L'HUMANITE
Camps de Sabra et Chatila (Liban), envoyé spécial.
Ils sont des centaines à s’être rassemblés dans le cimetière où
reposent les restes de ceux qui ont péri sous les coups des
phalangistes libanais, épaulés par l’armée israélienne. Comme
chaque année, parce qu’il y a un devoir de mémoire, parce
qu’il ne faut jamais oublier ce qui s’est passé, ils sont venus
avec des photos des disparus, des banderoles dénonçant Sharon.
Peut-on oublier un massacre tel que celui des camps de réfugiés
palestiniens de Sabra et
Chatila ?
un traumatisme toujours présent
3 000 morts, des femmes et des enfants éventrés, tués à coup de
hache. C’était en septembre 1982, et Ariel Sharon était le grand
superviseur de cette boucherie. Vingt-trois ans plus tard, il suffit
de discuter avec les habitants de ces camps, de tous les camps de réfugiés
au Liban, pour se rendre compte que le traumatisme est toujours présent.
La situation actuelle leur fait craindre le pire. Vendredi soir,
jour de la commémoration, une bombe a explosé dans un quartier chrétien
de la capitale faisant un mort et une dizaine de blessés. En début
de semaine dernière, des membres des Brigades du Cèdre, connus
pour leurs relations avec les phalanges chrétiennes, appelaient les
Libanais « à tuer chacun un Palestinien ». Depuis quelques
semaines, les rumeurs les plus folles courent dans Beyrouth à
propos de l’assassinat de Rafic Hariri. On dit tout et n’importe
quoi, mais on insinue que les Palestiniens n’y seraient pas étrangers.
Comme par hasard, la commission Mellis, qui doit enquêter sur le
meurtre, travaille à charge contre la Syrie, ce qui n’est pas
sans rappeler l’attitude des inspecteurs de l’ONU en Irak. Si
rien ne dit que le régime syrien est étranger à ce meurtre
abominable, les concomitances ne laissent pas de troubler. La résolution
1559 de l’ONU, présentée par la France et les États-Unis,
insistait sur le retrait syrien du Liban et, deuxième volet, sur le
désarmement du Hezbollah et des factions palestiniennes dans les
camps. C’est là le bras de fer qui se joue actuellement avec, en
ligne de mire, une déstabilisation de la Syrie. Or, on sait que les
États-Unis, si prompts à vouloir appliquer la 1559, laissent Israël
se moquer des résolutions de l’ONU, et en particulier la 194 qui
prévoit le droit au retour pour les réfugiés palestiniens.
franchir une nouvelle étape
Aider les réfugiés palestiniens des camps, faire connaître leur
situation mais aussi agir pour l’application de la résolution
194, tels sont justement les objectifs de l’association de
jumelage des camps palestiniens et des villes françaises (AJPF)
depuis des années. Cette fois, il s’agissait de franchir une étape
supplémentaire en invitant un grand nombre d’élus français - députés
européens, députés, sénateurs, maires... - à se rendre compte
sur place du drame vécu par la population palestinienne, mais aussi
encourager les élus libanais qui soutiennent les Palestiniens. À
la veille du départ, un coup de téléphone de l’ambassadeur de
France à Beyrouth est venu tout faire capoter. Invoquant des
raisons de sécurité auprès de Fernand Thuil, président de l’AJPF,
il demandait tout simplement l’annulation de la délégation. Une
position que soutenait Leïla Shahid, déléguée générale de
Palestine en France, qui avait pourtant largement collaboré au
projet (lire ci-dessous). « Nous avons finalement décidé de
partir à cinq seulement, sans élu, parce que ne pas venir aurait
été un signal négatif pour nos amis palestiniens et libanais.
Nous avions besoin de leur donner des explications et de leur dire
que le travail continue. Nous avons bien fait de venir, car nous
avons eu de nombreuses discussions avec les représentants
palestiniens, y compris ceux des comités populaires élus par la
population des camps, le Hezbollah, le parti communiste libanais,
des personnalités progressistes... Il en ressort que les
Palestiniens ont le sentiment d’avoir été abandonnés par la
France qui calque sa politique sur celle des États-Unis en ce qui
concerne la Syrie. » Malgré les pressions, la délégation a
rempli beaucoup de ses objectifs, en particulier jalonner le terrain
pour que les jumelages des camps se fassent désormais non seulement
avec une ville française, mais aussi avec une ville libanaise. Une
manière d’aider tout en posant la question du droit au retour des
réfugiés palestiniens.
Pierre Barbancey
Article paru dans l'édition du 19 septembre 2005.
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