Jéricho est la plus ancienne ville découverte aujourd’hui ;
c’est une petite ville-oasis dans la vallée du Jourdain et qui
a été de tous temps un havre de douceur et de chaleur durant
l’hiver pour les Palestiniens comme pour les touristes.
Les gens viennent à Jéricho pour contempler les ruines du
palais du Roi Hérode et les ruines du palais du Calife Hisham
datant de la dynastie Omeyyade.
Un parterre complet de mosaïques a été découvert
dans le palais d’Hisham et a été attribué à l’Art Musulman
du 8e siècle ; il illustre une violente scène de chasse. Un
arbre aux branches entrelacées et chargées de pommes ou de
citrons retenus par de minces et délicates tiges, occupe le
centre de la représentation avec deux scènes très contrastées
représentées de chaque côté. Sur la gauche, un lion attaque un
cerf qui tente de s’enfuir, tandis que sur la droite deux autres
cerfs évoluent dans un pâturage. On m’a rapporté que cette scène
est connue sous le nom « d’Arbre de la Vie ».
Jéricho est également connue pour avoir été témoin
d’une de ces scènes blibliques difficiles à comprendre :
l’histoire de Joshua et de son armée de nomades. Quelques 40
000 israélites, descendants des esclaves hébreux ayant fui l’Egypte,
ont surgi du désert. Ils détruisirent cette cité des Cananéens
en se servant seulement de trompettes qui auraient fait s’écrouler
les murs de Jéricho ! Joshua et son armée firent donc la
conquête de la ville, masscrant quiconque s’y trouvait. Seule
Rahab, une prostituée cananéenne (en même temps que
collaboratrice) et sa famille ont été épargnée. La ville
autrefois si puissante avait disparue... Joshua et son peuple
aurait alors poursuivi leur campagne en détruisant les autres
villes et cités, parachevant ainsi la conquête victorieuse par
Joshua de tout le pays de Canaan.
Il se pourrait que l’histoire de Joshua soit une
parabole chargée d’édifier tout le genre humain en nous disant
que la libération d’un seul homme a pour prix l’oppression
d’un autre ; mais cette histoire n’est pas une incitation
à la répétition ou la perpétuation. Quelle que soit la vérité
qui se cache derrière l’histoire de Joshua et des murs écroulés
de Jéricho, le fait est que nous sommes toujours des barbares et
que la puissance militaire est toujours le facteur décisif.
Le 14 mars dernier, deux jours à peine après que
Shimon Péres, alors vice-premier ministre israélien, ait
rencontré le président palestinien Abu Mazen en Jordanie dans le
cadre d’une « rencontre officielle », les forces
israéliennes d’occupation attaquèrent la prison palestinienne
de Jéricho, ancien fort britannique des années 30 ayant pris le
nom de son concepteur (Taggart). Quelques minutes après que les
américains et britanniques aient quitté la prison tôt le matin,
l’attaque a été déclenchée avec des tanks et des bulldozers,
démolissant les murs de la prison avec des explosions (et non pas
des sonneries de trompettes) afin de capturer six hommes réclamés
par Israël et qui y étaient incarcérés depuis 4 ans.
Le plus connu des détenus était Ahmad Sa’dat,
le chef du Front Populaire de Libération de la Palestine qui était
à Jéricho depuis 2002 sous la surveillance de spécialistes
britanniques et américains de la sécurité dans le cadre d’un
accord qui avait mis fin au siège de la Muqata’a, le quartier général
de l’ancien Président Yasser Arafat. Cet accord, comme beaucoup
d’autres, était honteux dès le début. Sa’dat, accusé d’être
à l’origine de l’exécution du ministre israélien Rahabam
Ze’evi, un partisan du tranfert des Palestiniens, avait été
arrêté par le responsable des services de sécurité
palestiniens Tawfeeq al-Teirawy, en janvier 2002. Cette
arrestation s’était faite contre la volonté du procureur général,
Khaled al-Qedreh.
A la fin du mois de mars 2002, les forces israéliennes
d’occupation avaient assiégé le quartier général de Yasser
Arafat et l’église de la Nativité jusqu’à ce qu’Arafat
accepte, contre la loi palestinienne et contre l’avis de
l’opinion publique, d’envoyer Sa’dat et ses compagnons pour
le restant de leur vie en prison à Jéricho et qu’ils soient
incarcérés sous la surveillance de gardes britanniques et américains.
En juin de la même année, Sa’dat a été déclaré innocent
par la Cour Suprême Palestinienne, mais ce jugement n’a pas
retenu l’attention du publique jusqu’à la mise en place du
nouveau gouvernement [...].
Qu’attendait-on réellement des Palestiniens ?
Qu’ils emprisonnent cet homme jusqu’à son dernier jour !
Même au cas où l’accusation israélienne
contre Sa’dat serait fondée, il ne serait pas pire que les
innombrables généraux israéliens qui sont à l’origine des
tueries de Palestiniens et qui vivent en hommes libres ;
beaucoup d’entre eux sont médaillés pour « courage et
bravoure ». En fait, toute cette histoire n’est pas une
question de revanche ou de représailles mais se trouve plutôt au
cœur d’une occupation brutale et illégale qui dure depuis des
décennies.
Exhibitionistes du pouvoir et de la puissance, les
forces israéliennes ont amené avec elles leurs cameramen pour
montrer les prisonniers palestiniens et leur nudité tout au long
de la journée sur les chaînes d’information. Les images de nos
prisonniers comme celles des forces de sécurité palestiniennes,
en sous-vêtements, les yeux bandés et les bras levés en l’air
avaient pour objectif de frapper psychologiquement le public
palestinien et de donner un avertissement à ceux d’entre nous
qui persistent à se battre pour la liberté.
L’exploitation de cette opération sanglante (et
d’autres comme la décision d’Olmert d’inclure la colonie
d’Ariel dans le cadre de la séparation unilatérale, et la
fermeture du point de passage d’al-Mintar pour affamer la
population de la Bande de Gaza) dans le cadre de la campagne électorale
israélienne avec comme résultat immédiat une augmentation
significative du soutien au parti Kadima, est significative de la
pathologie sadique qui prévaut dans la rue israélienne.
L’opération a causé la mort de trois
Palestiniens, en a blessé beaucoup d’autres et s’est conclue
par l‘arrestation de tous les prisonniers et la destruction
complète de la prison de Jéricho.
Malgré les dénégations de Jack Straw, le
ministre britannique des relations extérieures, affirmant que
leur retrait n’avait pas été coordonné avec les israéliens
et qu’il s’était réalisé sous le couvert du secret afin d
ene pas mettre en danger la sécurité des quatre gardes américains
et anglais, le premier ministre israélien Ehud Olmert a revendiqué
« le plein support » des américains et britanniques
pour l’opération israélienne à Jéricho.
Il n’est pas déraisonnable d’imaginer que les
autorités israéliennes aient été informé du retrait des
gardiens américains et britanniques, ou pire encore que ce
retrait soit le résultat d’une collusion entre eux. Quoiqu’on
ait pu dire à propos de la libération de Sa’dat, le fait est
qu’il était toujours incarcéré dans cette prison, et quel que
soit le nombre de lettres d’avertissement écrites par Jack
Straw à l’Autorité Palestinienne, il serait véritablement
surnaturel que les tanks israéliens aient été garés par hasard
en-dehors de la prison juste au moment où les gardes la
quittaient.
Ce genre de comportement, c’est-à-dire le peu
de considération pour l’impact qu’aurait le retrait des
gardes et l’absence complète d’une approche diplomatique qui
aurait pu dissuader les israéliens d’attaquer, n’aide en rien
la cause des Palestiniens.
Ceci a réveillé le ressentiment à l’encontre
des Britanniques en tant qu’ancienne puissance coloniale en
Palestine. Le mandat britannique avait clairement opté pour l’établissement
d’un foyer national juif et avait encouragé la colonisation
juive en Palestine. Cette opération a grandement contribué à
persuader les Palestiniens que les Etats-Unis et l’Angleterre
faisaient ce que voulait Israël, et qu’ils s’étaient
toujours contentés d’être les témoins de tout le tort fait
aux Palestiniens. De quel droit les Britanniques ou la Société
des Nations disposaient-ils pour céder les territoires de la
Palestine, anciennement gérés part l’Empire Ottoman, à une
tierce partie ? Autant que l’Afrique du Sud avait le droit
de céder les terres d’Afrique Centrale à des colons blancs !
Un titre légal pour voler des biens ne change rien au fait
qu’il s’agit de biens volés.
Cet évènement n’est une surprise pour personne ;
Israël a toute latitude pour commettre ses crimes de guerre et
ses crimes contre l’humanité depuis que chaque recours devant
les Nations Unies se heurte touhours au veto des Etats-Unis ou à
la menace d’un veto. Pas plus tard qu’au mois de mars, les
israéliens affichaient leur soit-disant droit à assassiner
quiconque serait désigné comme Premier Ministre par le nouveau
Parlement Palestinien.
Les Palestiniens ont tiré beaucoup
d’enseignements importants de cette expérience : les
Etas-Unis et la Grande-Bretagne n’ont aucun souci de la sûreté
des prisonniers palestiniens ni de la position de l’Autorité
Palestinienne (AP). Le rôle de nos forces de sécurité, qui ont
été les premières à se rendre, est uniquement de protéger la
sécurité des israéliens en complète conformité avec les
ordres reçus et avec leur formation de ces dernières années.
De façon ironique, cette opération s’est déroulée
le jour où l’ancien parti au pouvoir dans l’AP, le Fatah,
discutait avec le Hamas la possibilité d’une participation à
un gouvernement d’unité nationale et tentait de faire en sorte
que le Hamas reprenne à son compte les accords signés par
l’ex-Autorité (des accords d’humiliation et de misère, comme
ceux qui consistent à livrer les combattants Palestiniens pour la
liberté à leurs adversaires et qui empêchent nos forces de sécurité
de tirer la moindre balle contre les forces israéliennes
d’occupation même si c’est pour défendre leur vie. Il est
particulièrement honteux de voir que nos propres forces de sécurité
ont ouvert le feu le même jour contre des Palestiniens qui
manifestaient, faisant un mort et plusieurs blessés.
« Jéricho d’abord » était le nom
donné à la première phase des accords d’Oslo dont la déclaration
de principes stipulait que la Bande de Gaza et la ville de Jéricho
seraient autonomes et créait un cadre pour les négociations.
Mais les questions fondamentales et controversées, comme Jérusalem,
l’avenir des colonies juives en Cisjordanie et le retour des
Palestiniens réfugiés de 1948 et 1967, devaient être résolues
lors des négociations sur le statut permanent. Par conséquent,
« Jéricho d’abord » est devenu pour les
Palestiniens dans l’opposition un symbole infâme de la perte de
nos droits nationaux, beaucoup d’entre eux manifestant à l’époque
en criant « Gaza, Ariha, Fadiha (Gaza, Jéricho est un
scandale) ».
Aux yeux de beaucoup de Palestiniens, Jéricho a
été le début de l’échec moral des Palestiniens ; la
succession de concessions humiliantes qui a débuté à Jéricho
vient de se terminer ici. Les Palestiniens devraient maintenant se
tenir droits ainsi qu’ils l’ont toujours fait, et ne jamais
faire de compromis sur leur dignité nationale et leurs droits
individuels et humains, pas plus que sur l’émancipation des générations
à venir.
*Samah Jabr est médecin et réside
de longue date à Al Qods (Jérusalem)
Samah Jabr