Les Palestiniens doivent être libérés de la longue souffrance
endurée à travers 600 années d’occupation étrangère, 58 années
de dépossession et 38 années d’occupation militaire, laquelle
est devenue la plus longue de l’histoire moderne.
Mustafa Barghouti est secrétaire-général du PNI
(Palestinian National Initiative)
Quelle est la situation sur le terrain en Palestine ? La version
israélienne qui continue de dominer les moyens d’information
internationaux en donne une image qui n’a rien à voir avec la réalité.
Le rédéploiment à Gaza a été présenté comme l’ébauche
d’un processus de paix, comme une grande retraite du général
Sharon, lequel a été alors présenté comme un homme de paix. Mais
le fait subsiste aujourd’hui que la Palestine s’étend sur 27
000 kilomètres carrés, que la Cisjordanie n’en constitue que 5
860, et la Bande de Gaza uniquement 360. Dans ce dernier cas, cela
équivaut à 1,3 % du total de la Palestine historique. Ainsi, même
si Sharon avait effectué un véritable retrait de Gaza, ceci ne
représenterait que 5,8% des Territoires Occupés.
Mais les israéliens n’ont pas quitté Gaza. Beaucoup de bruit a
été fait autour du grand sacrifice qu’aurait concédé Israël
et combien pénible était ce départ pour les colons. Si vous
occupez une terre et la conservez pendant 20 ans, bien sûr que cela
devient pénible d’en partir, mais cela n’empêche pas que cette
terre reste quelque chose de volé que vous devez restituer à ses
propriétaires. Avant le redéploiement, un total de 152 colonies
existait dans les Territoires Occupés : 101 en Cisjordanie, 30 à Jérusalem
et 21 dans la Bande de Gaza.
Ces chiffres n’incluent pas les colonies que Sharon et l’armée
israélienne ont mises en place en Cisjordanie sans les reconnaître
officiellement. Après le redéploiement et l’évacuation des
colonies de la Bande de Gaza et de quatre petites colonies dans la
zone de Jénine en Cisjordanie, 127 colonies restent en place.
La population totale des colons -- illégalement installés en
regard de la loi internationale et de l’avis prononcé par la Cour
Internationale de Justice (CIJ) qui stipulait que le mur de séparation
et chaque colonie en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et à Jérusalem-Est
devaient disparaître - atteint 436 000 personnes : 190 000 à Jérusalem
et 246 000 en Cisjordanie. Seuls 8 475 colons, soit 2% du nombre
total de colons illégalement installés dans les Territoires Occupés
ont été déplacés de la Bande de Gaza et des environs de Jénine.
Et durant la même période, la population dans les colonies en
Cisjordanie a massivement augmenté avec 15 800 colons supplémentaires.
Alors pourquoi retirer les colons de Gaza si le désengagement était
simplement un exercice de redéploiement ?
Premièrement, Israël n’a jamais réellement voulu maintenir ces
colons sur place. C’était un objet de négociation à utiliser
lorsque le temps serait venu de parler du futur des Territoires
Occupés. Mais assurer la sécurité d’un relativement petit
nombre de colons par une présence militaire constante dans la Bande
de Gaza avait fini par être considéré comme trop coûteux.
Deuxièmement, Israël avait déjà épuisé les ressources en eau
de Gaza en captant l’écoulement de l’eau souterraine à l’Est
de Gaza -- ce qui a eu pour résultat l’infiltration d’eau de
mer dans la couche aquifère côtière -- et en surexploitant la
nappe phréatique existante pour le compte des colonies israéliennes.
En conséquence, les habitants de Gaza se retrouvent à utiliser de
l’eau saumâtre, cause d’un taux élevé de maladies rénales.
Le niveau maximum acceptable de chlore dans l’eau potable, selon
les standards de l’Organisation Mondiale de la Santé, est de 250
milligrammes par litres. Dans plusieurs zones de la Bande de Gaza,
le niveau de chlore est entre 1 200 et 2 500 milligrammes par litre.
Un autre mythe répandu avec succès par Israël est que le redéploiement
de ses colons signiefierait la fin de l’occupation de Gaza.
Aujourd’hui, la Bande de Gaza est occupée comme elle l’a
toujours été. Ce qui a changé, c’est uniquement la structure de
l’occupation. Libérés de l’obligation de maintenir une présence
physique à l’intérieur de la zone pour « protéger » ses
colons, il est maintenant plus facile pour les israéliens, et moins
coûteux, de contrôler la Bande de Gaza à distance en utilisant
l’état de l’art de sa technologie militaire.
L’armée israélienne est basée dans la zone d’Erez, au nord de
Gaza. Depuis cet endroit, elle continue à occuper une bande de
terre le long de frontière Est de Gaza sur une profondeur qui varie
de 900 mètres à un kilomètre -- encore une fois, l’ensemble de
cette zone ne fait que 360 kilomètres carrés -- et maintient son
contrôle sur l’espace aérien de Gaza, sa côte maritime et ses
eaux territoriales. Tous les points d’entrée et de sortie dans la
bande de Gaza restent sous contrôle israélien, et c’est Israël
qui décide si des centaines de malades qui ont besoin d’un
traitement urgent sont autorisés ou non à quitter la Bande de
Gaza. Malgré le dernier arrangement négocié par Condolezza Rice
sur l’ouverture du poste-frontière entre Gaza et l’Egypte, Israël
garde un complet contrôle sur le transit des marchandises et des
biens et conserve son droit de superviser les déplacements des
Palestiniens ; Israël a largement abusé de ce pouvoir par le passé.
Gaza reste une immense prison, et vouloir un développement économique
dans un tel contexte est une plaisanterie. Notre inquiétude
profonde est que le contrôle israélien sur Gaza aboutisse à terme
à une séparation complète de la Cisjordanie, détruisant l’unité
et les liens entre Palestiniens, et détruisant aussi le droit des
Palestiniens à un Etat unifié dans le futur.
Sharon exploite le rédéploiement de Gaza, qui a été abusivement
présenté comme une grande concession, pour imposer de façon
unilatérale le futur de cette région. La construction de ce mur
honteux et l’expansion des colonies vont ensuite aboutir à
l’annexion de pas moins de 50% de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est,
et à la destruction de toute possibilité de réaliser un Etat
Palestinien cohérent, viable et homogène.
Le mur s’enfonce jusqu’à 35 kilomètres à l’intérieur de la
Cisjordanie. Sa construction a déjà entraîné l’annexion de
9,5% des terres de la Cisjordanie. La surface expropriée pour les
colonies ajoute encore 8% à ce total, tandis que la construction du
mur à l’Est dans la vallée du Jourdain permettra à Israël
d’annexer 28,5% supplémentaires de la Cisjordanie.
Le mur est en train d’être construit à très grande vitesse,
sans égard pour l’avis de la Cour International de Justice. Il
fera à terme près de 750 kilomètres de long : soit trois fois la
longueur du mur de Berlin et deux fois sa hauteur. Plus de 1 060 000
arbres -- avant tout des oliviers -- ont été déracinés par les
bulldozers israéliens en Cisjordanie. Ce mur n’est pas construit
sur le territoire israélien, ni sur les frontières de 1967, mais
à l’intérieur des Territoires Occupés, séparant les
Palestiniens les uns des autres, et non pas les Palestiniens des
israéliens comme le proclame Sharon.
Ce mur va aussi isoler pas moins de 250 000 Palestiniens à Jérusalem.
De 50 à 70 000 autres Palestiniens disposant d’une carte
d’identité de Jérusalem seront bloqués en dehors du mur et
resteront interdits d’accès, perdant alors l’accès aux
services éducatifs et de santé de la ville. Ceci est le début
d’un processus qui s’achèvera par la confiscation de leurs
cartes d’identité et les obligera à s’expatrier de la zone de
Jérusalem à laquelle ils appartiennent.
A certains endroits, le mur coupe des maisons en deux. A Jérusalem,
près d’Anata, le mur coupe l’aire de jeu et les terrains
d’une école de l’école elle-même. Dans la ville de Qalqilya,
46 000 personnes sont encerclées par le mur dans toutes les
directions, laissant un seul passage, une route de 8 mètres de
large avec une porte à travers laquelle ils doivent passer. Les
soldats israéliens disposent de la clé de cette porte, et peuvent
couper la ville du restant du monde comme bon leur semble.
Un permis, quasiment impossible à obtenir, est requis pour
traverser le mur. Et même si vous arrivez à obtenir ce permis,
vous devez encore tenir compte des horaires d’ouverture très
mal-commodes. A Jayous, vous pouvez traverser entre 7h40 et 8h00,
entre 14h et 14h15 et entre 18h45 et 19hrs, soit un total de 50
minutes par jour. Parfois l’armée israélienne « oublie »
d’ouvrir les portes, et les enfants des écoles, les enseignants,
les agriculteurs, les malades et autres personnes ordinaires sont
abandonnés dans une attente à la durée indéfinie.
Si le plan de partition des Nations Unies de 1947 avait été mis en
œuvre, il y aurait deux Etats : un Etat Palestinien sur 45% de la
Palestine historique, et un autre israélien sur 55%. En 1967, l’état
israélien s’étendait sur 78% de la Palestine historique. Ne
restaient que la Cisjordanie et la Bande de Gaza ; les Palestiniens
sont arrivés aux limites possibles avec la proclamation par le
Conseil National Palestinien de la solution à deux-états. Ceci
représente un compromis sans précédent pour les Palestiniens car
cela ne leur accorderait qu’à peine plus de 50% de ce que le plan
de partage de 1947 leur attribuait.
Ce qui a été proposé à Yasser Arafat par Ehud Barak à Camp
David en 2000 n’était pas différent du plan de Sharon, dans la
mesure où Barak voulait conserver la vallée du Jourdain, Jérusalem
et une large proportion des colonies. Ayant précipité les
Palestiniens dans la pire des situations qu’ils aient jamais
connues sur le plan économique et humanitaire, Sharon a créé une
situation où il agit en toute indépendance pour décider la
tournure que prendrait n’importe quel « processus de paix ».
S’il termine son mur et s’il réussit à imposer ses décisions
unilatérales, son plan, tant apprécié par tant de dirigeants dans
le monde, transformera l’idée d’un Etat Palestinien en quelque
chose ne pouvait être qualifié que de Bantustans et de ghettos.
Ici se trouve la vraie motivation derrière la construction du mur.
Loin d’être construit pour des raisons de sécurité, il
symbolise un plan prédéterminé par l’armée d’annexer les
Territoires Occupés et de définir par avance l’aboutissement du
si mal nommé « processus de paix ». L’armée israélienne à réimposé
les bouclages et de sévères restrictions dans les déplacements en
Cisjordanie, décrétant que les principales routes sont interdites
aux véhicules palestiniens, avec l’exception de quelques
transports publics. A l’opposé, ces routes sont destinées à
l’usage des colons israéliens et de l’armée exclusivement, ce
qui représente un acte de ségrégation que l’on n’avait même
jamais vu dans la pire période de l’Apartheid en Afrique du Sud.
Les Palestiniens ordinaires ne peuvent aller à leur travail, les
femmes enceintes ne peuvent aller accoucher à l’hôpital, les
malades en attente urgente de dyalise rhénale ou de traitement pour
une attaque cardiaque peuvent mourir chez eux sans avoir pu accéder
à un hôpital, et l’économie palestinienne est totalemnt paralysée.
Où est le processus de paix dans tout cela, et quand Sharon refuse
de reconnaître la présence d’un partenaire Palestinien ? Et
qu’en est-il de l’idée d’une conférence internationale pour
la paix ? Sharon clâme qu’il n’y a pas de place pour des négociations
à propos de Jérusalem, la vallée du Jourdain, les colonies, et
qu’il décidera du futur de façon unilatérale sans aucune
participation palestinienne ou internationale. Et s’il y a des négociations,
elles se situeront entre la direction du Likud et son aile encore
plus réactionnaire représentée par Netanyahu, ou entre Sharon et
les colons.
Notre demande est que se tienne une conférence internationale pour
la paix, dans laquelle la solution du conflit sera définie sur la
base de la loi internationale, et où il sera tenu compte de
l’avis de la Cour Internationale de Justice.
Ce qui est en train de se produire sur le terrain, c’est un système
d’Apartheid. Sur les 960 millions de mètres cubes d’eau
produits en Cisjordanie, les Palestiniens ne sont autorisés à en
utiliser que 109, soit environ 10% de ce qui est notre eau. Le reste
va en Israël. En moyenne, un citoyen Palestinien en Cisjordanie
n’est autorisé à utiliser que 36 mètres cubes d’eau par an,
alors que les colons israéliens peuvent en utiliser 2 400. Nous ne
sommes pas autorisés à nous servir de nos rues et de nos routes.
Nous ne sommes pas autorisés à construire des maisons. Nous ne
sommes pas autorisés à circuler librement. Notre Produit Intérieur
Brut (PIB) par tête est inférieur à 1000 $ US alors que celui
d’un israélien est supérieur à 20 000 $, et nous avons encore
à acquitter des taxes et à supporter une union douanière qui nous
oblige à acheter des produits aux mêmes prix que les israéliens.
Ceci est bien illustré par le grave déséquilibre des pouvoir sur
le terrain, lequel ne peut être contrebalancé que par une
intervention et par le support de la communauté internationale.
Un des moyens de corriger cette situation est de faire ce qui a été
réalisé avec succès en Afrique du Sud, c’est-à-dire imposer
des sanctions. Un fait notable dans la situation actuelle est la
coopération militaire avec Israël qui est le quatrième
exportateur d’armes dans le monde. Nous voulons que cette coopération
militaire cesse et que se développe un mouvement de désinvestissement
et de gel des accords économiques jusqu’à ce qu’Israël
applique la loi internationale et mette en œuvre les résolutions
internationales.
Les Palestiniens doivent être libérés de la longue souffrance
endurée à travers 600 années d’occupation étrangère, 58 années
de dépossession et 38 années d’occupation militaire, laquelle
est devenue la plus longue de l’histoire moderne. Les israéliens
eux-mêmes ne seront pas réellement libres tant qu’ils ne
mettront pas un terme à leur oppression du Peuple Palestinien.
Il arrive un moment dans la vie des peuples où l’injustice ne
peut être supportée plus longtemps. Ce moment est venu pour les
Palestiniens. Nous voulons être libres, et nous le serons.
Mustafa Barghouti
7 décembre 2005
Al Ahram Weekly
http://weekly.ahram.org.eg/2005/771...
<http://weekly.ahram.org.eg/2005/771/op2.htm>
Traduction : Claude Zurbach http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=1987
|