Haaretz, 1er janvier 2006
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=664752
Version
anglaise : American
Jews' split personality
www.haaretz.com/hasen/spages/664556.html
L’offensive
de l’AIPAC, le lobby pro-israélien aux Etats-Unis, contre
l’administration Bush à propos de sa gestion de la question du
nucléaire iranien est sans précédent et a pris la forme d’une
vaste campagne médiatique comprenant communiqués de presse et
documents diffusés parmi les membres du Congrès. La semaine passée,
le « Washington Post », qui est lu dans la capitale par
toute la classe politique dirigeante, relevait que c’était la
première fois que l’AIPAC émettait une critique ouverte et
d’envergure contre l’administration Bush. Dans un document de
travail distribué par ses gens aux membres du Congrès, le lobby
pro-israélien qualifie de « dangereuse »
et de « préjudiciable »
la politique de Bush, allant jusqu’à déclarer qu’elle « aidait » en fait l’Iran à acquérir une capacité nucléaire.
La
Conférence des Présidents des Organisations Juives, qui s’est
lancée dans une offensive comparable, s’est abstenue de formuler
des critiques directes à l’encontre du président mais a appelé
les différentes organisations membres à exercer des pressions sur
le Congrès et sur les gouvernements étrangers et à envoyer des
lettres aux plus hauts responsables de l’administration. Avant
cela, certains dirigeants d’organisations, comme Abe Foxman de la
Ligue Anti-Diffamation (Anti-Defamation League), avaient déclaré
qu’il n’était pas bon de faire de cette affaire un combat
« juif » comme le combat en faveur des Juifs d’URSS
jadis, ou contre le terrorisme palestinien. Néanmoins l’AIPAC a
opté pour une ligne plus dure et décidé, en toute conscience, de
critiquer la Maison Blanche suite à la décision de celle-ci, le
mois passé, d’accepter l’approche plus conciliante de la Russie
qui recommandait d’éviter pour le moment une confrontation
ouverte avec l’Iran au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU.
D’après ce qu’ont rapporté les médias, Bush aurait même fait
part au Premier Ministre britannique, Tony Blair, des ses problèmes
avec le lobby juif.
Tous
ceux qui observent les tendances politiques et l’état d’esprit
au sein de la communauté juive américaine ne peuvent pas ne pas
sourciller devant ce qui apparaît chez elle comme un dédoublement
de personnalité. A côté de cette offensive massive contre la
passivité manifestée par l’administration sur tout ce qui touche
à l’Iran, les médias, en particulier les médias juifs, ont, la
semaine dernière, accordé une large diffusion aux résultats de
l’enquête annuelle du Comité Juif Américain, qui rendait compte
de ce qu’environ 70% des Juifs des Etats-Unis s’opposaient à
l’intervention des Etats-Unis en Irak, chiffre de 10% plus élevé
que celui des opposants pris dans l’ensemble de la population. Après
s’être jusqu’ici abstenue d’exprimer publiquement une
opposition à la guerre, plusieurs organisations juives ont elles
aussi décidé de s’y attaquer ouvertement.
La
baisse de popularité de la guerre en Irak a amené une organisation
importante comme le Mouvement Réformé à lancer, le mois passé,
lors de son congrès annuel, un appel à évacuer les forces américaines
d’Irak. Cette décision a entraîné un débat public dans les
pages du « New York Times », lorsque la Coalition Juive
de Soutien au Parti Républicain a publié un gigantesque communiqué
de soutien à Bush et de critique contre la décision des réformés.
Le président Bush lui-même y a fait référence lors d’une réunion
du Conseil aux Affaires Mondiales à Philadelphie, il y a une
quinzaine de jours, en disant qu’il attendait de ceux pour qui
l’existence et la sécurité d’Israël est importante, qu’ils
soutiennent les efforts de l’administration visant à renforcer la
démocratie au Moyen-Orient.
D’un
point de vue historique, on peut soutenir que le président iranien,
Mahmoud Ahmadinejad, remplace Saddam Hussein en ce qui concerne la
prétention à mener le Moyen-Orient et à développer une capacité
nucléaire ainsi qu’au niveau des menaces à l’encontre d’Israël.
Et de fait, le sentiment s’est exprimé dans la presse juive,
qu’une opposition à la guerre en Irak au sein d’une majorité
des Juifs des Etats-Unis portait préjudice aux efforts pour presser
l’administration à montrer une plus grande fermeté à l’égard
de l’Iran.
L’AIPAC
et les tenants de la ligne dure dans la communauté juive seront
bientôt contraints de convaincre non seulement l’administration
mais aussi une majorité juive sceptique pour tout ce qui touche à
l’intervention américaine au Moyen-Orient. Comme le montrent les
résultats de l’enquête du Comité Juif Américain, les différents
camps au sein de la communauté juive se répartissent clairement en
fonction des courants religieux : les orthodoxes d’un côté,
les réformés et les conservateurs de l’autre. 78% des réformés,
par exemple, sont opposés à la guerre en Irak contre 38% des
orthodoxes.
Pareil
clivage se retrouve sur des questions touchant au partage de Jérusalem,
à la clôture de séparation, à l’identification avec Israël et
aux visites en Israël. Les voix se scindent selon les mêmes camps
sur des questions internes américaines comme celles portant sur les
rapports de la religion à l’Etat. La direction de l’AIPAC
pensait à l’évidence que le soutien à la position dure se
renforcerait face aux déclarations antisémites du président
iranien, mais les doubles messages émanant de la communauté juive
sur tout ce qui a trait à l’implication américaine au
Moyen-Orient sont susceptibles d’affaiblir le lobby juif dans son
combat face à l’administration américaine sur la question de
l’Iran.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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