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L’hypocrisie de la tolérance
Meron Benvenisti



Haaretz, 9 février 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=680857

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/680580.html


Les initiateurs de la construction de cet éléphant blanc nommé Musée de la Tolérance ont déclaré qu’ils ne s’occupaient pas des questions liées au génocide juif et qu’ils ne traiteraient pas de sujets touchant au conflit israélo-palestinien. Le premier de ces engagements est là pour garantir le monopole de « Yad Vashem » pour tout ce qui a trait au génocide. Quant à la signification de la seconde déclaration, nous l’apprenons maintenant : cela indiffère les prédicateurs de la tolérance que les fondations de leur entreprise soient établies sur des générations de squelettes musulmans ; en fin de compte, ils se sont engagés à ne pas s’occuper du conflit local. Les questions de squelettes, c’est la société « Moria », appartenant au conseil de la ville réunifiée, qui s’en occupera par indulgence. On peut présumer qu’avec près de quarante ans d’expérience en matière de tartufferies et de doubles standards, elle aura le tour pour dissimuler l’hypocrisie qu’il y a à fonder un Musée de la Tolérance précisément à l’emplacement d’un cimetière musulman profané.

Celui qui a décidé d’ériger le bâtiment plein d’ostentation de ce musée à l’emplacement d’un cimetière devait de toute façon savoir que le creusement des fondations mettrait à jour des centaines de squelettes ; déjà dans les années 70 et 80, les autorités du Waqf musulman ont protesté contre la profanation de tombes sur ce site. Et la veille de la proposition du projet, il y a plus de trois ans, beaucoup ont averti du tumulte qui serait inévitablement provoqué.

Mais personne ne s’en est ému : un expert juif israélien a en effet décrété que « la sainteté du site avait été retirée » et les arguments des chefs religieux musulmans qui contraient son avis ont été repoussés avec mépris. Et puis la Direction des Antiquités et le Ministère des affaires religieuses ont supervisé le site et donné pour consigne aux ouvriers de nettoyer les squelettes « et de les recouvrir d’une toile blanche en nylon ». Cette surveillance par les autorités sur les pauvres restes de ce cimetière qui fut le plus grand et le plus important de Jérusalem se reconnaît parfaitement aux pierres tombales brisées et abandonnées, dont certaines datent des périodes ayyoubide et mamelouk.

« Celui qui est enterré à Jérusalem, au lieu-dit Zeitoun Al-Malakh (c.-à-d. Mamila), sera enterré, si on peut s’exprimer ainsi, dans les cieux d’ici-bas », a écrit Moujir Al-Din en 1495. Après l’unification de la ville, les autorités musulmanes ont demandé l’autorisation de restaurer les tombes et de s’occuper de leur entretien mais les autorités israéliennes ont refusé, y voyant un précédent à la reconnaissance du droit des musulmans sur des biens sacrés comme des mosquées et des cimetières, dans la partie occidentale de la ville. Pendant qu’à Mamila (situé à l’ouest de la ville), avaient lieu les « excavations de sauvegarde » – euphémisme désignant la destruction des tombes musulmanes – on voyait aboutir les projets visant à déclarer le cimetière juif du Mont des Oliviers (à l’est de la ville) « site national du patrimoine d’Israël » et des centaines de millions de shekels étaient alloués à sa restauration.

L’unification de la ville était destinée à lui « rendre sa splendeur de jadis » et toute revendication musulmane, qui voulait que soit décrétée une égalité de traitement à l’égard des biens sacrés à l’ouest de la ville, était vigoureusement rejetée car perçue comme une revendication du « droit au retour qui signifierait la destruction d’Israël ». Si Israël se rendait à la revendication des musulmans à propos de Mamila, le danger résiderait dans l’effet boule de neige et qu’ils en viennent à revendiquer également la restitution des cimetières de Deir Yassin, Lifta, Malha et Ein Kerem – tous sur le territoire de la municipalité de Jérusalem – et qui, eux aussi, ont fait place à des dépôts d’immondices, des parkings, des routes et des emplacements d’immeubles.

Et la chose est sans limite car dans tout Israël sont dispersés des centaines de sites qui ont servi, dans le passé, de cimetières musulmans : les restes de quelques dizaines d’entre eux sont encore visibles sur le terrain. Les autres ont disparu, soit que les pierres tombales se sont brisées, effritées, soit qu’on ait tiré parti de ces terrains dans le tracé de routes, le développement de l’agriculture, l’établissement d’institutions ou la construction de maisons d’habitation. L’état des cimetières musulmans est à ce point honteux, que dans tout autre pays civilisé, cela ferait un tollé général.

De loin en loin, des confrontations ont lieu entre des membres de « l’association Al-Aqsa » installée à Oum Al-Fahm (ainsi que d’autres associations musulmanes israéliennes) et des organismes publics israéliens ou des particuliers à propos de dommages occasionnés à ces cimetières et des efforts pour les sauvegarder. Le pays est semé de sites d’inhumation ouverts, ossements humains traînant sur le terrain et pierres tombales brisées, couvertes d’ordures. Le site le plus célèbre est le cimetière de Balad A-Cheikh – c’est-à-dire Nesher près de Haïfa – où est enterré le cheikh Az A-Din Al-Qassam. Ce cimetière est le foyer de heurts récurrents entre des vandales cherchant à le profaner et des musulmans luttant pour sa préservation.

Les « pressions du développement » et autres « nécessités publiques » servent à justifier la destruction des cimetières musulmans abandonnés. Les autorités se montrent conciliantes à l’égard de ces actes en arguant que l’Islam autorise de changer l’affectation d’un cimetière au bout de quelques générations après la dernière inhumation – après le prononcé d’une fatwa – et elles s’appuient sur des précédents où les musulmans en ont effectivement agi ainsi. Les représentants religieux musulmans contestent cet argument et pointent le fait que tous les permis obtenus par les Israéliens ont été octroyés par des représentants religieux et des « curateurs du Waqf » corrompus, et que jamais les Israéliens n’avaient attendu leur décret, mais l’avaient obtenu l’acte déjà accompli.

Les cimetières musulmans sortent du contexte strictement religieux ; ce sont des points d’emprise sur le paysage. De même que les Israéliens aspirent à les effacer, les Arabes aspirent à les conserver [1]; il n’y a pas de témoignage plus fort d’un enracinement dans le paysage que des cimetières. Pendant des siècles, et encore au cours des dernières décennies, les défunts des familles Husseini, Nusseibeh, Muaked, Dajani, Kouteini, Namari, Abou-Saoud et d’autres ont reposé dans la terre de Mamila, jusqu’à ce que les promoteurs du Musée de la Tolérance viennent troubler leur repos. Qu’on ne dise pas que ce vandalisme est « sans rapport avec le conflit local ». Et qu’on n’aille pas s’étonner ensuite qu’éclatent les sentiments d’affront et de colère de musulmans qui ne peuvent empêcher la profanation de leurs morts.

 

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


[1] Malgré le mérite de cet article, on notera qu’Israélien y est synonyme de Juif israélien. NdT


 Source : Michel Ghys


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