La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, vient de
rentrer à Washington à l'issue d'un de ses voyages les plus désastreux
au Proche-Orient: aucune des missions qu'elle s'était assignée n'a
été accomplie.
Avant de s'envoler pour l'Egypte, l'Arabie saoudite et les
Emirats arabes unis, Condoleezza Rice avait elle-même déclaré que
son périple poursuivait trois objectifs. Le premier visait à
convaincre les pays arabes de la nécessité de renoncer à la coopération,
y compris financière, avec le Mouvement de la résistance islamique
(Hamas). Le deuxième consistait à inviter les Arabes à renforcer
les pressions sur Téhéran, et le troisième à encourager les réformes
démocratiques au Proche-Orient.
Pourquoi toutes ces initiatives ont-elles échoué?
Le soutien prêté à la résistance palestinienne, aujourd'hui
incarnée par le Hamas, a toujours été pour les dirigeants arabes
un outil d'influence sur leurs propres peuples. La question
palestinienne a toujours aidé à détourner l'attention des problèmes
intérieurs, dont le chômage, l'inflation et l'absence de libertés.
Elle a su mobiliser le peuple face à un ennemi commun en l'empêchant
de se révolter contre le régime. Comment les dirigeants arabes
pourraient-ils donc trahir l'idée de la lutte palestinienne,
l'unique élément qui les unit avec la société, pour se ranger du
côté des Etats-Unis et d'Israël?
De semblables raisons ne permettent pas aux élites dirigeantes
arabes de faire pression sur Téhéran, qui suscite les sympathies
de la population du Proche-Orient en général qui voit en lui un
combattant contre l'Amérique.
S'agissant de l'extension des libertés démocratiques dans la région,
il existe naturellement dans les pays du Proche-Orient des forces
libérales qui prônent des réformes, mais ce ne sont guère des
alliés de Washington. La question qui s'impose est de savoir si les
Etats-Unis ont fait quelque chose ces derniers temps pour s'attirer
les sympathies de la société arabe. Pourquoi les libéraux
saoudiens, cités par l'agence Reuters, affirment-ils que tout
contact public avec une administration Bush pro-israélienne serait
"le baiser de la mort" pour les forces réformatrices?
"De quelle démocratie parlez-vous? De celle qu'on a en Irak
où les explosions n'en finissent pas? De cette démocratie de la
torture?" demandaient les journalistes arabes à Condoleezza
Rice, mais en vain. La secrétaire d'Etat gardait le silence ou répondait
par des phrases générales, alors que la diffusion télévisée de
ses conférences de presse était interrompue par des bulletins
d'information annonçant de nouvelles explosions en Irak.
Le Liban, où Condoleezza Rice a effectué une visite impromptue,
serait le seul pays où ses propos sur la démocratie et la liberté
auraient trouvé un accueil favorable. Mais le Liban n'est pas un
pays comme les autres. C'est un pays politiquement divisé où les
slogans démocratiques sont simplement utilisés par l'une des
forces qui lutte pour le pouvoir, ce qui signifie d'ailleurs que
l'Occident, en soutenant une partie de la société libanaise au détriment
de l'autre, pousse le pays à la confrontation.
Les responsables politiques américains devraient sans doute se
demander pourquoi toutes leurs tentatives en vue de démocratiser le
Proche-Orient ont abouti jusqu'ici à des résultats inattendus, en
premier lieu pour les Etats-Unis eux-mêmes. Après les élections démocratiques
en Palestine, en Egypte et en Irak, les islamistes ont pu renforcer
leurs positions. Ils semblent aujourd'hui être l'unique force
susceptible d'obtenir le soutien de la population au Proche-Orient.
Ce sont aussi les partisans des réformes politiques les plus
farouches, seulement ce ne sont pas des réformes pouvant arranger
Washington.
Une question se pose: le président Bush comprend-il, quand il évoque
le soutien aux révolutions colorées, quel pourrait être leur résultat
pour le Proche-Orient et pour les Etats-Unis? Une nouvelle révolution
ne pourrait prendre que la couleur rouge du sang versé dans la
guerre civile et les attentats terroristes, ou la couleur verte de
l'islam, ou encore ces deux couleurs à la fois. Est-ce bien cela
qui répond aux intérêts nationaux des Etats-Unis, que George W.
Bush a évoqués dans un discours devant les membres de l'influente
association d'anciens combattants American Legion? "La liberté
poursuit sa marche à travers le monde entier, et nous ne baisserons
pas les bras tant que la liberté ne s'étendra pas aux peuples du
monde entier. Cela correspond à nos intérêts nationaux",
disait-il.
Il ne fait pas de doute que la liberté est l'une des principales
valeurs de l'homme, mais elle n'est pas la seule. Et si la liberté
tourne en chaos sanglant, en a-t-on besoin? Au Proche-Orient,
nombreux sont ceux qui interprètent la liberté comme
l'affranchissement du joug américain. Cette approche peut-elle
convenir à Washington?
© 2005 RIA
Novosti
|