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Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[Intervention
à la Conférence de Biella (Italie) sur La dimension du mot partagé :
quel avenir pour Palestine / Israël ?]
Actuellement, le monde occidental semble toujours sous le charme de
la geste d’Ariel Sharon, qui, nous dit le conte, aurait apporté
un gigantesque changement à la politique israélienne – laquelle
serait passée de l’expansion et de l’occupation à la modération
et à des concessions ; une vision que son successeur, Ehud
Olmert, serait censé reprendre à son compte. Depuis l’évacuation
des colonies de la bande de Gaza, la narration occidentale consiste
à dire qu’Israël aurait fait sa part, dans le sens de la fin de
l’occupation, qu’il se serait déclaré prêt à prendre de
nouvelles mesures à l’avenir et qu’il appartiendrait désormais
aux Palestiniens de montrer qu’ils sont capables de vivre en paix
avec leurs voisins, tellement bien intentionnés.
Comment Sharon, le dirigeant le plus brutal, le plus cynique, le
plus raciste et le plus manipulateur qu’Israël ait jamais connu,
a-t-il pu ainsi terminer sa carrière politique en héros de paix légendaire ?
La réponse, à mon avis, c’est que Sharon n’a pas changé. Loin
de là : le mythe érigé autour de sa personne reflète
l’omnipotence actuelle des systèmes de propagande, qui, pour
paraphraser une notion proposée par Noam Chomsky, a atteint la
perfection dans l’art de « fabriquer la conscience » [manufacturing
consciousness].
Le coup de baguette magique qui a métamorphosé Sharon aux yeux du
monde, c’est l’évacuation des colonies de Gaza. J’y
reviendrai, car pour moi, même cela, Sharon ne l’a pas fait de
son propre mouvement, mais bien en raison de pressions sans précédent
des Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, Sharon a dit très clairement,
dès le début, qu’évacuer les colonies de Gaza ne rendait pas la
bande de Gaza libre ! Le plan de désengagement, publié dans
les quotidiens israéliens le 16 avril 2004, spécifiait par avance
qu’ « Israël supervisera(it) et conservera(it)
l’enveloppe extérieure en matière de territoires, maintiendra(it)
son contrôle exclusif sur l’espace aérien de Gaza, et
continuera(it) à mener des opérations militaires dans ses eaux
territoriales [1]. »
Examinons brièvement les états de sévices du général Sharon :
Durant
ses quatre années au gouvernement, Sharon a bloqué toute chance de
négocier avec les Palestiniens :
- En
2003 – époque de la Feuille de route – les Palestiniens ont
accepté ce plan de paix et ils ont déclaré un cessez-le-feu.
Mais, tandis que l’Occident fêtait une nouvelle ère de paix,
l’armée israélienne, sous les ordres de Sharon, intensifiait sa
politique d’assassinats ciblés, poursuivait le harcèlement
quotidien des Palestiniens soumis à l’occupation et, enfin, déclarait
une guerre à outrance au Hamas, tuant tous ses dirigeants
militaires et politiques de premier plan.
- Après quoi, tandis qu’une fois encore le monde
occidental retenait son souffle, durant un an et demi d’attente du
retrait de Gaza annoncé, Sharon fit absolument tout son possible
afin de trahir le président palestinien, Mahmoud Abbas, qui avait
été élu en janvier 2005. Sharon déclara qu’il n’était pas
un partenaire convenable (parce qu’il ne combattait pas le
terrorisme) et il repoussa toutes ses offres de reprise des négociations.
La
réalité quotidienne des Palestiniens, dans les territoires occupés,
n’a jamais été aussi sombre que sous Sharon :
-
En Cisjordanie, Sharon a entrepris un projet massif d’épuration
ethnique dans les zones frontalières d’Israël. Son projet de
muraille vole les terres des villages palestiniens situés dans ces
zones, emprisonne des villes entières et prive leurs habitants de
leur gagne-pain. Si le projet se poursuit, beaucoup des quelque 400
000 Palestiniens affectés devront partir et aller gagner leur vie
dans les faubourgs des villes situées au centre de la Cisjordanie,
comme cela s’est déjà produit dans le cas de Qalqiliya, une
ville du Nord de la Cisjordanie.
- Les colonies israéliennes ont été évacuées de la bande de
Gaza, mais cette bande demeure une immense prison, totalement scellée
et coupée du monde extérieur, au bord de la famine et terrorisée
par l’armée israélienne qui la bombarde depuis la terre, la mer
et l’air. La question qui préoccupait les élites politiques et
militaires israéliennes depuis la conquête des territoires
palestiniens, en 1967, était celle de savoir comment garder la
superficie maximale avec le minimum de Palestiniens ? Le plan
du travailliste Alon, qui trouva sa réalisation à Oslo, consistait
à conserver environ 40 % de la Cisjordanie, mais à accorder
l’autonomie aux Palestiniens sur les 60 % restants. Toutefois,
Barak et Sharon ont détruit les arrangements d’Oslo. Le modèle
qu’Israël a développé, sous Sharon, est un système complexe de
prisons. Les Palestiniens se voient reléguer et enfermer dans des
enclaves ségréguées, entièrement contrôlées depuis l’extérieur
par l’armée israélienne, qui fait des incursions à l’intérieur
de ces enclaves quand bon lui chante. A ma connaissance, cet
enfermement de tout un peuple représente un modèle d’occupation
sans aucun précédent, et il est mis en pratique avec une rapidité
et une efficacité proprement effrayantes.
En même temps, l’autre technique que Sharon a portée à la
perfection, c’est la fabrication de la conscience, démontrant que
la guerre est toujours susceptible d’être vendue sous
l’appellation de recherche inlassable de la paix. Il a démontré
qu’Israël peut emprisonner les Palestiniens, les bombarder depuis
les airs, leur voler leurs terres en Cisjordanie, faire échouer
toute chance de paix, et néanmoins continuer à être salué par le
monde occidental comme le partenaire pacifique, dans le conflit israélo-palestinien…
Sharon est désormais retiré de la vie politique, mais cela, en
soi, ne promet aucun changement. En effet, le legs de Sharon est, hélas,
bien vivant. Depuis plus de dix ans, il a eu le temps de macérer,
dans l’armée israélienne, qui est, de fait, le facteur dominant
dans la vie politique israélienne.
L’armée est le facteur politique le plus stable – et le plus
dangereux – en Israël. Comme un analyste israélien l’a indiqué,
dès 2001 : « au cours des six années écoulées, depuis
octobre 1995, il y a eu cinq premiers ministres et six ministres de
la défense [en Israël], mais seulement deux chefs d’état-major. [2] »
L’armée et le système politique israéliens ont de tout temps été
intimement entremêlés, les généraux passant directement de
l’armée au gouvernement ; mais le statut politique de
l’armée a été consolidé encore, sous Sharon. Bien souvent, il
est patent que les décisions réelles sont prises par l’armée,
et non par l’échelon politique. Les responsables militaires
briefent la presse (ils finissent par s’arroger au minimum la
moitié de l’espace éditorial dans les médias israéliens), et
ce sont eux aussi qui briefent et forment les avis des diplomates étrangers ;
ils partent à l’étranger en mission diplomatique, ils tracent
des plans politiques pour le gouvernement, et ils expriment leurs
visions politiques dès qu’ils en ont l’occasion.
Contrastant avec cette stabilité de l’armée, le système
politique israélien connaît un processus incessant de désintégration
progressive. Dans un rapport de la Banque mondiale, daté d’avril
2005, Israël est cité comme étant le pays le plus corrompu et le
moins efficient du monde occidental, seule l’Italie le précédant
dans l’index de la corruption gouvernementale, et il occupe le
dernier rang du classement en matière de stabilité politique [3].
Sharon a été personnellement associé, ainsi que ses fils, à de
graves accusations de concussion qui n’ont jamais été portées
devant un tribunal. Le nouveau parti créé par Sharon, Kadima, qui
dirige désormais le gouvernement, est un conglomérat hiérarchisé
d’individus, dépourvu des institutions propres à un parti, et même
de sections locales. Ses lignes directrices, rendues publiques le 22
novembre 2005, permettent à son dirigeant de court-circuiter tous
les processus démocratiques classiques et de désigner la liste des
candidats du parti aux élections législatives, sans vote ni aucune
autre forme d’approbation de l’une quelconque des instances
dudit parti. [4]
Le parti travailliste a été incapable d’offrir une quelconque
alternative. Lors des deux dernières élections en Israël, le
parti travailliste a élu des candidats colombes au poste de Premier
ministre : Amram Mitzna (en 2003) et Amir Peretz (en 2006).
L’un comme l’autre ont été accueillis, au début, avec un énorme
enthousiasme, mais ils se sont vu intimer très rapidement le
silence par leur parti et par leurs conseillers électoraux –
quand il ne s’agissait pas d’autocensure - afin de se situer
« au centre de la carte politique ». Très vite, leur
programme est devenu impossible à distinguer de celui de Sharon.
Peretz a même déclaré qu’en matière « extérieure et sécuritaire »,
il ferait exactement ce que Sharon, ou plus tard Olmert feraient, et
qu’il ne diffèrerait d’eux qu’en matière sécuritaire.
Ainsi, ces candidats travaillistes ont contribué à convaincre les
électeurs israéliens que la voie empruntée par Sharon était la
bonne. Ces dernières années, il n’y a jamais eu d’opposition
de gauche conséquente au pouvoir de Sharon et des généraux, étant
donné que dès le lendemain des élections, le parti travailliste
finirait bien dans tous les cas par rejoindre le gouvernement, en
lui fournissant l’image de colombe dont les généraux ont un si
grand besoin pour leurs mascarades internationales…
Avec l’effondrement du système politique, l’armée demeure
l’institution qui détermine et exécute la politique d’Israël,
et comme le démontrent les quelques mois écoulés depuis
l’indisponibilité de Sharon, l’armée est déterminée à mener
à bien la politique qu’il lui a léguée, avec au gouvernement
Ehud Olmert, le successeur de Sharon,. Pour cela, il est fondamental
que quoi qu’Israël fasse, cela soit présenté comme des
concessions douloureuses. Juste en ce moment, nous sommes à la
veille de l’annonce d’un énième « plan de paix »,
dont Olmert va faire le marketing.
Olmert a peut-être choisi le nom de ce plan, mais les droits
d’auteur en reviennent à Sharon. Le 2 janvier 2006, peu après le
départ de Sharon, le quotidien israélien Ma’ariv rendait public
le plan qu’il avait l’intention de présenter, concernant la
Cisjordanie. Ce plan est fondé sur l’éventuelle reconnaissance,
par les Etats-Unis, du blocage de la Feuille de route – et même
sur celle qu’il s’est toujours agi d’une « non-solution »,
étant donné que, d’après la ligne officielle israélienne, il
n’y a jamais eu d’authentique partenaire de paix, du côté
palestinien. C’était encore avant que les élections
palestiniennes ne portent le Hamas au pouvoir, mais du point de vue
israélien, aucun partenaire palestinien n’a jamais été considéré
comme un partenaire convenable. Sharon objectait que l’Autorité
palestinienne, sous la direction de Abbas, ne remplissait pas ses
obligations en matière de lutte contre les « organisations
terroristes ». En l’absence d’un partenaire convenable,
Israël allait déterminer ses frontières unilatéralement –
c’est-à-dire qu’Israël allait décider lui-même quelle
proportion du territoire palestinien il allait s’arroger, avant de
se désengager du restant. D’après ce plan, des négociations
avec les Etats-Unis devraient conduire à « un agrément signé
avec Washington, déterminant la frontière orientale d’Israël ».
Cet accord américano-israélien comportera « l’achèvement
rapide de la barrière [comprendre : le mur]… qui deviendra
une véritable barrière frontalière. » [5]
La veille des élections israéliennes, Olmert a dévoilé
publiquement ce plan, qui devint ensuite le plan officiel du nouveau
gouvernement israélien, sous le titre de « consolidation »
ou « convergence ». Il a souligné que la nouvelle
frontière d’Israël correspondrait au tracé du Mur, qui serait
achevé avant que ne commence le désengagment [6]. Pour mettre ce
plan en application, le mur devrait être déplacé encore plus loin
vers l’est que son tracé actuel, et Olmert est très explicite
lorsqu’il donne son avis quant à son emplacement définitif. Il
veut s’assurer qu’ « Israël conservera les colonies
d’Ariel, Ma’aleh Adumim, la banlieue de Jérusalem et le Gush
Etzion », tout en établissant son contrôle sur la vallée du
Jourdain [7]. Un simple coup d’œil sur une carte montre que les
zones qu’Israël annexerait unilatéralement, du fait de ce plan,
correspondent à environ 40 % de la Cisjordanie…
Olmert est persuadé que les circonstances actuelles sont
favorables à l’imposition de cette « solution » aux
Palestiniens, notamment parce qu’après la victoire du Hamas aux
élections palestiniennes, il devrait être encore plus évident,
pour le monde entier, qu’il n’y a pas de partenaire pour des négociations
de paix. Il a notamment déclaré :
« Il y a actuellement une « fenêtre d’opportunité »
pour parvenir à un accord international de fixation de la frontière,
au lendemain de l’accession du Hamas au pouvoir et… en raison du
soutien reçu par notre retrait de Gaza [8] ».
Au niveau des déclarations, le plan comporte une évacuation
potentielle de certaines colonies située à l’est de la nouvelle
frontière. Toutefois, à la différence du plan de désengagement
de Gaza, aucun calendrier n’a été fixé pour cette évacuation
intentionnelle, ni aucune liste de colonies à évacuer dressée.
Dans tous les cas, si un scénario d’évacuation se fait jour, le
plan consiste à conserver les enclaves palestiniennes en
Cisjordanie sous le contrôle total d’Israël, comme cela avait été
le cas dans la bande de Gaza. Olmert a été explicite, à ce sujet,
lorsqu’il a annoncé publiquement son plan. Les arrangements
d’après retrait consisteront à « donner à l’armée israélienne
une liberté d’action en Cisjordanie similaire à celle qui avait
fait suite au désengagement israélien dans la bande de Gaza [9] ».
Par conséquent, le plan d’Olmert consiste à faire du legs de
Sharon une réalité, en annexant 40 % de la Cisjordanie à Israël
et en appliquant le modèle gazaoui de prison géante aux enclaves
palestiniennes restantes. Mais qu’importe, puisque Olmert est le
nouvel homme de paix israélien !
Nous vivons des temps difficiles : le legs de Sharon semble
sur le point de l’emporter, aucune barrière n’étant dressée
ni par le droit international, ni par la justice internationale, sur
sa route destructrice.
Voici moins de deux ans de cela, c’était le 9 juillet 2004, la
Cour Internationale de Justice rendait son avis sur les « Conséquences
juridiques de la construction d’un mur dans les territoires
palestiniens occupés. » La cour a considéré que le tracé
actuel du mur représentait une violation sérieuse et massive du
droit international. Les premières réactions, en Israël, allaient
dans le sens d’une préoccupation inquiète. A la mi-août 2004,
le procureur général d’Israël, Menachem Mazuz, présentait au
gouvernement un rapport indiquant : « Il serait
difficile d’exagérer les multiples conséquences négatives
qu’aura le jugement de la Cour internationale pour Israël, à
plusieurs niveaux, et même dans des domaines qui dépassent
largement la question du mur de séparation. Cet avis crée une réalité
politique, pour Israël, au niveau international, qui peut être
utilisée afin d’entreprendre des actions anti-israéliennes dans
des forums internationaux, au point que ces actions pourraient déboucher
sur des sanctions [10]. » Israël s’est donc empressé de
clarifier que le mur était une barrière de sécurité temporaire,
qui ne saurait en aucun cas déterminer des faits accomplis sur le
terrain. Néanmoins, dans l’atmosphère politique qui prévaut
aujourd’hui, Israël déclare avoir l’intention de faire de ce
mur sa frontière, et cela ne fait même pas sourciller un
quelconque gouvernement européen.
Il y a un an, également, le monde occidental célébrait l’aube
de la démocratie au Moyen-Orient. A la suite du départ d’Arafat,
les Palestiniens étaient engagés dans une authentique campagne électorale.
Le Hamas déclara son intention de participer à ces élections, et
de passer de la lutte armée à l’action sur l’arène politique.
On aurait imaginé que cela aurait été perçu comme une évolution
positive et encourageante, après des années de sang versé. De
fait, les Etats-Unis insistèrent sur l’organisation des élections,
en dépit des objections israéliennes. Mais, hélas, les
Palestiniens ont élu le mauvais parti ! Combien il est
naturel, semble-t-il, pour le monde occidental, de punir
collectivement le peuple palestinien de sa compréhension erronée
de ce qu’est la démocratie. Les Etats-Unis édictent, et l’Europe
entérine que toute aide en direction des Palestiniens doit être
stoppée, ce qui les menace d’une famine imminente, tandis que les
vestiges d’infrastructures et le système sanitaire continuent à
se désagréger.
Néanmoins, ces dernières années n’ont pas été seulement des
années de victoire, pour l’expansion israélienne. Replacée dans
la perspective à long terme du maintien de l’occupation israélienne
en Cisjordanie, l’évacuation des colonies de la bande de Gaza
s’avère un échec.
Un avis prédominant dans les milieux critiques consiste à dire
que Sharon a décidé d’évacuer les colonies parce que les
maintenir coûtait trop cher, aussi a-t-il décidé de concentrer
ses efforts sur son objectif central, à savoir conserver la
Cisjordanie et étendre les colonies israéliennes qui s’y
trouvent. Mais, de fait, cette opinion n’est étayée par aucune
preuve tangible.
Bien sûr, l’occupation de Gaza a toujours été coûteuse, même
du point de vue des expansionnistes israéliens les plus acharnés.
Israël n’a pas besoin de ce territoire, un des plus densément
peuplés au monde, et dépourvu de toute ressource naturelle. Le
problème étant que vous ne pouvez pas libérer Gaza, si vous
voulez conserver la Cisjordanie. Un tiers des Palestiniens sous
occupation vivent dans la bande de Gaza. Si on leur donne la liberté,
ils deviendront le centre de la lutte de libération palestinienne,
avec un accès libre aux mondes occidental et arabe. Pour contrôler
la Cisjordanie, Israël devait s’accrocher à Gaza. Et dès lors
qu’il est clair que Gaza doit être occupée et contrôlée,
l’ancien modèle d’occupation était le choix optimal. La bande
de Gaza était contrôlée de l’intérieur par l’armée, et les
colonies fournissaient le système logistique à ladite armée,
ainsi que la justification morale aux brutalités de l’armée
d’occupation. L’occupation transformait sa présence dans la
bande de Gaza en une mission de protection de la patrie. Le contrôle
depuis l’extérieur est sans doute meilleur marché. Mais, sur le
long terme, rien n’en garantit le succès.
De plus, depuis les années Oslo, les colonies ont été conçues,
tant localement qu’internationalement, comme un problème tragique
qui, en dépit des bonnes intentions verbales israéliennes de
mettre fin à l’occupation, était censé être insoluble. Ce
mythe bien utile a été brisé par l’évacuation des colonies de
Gaza, qui a montré à quel point il est facile, de fait, d’évacuer
des colonies, et combien grand est le soutien de la société israélienne
à cette évacuation.
Bien que je ne puisse ici entrer dans les détails, j’affirme
dans mon livre L’héritage de Sharon [11] que Sharon n’a pas évacué
les colonies de Gaza de sa propre volonté, mais bien plutôt parce
qu’il a été contraint de le faire. Sharon a mitonné son plan de
désengagement pour en faire un moyen de gagner du temps, au plus
fort des pressions internationales qui ont fait suite au sabotage
par Israël de la feuille de route et à sa construction de la
muraille en Cisjordanie. Néanmoins, à tout instant depuis lors,
jusqu’au dernier moment, il cherchait des moyens d’échapper à
ses engagement, comme il l’avait fait pour tous ses engagements,
par le passé. Mais, cette fois-ci, il a été forcé de mettre ses
engagements en application, par l’administration Bush. Bien
qu’elle ait été entièrement cachée derrière des paravents, la
pression [américaine] était tout à fait conséquente, et elle
incluait y compris des sanctions militaires. Le prétexte officiel
pour ces sanctions fut la vente d’armes israéliennes à la Chine,
mais à d’autres occasions, par le passé, la crise avait été réglée
dès lors qu’Israël avait accepté d’annuler le marché. Cette
fois-ci, les sanctions furent sans précédent, et elles restèrent
en vigueur jusqu’à la signature de l’accord du point frontière,
en novembre 2005.
L’historique de l’évacuation de Gaza montre que la pression
internationale peut contraindre Israël à faire des concessions.
J’affirme dans L’Héritage de Sharon que la raison pour laquelle
les Etats-Unis ont exercé des pressions sur Israël – pour la
première fois dans l’histoire récente – c’était qu’à
l’époque, les Etats-Unis s’enfonçant dans les sables mouvants
de l’Irak, il était impossible d’ignorer le mécontentement très
largement répandu dans le monde entier au sujet des politiques d’Israël
et du soutien indéfectible que leur apportaient les Etats-Unis.
(Par exemple, un sondage effectué dans l’ensemble de l’Union
européenne a montré que la majorité des Européens voyaient en
Israël le pays le plus dangereux pour la paix mondiale [12].) Les
Etats-Unis devaient, pour une fois, tenir compte de l’opinion
publique internationale.
Du point de vue des Etats-Unis, leur objectif consistant à apaiser
la pression internationale avait été atteint grâce à l’évacuation
des colonies de Gaza. Les dirigeants et les médias occidentaux
furent euphoriques à propos des nouveaux développements au
Moyen-Orient. On le sait : dès lors que la tranquillité
internationale est maintenue, la souffrance des Palestiniens ne joue
strictement aucun rôle dans les calculs américains.
L’administration américaine a dit clairement à « ses amis
en Europe et dans le monde arabe qu’Israël avait rempli ses
obligations dans le processus, et qu’il était temps désormais de
laisser Israël tranquille et d’attendre des Palestiniens qu’ils
fassent la part qui leur incombait. » [13]
Néanmoins, le simple fait qu’une pression ait été exercée sur
Israël – aussi légère et de courte durée ait-elle été –
montre aussi les limites de la puissance et de la propagande. En dépit
du succès apparent des lobbies pro-israéliens lorsqu’il s’agit
de faire taire toute critique de la politique israélienne dans le
discours politique public occidental, le combat des Palestiniens
pour la justice a pénétré la conscience universelle. Cela
commence par le peuple palestinien lui-même, qui a supporté des
années de brutale oppression, cela se poursuit avec son endurance
au quotidien, son organisation et sa résistance, qui ont permis de
maintenir la cause palestinienne vivante, ce qui est quelque chose
que les nations opprimées n’ont pas toutes réussi à faire. Cela
continue avec le combat international des mouvements de solidarité,
qui envoient leurs militants dans les territoires occupés et qui
jouent le rôle de vigiles, dans leurs pays respectifs, avec les
professeurs qui signent des pétitions de boycott universitaire,
s’exposant eux-mêmes à un harcèlement quotidien, avec quelques
journalistes courageux qui persistent à parler de la réalité,
contre les pressions de médias complices et des lobbies pro-israéliens.
Souvent, ce combat semble futile, mais il n’en a pas moins pénétré
la conscience mondiale. C’est cette conscience collective qui a
finalement contraint les Etats-Unis à exercer des pressions sur
Israël jusqu’à ce qu’il fasse quelques concessions, aussi
limitées aient-elles été.
Il est possible de faire taire la cause palestinienne pendant un
certain temps, comme c’est aujourd’hui le cas. Mais, nécessairement,
elle resurgira, et elle se refera entendre !
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[1] Section III, Security reality after the evacuation, clause 1.
The published plan is available at: http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=416024&contrassID=1&sub
ContrassID=1&sbSubContrassID=0&listSrc=Y.
[2] Amir Oren, Ha’aretz, October 19, 2001.
[3] Ora Coren, Israel ranks among most corrupt in West, Ha’aretz,
April 8, 2005.
[4] Gil Hoffman, 'National Responsibility' name of PM's new party,
Jerusalem Post ,November 23, 2005.
[5] Amnon Dankner and Ben Kaspit, The road blast Sharon’s new
initiative, Ma’ariv, January 2 2006 (Hebrew; www.nrg.co.il/online/1/ART1/027/938.html).
[6] Aluf Benn and Yossi Verter, “Olmert to Offer Settlers: Expand
blocs, cut outposts,” Ha’aretz, March 3 2006.. [7] Olmert said:
“I believe that in four years’ time, Israel will be disengaged
from the vast majority of the Palestinian population, within new
borders, with the route of the fence - which until now has been a
security fence - adjusted to the new line of the permanent borders.”
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Yuval Yoaz, Hague fence ruling may lead to sanctions, Ha'aretz,
August 19, 2004.
[11] L’Héritage de Sharon, Détruire La Palestine, Suite, La
Fabrique, Paris, April 2006. An extended version will appear in
English as The Road Map to Nowhere Israel/Palestine since 2003,
Verso, July 2003.
[12] Thomas Fuller, Herald Tribune, October 31 2003.
[13] Aluf Benn, “Leaving Gaza - The Day After,” Ha’aretz,
September 12 2005.
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