BDS
La Palestine peut être reconquise
dans
un combat de rue...
Susan Abulhawa
Nous avons
déplacé notre combat vers les rues du
monde, afin de mieux révéler les
dimensions morales de notre lutte, écrit
Susan Abulhawa. Manifestation à Porto
Alegre, Brésil en 2012.
Vendredi 2 mai 2014
La rue mondiale est l'endroit où
un peuple indigène opprimé et sans
défense a une chance d'obtenir justice.
La Palestine a toujours été un pays
laissé pour compte, lentement balayé de
la carte, une société démantelée jour
après jour, systématiquement, par
Israël. En tant que population avant
tout désarmée et opprimée, les
Palestiniens sont considérés comme
impuissants, face à la suprématie
d'Israël et e sa technologie militaire
de mort, ils sont constamment évincés
par la rouerie politique d'Israël et
brimés sans cesse par un monde
occidental qui a fait de notre sort
misérable un véritable jeu de diplomatie
et d'intrigues.
Nous avons tant perdu, dans ce pillage
sans limite perpétré par Israël. Et
chaque jour, nous perdons toujours plus.
Maisons, patrimoine, existence, dignité,
sécurité, espoir, culture, tradition
orale, vergers, olives, histoire et
objets d'art, gagne-pain, innocence,
langue, identité. Ils ont déterré nos
âmes, rebaptisé nos villages, déversé du
béton sur nos anciens cimetières,
transformé en bordels nos églises et
mosquées, ils se sont approprié notre
hummus, notre falafel et notre maqlooba
en les présentant comme les aliments
traditionnels des étrangers juifs qui
débarquent quotidiennement pour prendre
notre place.
Mais nous sommes toujours ici – nous
luttons, rêvons, écrivons, dansons,
peignons, aimons, procréons – parce que,
comme l'a dit un jour Mahmoud Darwish :
L'espoir n'est pas un sujet de
conversation. Ce n'est pas une théorie.
C'est un talent.
Et, aujourd'hui, près de 70 ans après
que notre ruine a commencé, nous
débarquons finalement dans la rue, un
endroit où nous sommes infiniment plus
puissants qu'Israël. La rue mondiale est
un endroit où Israël n'a pas de
véritables possibilités de défense,
contre nous. Ici, Israël est
virtuellement impuissant et il a fait
tout ce qu'il pouvait pour nous tenir
écartés de cette rue mondiale. La
principale stratégie de conquête
d'Israël a toujours été de maintenir la
résistance palestinienne à portée de son
pouvoir, qui existe principalement dans
deux domaines.
Le pouvoir physique
Le premier est le pouvoir physique.
Israël figure parmi les exportateurs les
plus innovateurs sur le plan de la
technologie de mort – hardware, software
sophistiqués, services de terreur qu'il
met au point et teste sur les corps et
les esprits des Palestiniens. Nous ne
pouvons les battre dans des combats
militaires ou de guérilla, parce que ne
disposition d'aucun pouvoir physique
contre une telle brutalité. Nous avons
essayé et nous avons échoué, sur ce
front.
Le second domaine du pouvoir d'Israël
existe parmi l'élite puissante, cette
couche d'humanité qui n'est motivée et
convaincue que par le seul pouvoir, par
l'argent et par les expédients
politiques, comme certains chefs d’État,
magnats des médias, patrons de sociétés
et d'autres qui s'engraissent grâce aux
colonialisme et au capitalisme rapace.
C'est là où nous en sommes depuis Oslo,
nous errons dans les corridors du
pouvoir, nous frappons à de puissantes
portes, nous mendions la justice et, en
retour, on nous subventionne, on nous
blâme, on nous rabaisse, on nous
manipule.
Jusqu'à présent, la lutte palestinienne
a surtout été menée dans ces deux
domaines, où nous serons toujours
surclassés par la malfaisance d'Israël
et sa politique de pillage colonialiste.
Une seule fois dans le passé, nous
sommes parvenus à soustraire la lutte
palestinienne au contrôle d'Israël. Ce
fut lors de la première Intifada. Bien
que nos courageux jeunes, armés de
pierres, n'aient posé aucune menace
physique envers la force militaire d'une
puissance nucléaire, ils sont parvenus à
inverser les tendances et à opérer un
glissement de pouvoir, parce que, pour
la première fois, notre lutte débarquait
dans la rue mondiale.
Pour la première fois, des gens
ordinaires du monde entier pouvaient
constater le mensonge affirmant
qu'Israël menait une guerre
existentielle contre un dangereux
ennemi. Les images et les récits à
propos de la police israélienne rompant
les os d'enfants qui lançaient des
pierres ont fait leur chemin dans les
livings des masses et, là, des
discussions sur la moralité ont fait
leur entrée dans les conversations sur
la Palestine. C'était ça, « la rue »,
l'endroit mondial de la participation
publique où retentissent des mots comme
liberté, justice, libération. Pour la
première fois, des médias du monde
entier remettaient en question et
critiquaient Israël. Les souffrances des
Palestiniens étaient enfin reconnues en
tant que combat d'un peuple autochtone
pour sa survie, contre l'expansionnisme
et la suprématie ethnique et religieuse
des sionistes.
Donc, la première Intifada a éloigné la
lutte palestinienne des sphères
israéliennes du pouvoir et l'a fermement
installée dans le domaine de la moralité
et de la légitimité populaire. La
décision d'Israël, dès lors, de «
négocier » avec l'OLP n'était rien
d'autre qu'une astuce visant à
repositionner la résistance
palestinienne à portée du contrôle
d'Israël. Jusqu'alors, Israël avait
refusé de reconnaître l'OLP et avait mis
tout en œuvre pour la détruire. Mais
c'est alors que nous avons déplacé notre
combat vers les rues du monde, révélant
ainsi les dimensions morales de notre
lutte.
La seule option viable pour Israël fut
alors de créer un nouveau théâtre
diplomatique (les accords d'Oslo) dans
lequel il pouvait une fois de plus nous
éloigner des regards et de la rue, parce
qu'Israël ne peut en aucun cas évoquer
la légitime défense contre le cri de
liberté d'un peuple autochtone lorsque
celui-ci porte au-delà des murs des
prisons israéliennes et au-delà des amis
d'Israël dans les milieux élitistes du
pouvoir politique et économique.
Oslo et son insidieux « processus de
paix » sont parvenus à obtenir un
grand silence de longue durée, et de la
part des Palestiniens et de la part du
monde , ce qui a permis à Israël de
poursuivre sans entrave sont programme
originel d'épuration ethnique.
Le combat autour de
la moralité
Mais, aujourd'hui, nous en sommes
arrivés à un autre moment important d'un
combat de rue populaire s'appuyant sur
la moralité, la légitimité et la
justice. La campagne de Boycott, de
Désinvestissement et de Sanctions (BDS)
a déplacé la dynamique du pouvoir et a
ramené une fois de plus la bataille pour
la Palestine dans le domaine de la
conscience mondiale et de la
participation publique à la lutte de
libération d'un peuple autochtone.
La réponse d'Israël comprenait deux
volets. Israël recourt à une tactique
qui a fait ses preuves : celle des
négociations en vue d'« accords
intérimaires ». D'après un article
de
Haaretz, outre le fait de «
faire avancer le processus de paix avec
les Palestiniens [pour] éliminer une
partie importante des menaces de boycott
», d'autres tactiques comprennent «
une campagne massive de Public Relations
contre les organisations favorables au
boycott », l'organisation de «
procès devant des tribunaux européens et
nord-américains contre les organisations
partisans du mouvement BDS », le
lobbying en vue de la création de
nouvelles lois permettant de poursuivre
davantage de personnes qui boycottent
Israël et, finalement, la mise sur pied
d'une surveillance des supporters des
BDS, surveillance qui pourrait impliquer
des opérations dirigées à partir du
Mossad et du Shin Bet.
Toutes ces tactiques visent à réduire au
silence le débat, à intimider les gens
conscients et à affaiblir les appels
unis à la justice. Fait remarquable,
aucune des tactiques suggérées ne tente
de formuler un contre-argument moral de
poids contre les BDS.
Et la raison en est simple. La pauvreté
spirituelle d'un État colonial obsédé
par la création et le maintien d'un
profil démographique particulier est en
contradiction avec les notions
populaires de moralité. L'affirmation de
la sécurité militaire d'un État en vue
de justifier la destruction en cours
d'une population autochtone n'est
nullement convaincante, dans cette
époque de l'information, où les gens
peuvent voir à quoi ressemble la
démolition de la maison d'une famille
dont le seul délit est de ne pas être
juive, et où ils savent que cela se
passe presque chaque jour ; où ils
voient ce que c'est que d'arrêter des
enfants aux corps frêles et avec des
taches d'urine fraîche dans leur culotte
: où ils savent qu'il y en a des
centaines d'autres qui croupissent dans
les prisons israéliennes, qui subissent
la torture, sans la moindre accusation
ou procès et sans possibilité de voir
leurs parents ; où ils voient des vidéos
de terrifiantes razzias de nuit qui font
irruption dans les maisons des gens, qui
tirent les enfants et les personnes
âgées de leur lit, puis les renvoient à
leur sort peu enviable tout en sachant
que c'est une simple routine ; où ils
lisent l'un après l'autre des tas
d'articles émanant des organisations des
droits de l'homme et décrivant les
détails horribles de la cruauté et de
l'humiliation au quotidien ; où ils
savent que tout cela n'est autre que la
politique de l’État israélien telle
qu'elle est appliquée depuis des
décennies.
Voilà pourquoi Israël ne peut gagner
cette bataille, tant que nous
maintiendrons notre lutte dans ce
domaine de la moralité. Richard Falk a
dit qu'il s'agissait d'une « guerre
de la légitimité ». C'est aussi un
combat de rue, mais de la rue mondiale,
parce que la justice, la légitimité et
la libération n'émergent pas de
négociations, d'une occupation
militaire, de l'oppression, de grosses
sociétés ou de tribunaux coloniaux. La
liberté est presque toujours sortie du
théâtre et des affres du combat de rue.
Pour nous, les Palestiniens, qui avons
été éparpillés et exilés dans le monde
entier, les BDS nous fournissent une
façon de nous unifier et d'utiliser la
tragédie de la déportation pour
multiplier les occasions qui s'offrent à
nous. C'est une occasion d'accueillir et
de retourner la solidarité des gens de
conscience. Voilà un domaine où nous
pouvons célébrer nos racines originelles
et exercer nos aptitudes à l'espoir.
Cette rue mondiale est l'endroit où un
peuple autochtone opprimé et sans
défense a une chance d'obtenir justice.
Il n'y a rien à gagner pour nous dans
des négociations avec les puissants de
l'élite
Publié sur
Aljazeera.com le 2 mai 2014.
Traduction : JM Flémal.
Susan Abulhawa est une femme de
lettres et activiste palestinienne,
auteur du roman et best-seller
international, Les matins de Jénine
(Buchet/Chastel 2008). Elle est aussi
fondatrice de Playgrounds for Palestine
(Terrains de jeu pour la Palestine), une
ONG au profit des enfants.
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