Jérusalem, envoyé spécial.
« Après la victoire du Hamas, les
conditions politiques et économiques se sont aggravées,
notamment avec la retenue de l’argent qu’Israël nous doit et
avec l’expansion des colonies. Nous voulons que le gouvernement
français continue à être solidaire des Palestiniens et qu’on
ne nous fasse pas payer le prix de la démocratie. » Jihad
Abou Snee est une députée fraîchement élue du camp de réfugiés
de Choufat, près de Jérusalem. Membre du Fatah, elle évoque
ainsi la situation devant une délégation organisée par l’Association
de jumelage des camps palestiniens et des villes françaises
(AJPF) que dirige Fernand Tuil. Une vingtaine de personnes - des
maires, des conseillers généraux et un député (1) - venues,
moins de deux mois après les élections législatives, dans les
territoires palestiniens pour mieux comprendre la nouvelle donne
politique et poursuivre le travail entrepris depuis plusieurs années
maintenant avec ces réfugiés. « Dans le camp de Choufat,
seul camp compris dans Jérusalem annexé, comme l’explique la
parlementaire, nous subissons de multiples pressions depuis plus
de vingt ans, parce que les Israéliens veulent nous chasser. »
Déjà encerclé de colonies, le camp est maintenant complètement
isolé par l’érection du mur. « Près de 2 000 élèves
ne peuvent plus aller à l’école, entre 5 000 et 6 000
personnes ne peuvent plus quitter le camp car elles possèdent une
carte d’identité de Cisjordanie », commente Jihad.
Ces difficultés quotidiennes, résultat de
l’occupation, la délégation française en a fait l’expérience
concrètement, dès l’arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv,
avec un interrogatoire plus poussé pour ceux qui ont un prénom
à consonance arabe. Mais c’est au check-point de Kalandya,
entre Jérusalem et Ramallah, que la politique israélienne apparaît
dans toute sa monstruosité. Le mur, avec ses miradors de béton,
se dresse, dominateur. La queue des voitures s’étend, dans la
poussière et le bruit. Le passage piétons relève plutôt du
hangar à bestiaux. Derrière des vitres blindées, les soldats
israéliens aboient leurs ordres, bloquent tout passage au gré de
leurs humeurs, humilient les Palestiniens, forcés de passer sous
leurs fourches Caudines. Là encore, Rachid, ou Hassen ont dû
montrer patte blanche, c’est-à-dire leur passeport français,
pour franchir le tourniquet.
Jour et nuit, les travaux « d’aménagement »
du check-point se poursuivent. L’armée d’occupation emploie
pour cela des travailleurs palestiniens, sous la surveillance de
gardes armés. La séparation doit être totale. Cette réalité,
Hind Khoury, qui va très prochainement gagner Paris pour y être
la représentante de la Palestine en France, nommée par Mahmoud
Abbas dont elle sera la représentante, l’a illustrée par les
conséquences de l’occupation à Jérusalem et dans les villages
alentour.
Djihad Abou Snee le reconnaît : « La
situation politique n’est pas claire pour les Palestiniens. Il y
a un manque de clarté quant au programme du Hamas. »
C’est sur le fond qu’a lieu la confrontation politique.
« Pour que l’ensemble des organisations palestiniennes se
regroupent, il faut qu’elles soient sur les mêmes lignes que
celles définies par Mahmoud Abbas, explique-t-elle, mais ses
orientations ne semblent pas recueillir l’aval du Hamas. »
Pour elle, « le Hamas ne pourra gérer les territoires
ainsi, surtout face à une position claire d’Israël qui refuse
le droit au retour des réfugiés et n’entend pas partager Jérusalem.
Si la situation est bloquée, rien ne dit qu’on n’ira pas vers
un autre soulèvement palestinien. »
Devant les élus français, Mohammed Dahlan,
ancien ministre des Affaires civiles et surtout ancien chef de la
sécurité préventive de la bande de Gaza, très proche de
Mahmoud Abbas, n’a pas caché que la victoire du Hamas « aura
évidemment des répercussions politiques sur le processus de paix ».
Mais il ajoutait aussitôt : « En fait, depuis cinq ou
six ans il n’y a plus de processus de paix. Israël est le seul
gagnant de la victoire du Hamas. Notre préoccupation est qu’il
n’y ait pas une dégradation de la situation et surtout que le désespoir
ne s’installe pas dans la société palestinienne. C’est
pourquoi il faut continuer votre travail de solidarité avec notre
peuple, comme vous l’avez toujours fait. » C’est aussi
le discours de Hanni Hassane, membre du comité central du Fatah,
compagnon de toujours de Yasser Arafat : « Israël se réjouit
de la victoire du Hamas car il ne veut pas de partenaire pour la
paix. Le Hamas est une force nouvelle sur la scène politique
internationale. Il a donc besoin de multiplier les effets
d’annonce. Mais pour nous, le Fatah, il n’est pas question de
participer à un gouvernement sur cette base. Il ne faut pas un État
religieux palestinien mais un État laïc, avec ses croyances. »
La délégation française - « politique »
de par sa composition mais surtout son souci d’aider les
Palestiniens et d’intégrer sa démarche dans le combat pour la
fin de l’occupation - a tenu à rencontrer des pacifistes israéliens.
Michel Warchawski, fondateur du Centre d’information alternatif,
a dressé un état des lieux d’une société israélienne qui,
elle aussi, doit élire ses députés dans les prochaines
semaines, « une élection sans surprise et d’un ennui
mortel », comme il l’a dit, alors que les « 3 C de
la politique de Sharon (casser, coloniser, cantonner) » se
poursuivent sous la direction d’Ehud Olmert.
Dans les prochains jours, dans le cadre des
jumelages, des Palestiniens seront en France. « Il ne faut
pas nous laisser tomber, a insisté l’un d’entre eux. Notre
combat se poursuit contre l’occupation. »
(1) Étaient présents les maires et des élus de
Bagnolet, Douarnenez, Stains, Aubervilliers, Limay,
Saint-Leu-d’Esseranc, Saint-Denis, La Courneuve, député, des conseillers généraux de Seine-Saint-Denis,
et Patrick Braouzec de Saint-Denis.
Pierre Barbancey