Réseau Voltaire
Trump : le business contre la guerre
Thierry Meyssan
Donald
Trump inaugure le « Strategy and Policy
Forum » à la Maison-Blanche
(3 février
2017).
Mercredi 15 février 2017
Thierry Meyssan nous invite à observer
Donald Trump sans le juger avec les
critères de ses prédécesseurs, mais en
essayant de comprendre sa propre
logique. Il observe que le président
états-unien tente de restaurer la paix
et de relancer le commerce mondial, mais
sur une base nouvelle, totalement
différente de l’actuelle globalisation.
Cherchant à renverser le pouvoir qui
l’a précédé et qui tente de se maintenir
malgré lui, le président Trump ne peut
pas composer son administration en
s’appuyant sur la classe politique ou
sur de hauts-fonctionnaires. Il a donc
sollicité des personnes nouvelles, des
entrepreneurs comme lui, malgré le
risque que cette confusion des genres
comporte.
Selon l’idéologie puritaine, en vogue
depuis la dissolution de l’Union
soviétique, confondre la politique d’un
État et ses affaires personnelles est un
crime ; raison pour laquelle on a
instauré une stricte séparation entre
ces deux mondes. Au contraire, durant
les siècles passés, on n’abordait pas la
politique sous un angle moral, mais sous
celui de l’efficacité. On considérait
alors normal d’associer des
entrepreneurs à la politique. On ne
qualifiait leur enrichissement personnel
de « corruption » que lorsque ils
s’engraissaient au détriment de la
Nation, pas lorsqu’ils la développaient.
Concernant ses relations avec les
deux Grands, le président Trump aborde
la Russie au plan politique et la Chine
au plan commercial. Il s’appuie ainsi
sur Rex Tillerson (ancien patron
d’Exxon-Mobil), un ami personnel de
Vladimir Poutine, comme secrétaire
d’État ; et sur Stephen Schwarzman (le
patron de la société de
capital-investissement Blackstone), un
ami personnel du président Xi Jinping,
comme président du nouvel organe
consultatif chargé de proposer la
nouvelle politique commerciale : le
Forum stratégique et politique (Strategy
and Policy Forum) qui a été inauguré
par le président Trump, le 3 février à
la Maison-Blanche [1].
Il réunit 19 entrepreneurs de très haut
niveau. Contrairement aux pratiques
précédentes, ces conseillers n’ont pas
été choisis sur le critère de savoir
s’ils avaient soutenu ou non le
président durant sa campagne électorale,
ni en fonction des entreprises qu’ils
dirigent, de leur taille et de leur
influence, mais de leurs capacités
personnelles à les diriger.
Rex Tillerson
En tant que directeur d’ExxonMobil,
Rex Tillerson a conçu une forme de
partenariat avec ses homologues russes.
Gazprom, puis Rosneft ont autorisés les
États-uniens à venir travailler chez eux
à la condition que ces derniers les
autorisent à coopérer ailleurs avec eux.
Ainsi, les Russes ont investi pour un
tiers dans les opérations d’ExxonMobil
au Golfe du Mexique, tandis que la
multinationale a participé aux
découvertes du gigantesque champ
d’hydrocarbures de la mer de Kara [2].
C’est ce succès partagé qui a valu à
Rex Tillerson de recevoir la Médaille de
l’Amitié des mains du président Vladimir
Poutine.
La presse a souligné les liens
personnels qu’il a développés avec le
président russe, ainsi qu’avec Igor
Sechin, son homme de confiance.
À la tête d’ExxonMobil, il s’est
affronté à la famille Rockefeller,
fondatrice de la société. En définitive,
il a imposé son point de vue et les
Rockefeller ont commencé à vendre leurs
actions en vue de quitter la compagnie [3].
Selon les Rockefeller, le pétrole et
le gaz sont des ressources épuisables
qui arrivent bientôt à leur fin (théorie
vulgarisée dans les années 70 par le
Club de Rome). Leur usage dégage du
carbone dans l’atmosphère et provoque
ainsi le réchauffement climatique de la
planète (théorie vulgarisée dans les
années 2000 par le GIEC et Al Gore) [4].
Il est temps de passer aux sources
d’énergies renouvelables. Au contraire,
selon Rex Tillerson, rien ne permet de
valider l’idée selon laquelle les
hydrocarbures sont une sorte de compost
de détritus biologiques. On ne cesse de
découvrir de nouveaux gisements dans des
zones dépourvues de roche-mères et à des
profondeurs toujours plus importantes.
Rien ne prouve que les hydrocarbures
vont s’épuiser dans les siècles à venir.
Rien ne prouve non plus que le carbone
relâché par l’homme dans l’atmosphère,
soit la cause des évolutions
climatiques. Dans ce débat, chacun des
deux camps a financé un intense lobbying
pour convaincre les décideurs politiques
en l’absence d’argument déterminant [5].
Or, les deux camps défendent par
ailleurs des positions diamétralement
opposées en politique étrangère. C’est
pourquoi le combat entre les Rockefeller
et Tillerson a certainement eu un impact
sur la politique internationale. Ainsi,
en 2005, les Rockefeller ont conseillé
au Qatar —dont les revenus proviennent
d’ExxonMobil— de soutenir les Frères
musulmans, puis, en 2011, de s’investir
dans la guerre contre la Syrie. L’émirat
y a englouti des dizaines de milliards
de dollars pour soutenir les groupes
jihadistes. Au contraire, Tillerson a
considéré que si la guerre clandestine
est bonne pour la politique impériale,
elle ne fait pas avancer le business.
Depuis la défaite des Rockefeller, le
Qatar se retire progressivement de la
guerre et consacre ses dépenses à la
préparation du Mondial de football.
Quoi qu’il en soit, pour le moment,
l’administration Trump n’a pris aucune
décision face à la Russie, hormis
l’abrogation des sanctions prises en
réaction à une ingérence russe dans la
campagne électorale présidentielle qui
aurait été observée par la CIA.
Stephen Schwarzman
Le président Trump a d’abord choqué
la Chine populaire en acceptant un appel
téléphonique de la présidente de Taïwan,
malgré le principe « Une Chine, deux
systèmes ». Puis il s’est excusé auprès
de Xi en lui souhaitant chaleureusement
une « Bonne année du Coq de feu ».
Simultanément, il lui a accordé un
cadeau somptueux en annulant le Traité
trans-Pacifique. Cet accord, qui n’avait
pas encore été signé, avait été conçu
comme l’ensemble de la globalisation des
quinze dernières années pour exclure la
Chine du pouvoir décisionnel.
Le président Trump a ouvert un canal
de négociation avec les principales
autorités commerciales et financières
chinoises, via les membres de son Forum
stratégique et politique. La société de
Stephen Schwarzman, Blackstone, est
détenue depuis 2007 à hauteur de 9,3 %
par le fonds souverain de la République
populaire, China Investment Corp. [6],
dont le directeur de l’époque, Lou Jiwei,
est aujourd’hui ministre des Finances de
son pays.
Schwarzman fait partie du Conseil
consultatif de l’École d’économie et de
management de l’université de Tsinghua [7].
Or ce Conseil, placé sous la présidence
de l’ancien Premier ministre Zhu Rongji,
réunit des personnalités chinoises et
occidentales des plus importantes. Parmi
celles-ci : Mary Barra de General
Motors, Jamie Dimon de JPMorgan Chase,
Doug McMillon de Wal-Mart Stores, Elon
Musk de Tesla Motors et Indra K. Nooyi
de PepsiCo qui siègent également au
nouveau Forum stratégique et politique
de la Maison-Blanche.
Dans un article précédent, j’ai
indiqué que depuis sa rencontre avec
Jack Ma d’Alibaba (également membre du
Conseil consultatif de l’université de
Tsinghua), Donald Trump envisage que son
pays adhère à la Banque asiatique
d’investissement pour les
infrastructures. Si tel était le cas,
les États-Unis cesseraient de brider la
Chine et s’engageraient dans une
véritable coopération pour développer
les « routes de la soie » rendant ainsi
inutiles les conflits en Ukraine et en
Syrie [8].
La coopération par
le commerce
Depuis la dissolution de l’URSS, la
politique des États-Unis était fixée par
la « doctrine Wolfowitz ». Pour faire de
leur pays le « premier », les
administrations successives n’ont pas
hésité à livrer consciemment quantité de
guerres qui les ont appauvries [9].
Bien entendu, cet appauvrissement n’a
pas été pour tous. On a donc assisté à
un conflit interne au capitalisme entre
les sociétés ayant intérêt à la guerre
(aujourd’hui BAE, Caterpillar, KKR,
LafargeHolcim, Lockeed Martin, Raytheon,
etc.) et celles ayant intérêt à la paix.
L’administration Trump entend
relancer le développement du pays en
rompant avec l’idéal du « premier » et
en devenant le « meilleur ». Cela
suppose de faire vite. Il faudra des
années pour ouvrir les routes de la
soie, même si leur construction est
largement entamée. Par conséquent, les
États-Unis n’ont pas le temps de
renégocier les grands Traités
commerciaux multilatéraux actuels. Ils
doivent conclure sans attendre des
accords bilatéraux de sorte que les
contrats soient immédiatement mis en
œuvre.
Sachant l’extrême difficulté à
reconvertir une économie de guerre en
économie de paix, Donald Trump a associé
à son Forum stratégique et politique un
entrepreneur d’une des sociétés qui
pourraient se développer aussi bien en
temps de paix que par la guerre : Jim
McNerney (Boeing).
[1]
“Remarks
by President Trump in Strategy and
Policy Forum”, The White
House, February 3rd, 2017.
[2]
« Rosneft
exploitera le pétrole du golfe du
Mexique », par Juliana
Gortinskaïa, Traduction Louis-Benoît
Greffe, Оdnako (Russie) ,
Réseau Voltaire, 8 mars 2013.
[3]
“The
Rockefeller Family Fund vs. Exxon”,
David Kaiser and Lee Wasserman,
The New York Review of Books,
December 8th, 2016.
[4]
« 1997-2010 :
L’écologie financière », par
Thierry Meyssan, Оdnako
(Russie) , Réseau Voltaire,
26 avril 2010.
[5]
“Exxon
Mobil Accuses the Rockefellers of a
Climate Conspiracy”, John
Schwartz, The New York Times,
November 21st, 2016. “Rockefeller
Foundations Enlist Journalism in
‘Moral’ Crusade Against ExxonMobil”,
Ken Silverstein, The Observer,
January 6th, 2017.
[6]
Annual Report 2008, p. 40 &
56, The Blackstone Group.
[7]
“The
Advisory Board of Tsinghua
University School of Economics and
Management (2016-2017)”,
Tsinghua University.
[8]
“The
Geopolitics of American Global
Decline”, by Alfred McCoy,
Tom Dispatch (USA) , Voltaire
Network, 22 June 2015.
[9]
La doctrine Wolfowitz a été élaborée
dans le Defense Policy Guidance
for the Fiscal Years 1994-1999.
Ce document n’a jamais été
déclassifié, mais son contenu a été
révélé dans « U.S.
Strategy Plan Calls For Insuring No
Rivals Develop », Patrick E.
Tyler, New York Times, 8 mars
1992. Le quotidien publie également
de larges extraits du rapport en
page 14 : « Excerpts
from Pentagon’s Plan : "Prevent the
Re-Emergence of a New Rival" ».
Des informations supplémentaires
sont apportées dans « Keeping
the U.S. First ; Pentagon Would
Preclude a Rival Superpower »,
Barton Gellman, The Washington
Post, 11 mars 1992.
Pour comprendre l’administration Trump,
lire aussi :
« Trump :
le 11-Septembre, ça suffit ! », 24
janvier 2017.
« Contre
Donald Trump : la propagande de guerre »,
7 février 2017.
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
Twitter officiel.
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