait : dès lors que la tranquillité internationale est maintenue, la souffrance des Palestiniens ne joue strictement aucun rôle dans les calculs américains. L’administration américaine a dit clairement à « ses amis en Europe et dans le monde arabe qu’Israël avait rempli ses obligations dans le processus, et qu’il était temps désormais de laisser Israël tranquille et d’attendre des Palestiniens qu’ils fassent la part qui leur incombait. » [13]

Néanmoins, le simple fait qu’une pression ait été exercée sur Israël – aussi légère et de courte durée ait-elle été – montre aussi les limites de la puissance et de la propagande. En dépit du succès apparent des lobbies pro-israéliens lorsqu’il s’agit de faire taire toute critique de la politique israélienne dans le discours politique public occidental, le combat des Palestiniens pour la justice a pénétré la conscience universelle. Cela commence par le peuple palestinien lui-même, qui a supporté des années de brutale oppression, cela se poursuit avec son endurance au quotidien, son organisation et sa résistance, qui ont permis de maintenir la cause palestinienne vivante, ce qui est quelque chose que les nations opprimées n’ont pas toutes réussi à faire. Cela continue avec le combat international des mouvements de solidarité, qui envoient leurs militants dans les territoires occupés et qui jouent le rôle de vigiles, dans leurs pays respectifs, avec les professeurs qui signent des pétitions de boycott universitaire, s’exposant eux-mêmes à un harcèlement quotidien, avec quelques journalistes courageux qui persistent à parler de la réalité, contre les pressions de médias complices et des lobbies pro-israéliens. Souvent, ce combat semble futile, mais il n’en a pas moins pénétré la conscience mondiale. C’est cette conscience collective qui a finalement contraint les Etats-Unis à exercer des pressions sur Israël jusqu’à ce qu’il fasse quelques concessions, aussi limitées aient-elles été.

Il est possible de faire taire la cause palestinienne pendant un certain temps, comme c’est aujourd’hui le cas. Mais, nécessairement, elle resurgira, et elle se refera entendre !

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[1] Section III, Security reality after the evacuation, clause 1. The published plan is available at: http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=416024&contrassID=1&sub
ContrassID=1&sbSubContrassID=0&listSrc=Y
.
[2] Amir Oren, Ha’aretz, October 19, 2001.
[3] Ora Coren, Israel ranks among most corrupt in West, Ha’aretz, April 8, 2005.
[4] Gil Hoffman, 'National Responsibility' name of PM's new party, Jerusalem Post ,November 23, 2005.
[5] Amnon Dankner and Ben Kaspit, The road blast Sharon’s new initiative, Ma’ariv, January 2 2006 (Hebrew; www.nrg.co.il/online/1/ART1/027/938.html).
[6] Aluf Benn and Yossi Verter, “Olmert to Offer Settlers: Expand blocs, cut outposts,” Ha’aretz, March 3 2006.. [7] Olmert said: “I believe that in four years’ time, Israel will be disengaged from the vast majority of the Palestinian population, within new borders, with the route of the fence - which until now has been a security fence - adjusted to the new line of the permanent borders.”
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Yuval Yoaz, Hague fence ruling may lead to sanctions, Ha'aretz, August 19, 2004.
[11] L’Héritage de Sharon, Détruire La Palestine, Suite, La Fabrique, Paris, April 2006. An extended version will appear in English as The Road Map to Nowhere Israel/Palestine since 2003, Verso, July 2003.
[12] Thomas Fuller, Herald Tribune, October 31 2003.
[13] Aluf Benn, “Leaving Gaza - The Day After,” Ha’aretz, September 12 2005.


 Source : Marcel Charbonnier


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