Points de vue sur
le monde arabe
La « guerre des ressources » menée par
la coalition
anti-EIIL frappe tous les
Syriens
Suhaib Anjarini
Cheikh al-Adnani,
porte-parole de l’EIIL (Daesh)
Dimanche 5 octobre 2014
La guerre contre l’EIIL (Daesh)
s’inscrit dans un nouveau plan pour
détruire le régime syrien
Sur l’intervention occidentale
en Syrie et ses paradoxes, je vous
propose cet article du journal
Al-Akhbar suivi de mon (long)
commentaire.
Mounadil al Djazaïri
par Suhaib Anjarini, Al-Akhbar
(Liban) 30 septembre 2014 traduit de
l’anglais par Djazaïri
Les frappes de la coalition
internationale sur l’Etat Islamique en
Irak et au Levant (EIIL) et le Front al-Nosra
en Syrie sont entrées dans leur deuxième
semaine aujourd’hui, avec des dizaines
de raids et de tirs de missiles visant
les régions de Raqqa, Deir ez Zohr, al-Hasaka
et Idlib.
Si les officiels des Etats Unis, pays
qui est à la tête de la coalition
anti-EIIL ont confirmé que « les frappes
ont été des succès », l’EIIL est resté
discret et n’a pas encore publié de
communiqué « officiel. »
Le Front al-Nosra a par contre
reconnu avoir subi de lourdes pertes
après les attaques contre ses garnisons,
et son chef Abou Mohammed al-Joulani a
prévenu que cela «impactera toute la
région et pas seulement al-Nosra. »
Un aperçu général des sites visés par
les forces de la coalition suggère que
les frappes aériennes dans les zones
rurales d’Alep et d"Idlib pendant les
premiers jours de l’opération ont un
impact immédiat évident, tandis que les
frappes constantes de la coalition sur
les régions sous contrôle de l’EIIL ont
une dimension stratégique et leurs
répercussions pourraient bien aller
au-delà de l’EIIL.
Dans les premiers jours, les frappes
sur l’EIIL étaient limitées à quelques
bases de l’organisation et à des camps
d’entraînement, mais elles ont ensuite
été étendues pour inclure des puits de
pétrole, des raffineries, des champs
gaziers et des
silos à grain.
Tandis que certaines sources
prétendent que ces attaques ont pour but
de « tarir les sources de revenus de
l’EIIL », d’autres sources affirment que
ces actions visent en réalité les
« infrastructures et l’économie
syriennes. » Une source syrienne
appartenant à la soi-disant opposition
modérée a déclaré à al-Akhbar, « Les
frappes récentes vont dans la bonne
direction pour abattre à la fois l’Etat
Islamique en Irak et au Levant et le
régime. »
La source expliquait que « afin
d’abattre les deux parties, certains
sacrifices doivent être faits, et
bombarder des puits de pétrole et des
champs gaziers est seulement le début. »
Il a aussi appelé à « viser les
oléoducs, les gazoducs et les centrales
électriques qui alimentent en
électricité les régions contrôlées par
le régime. »
« Ces mesures seront prises plus tôt
qu’on ne le pense, même si les rebelles
doivent prendre ces mesures par
eux-mêmes, » a-t-il dit, ajoutant que
« une guerre sur les ressources peut
constituer une alternative acceptable à
une zone d’exclusion aérienne. »
Les civils ont cependant été les
premiers à payer le prix de ces attaques
qui ont fait grimper en flèche les prix
du carburant. En outre, toute nouvelle
attaque contre les champs pétroliers
syriens risque de provoquer plus de
souffrances dans la région, tout
particulièrement à l’approche de
l’hiver.
La base du pouvoir de l’EIIL ne s’est
pas encore effondrée dans les régions
sous son contrôle. L’organisation
maintient au contraire son emprise sur
elles.
Par exemple, l’EIIL a récemment
conduit des raids sur un certain nombre
de secteurs des zones rurales à l’est de
Deir ez Zohr pour capturer des membres
du clan al-Shouaitat qui s’y étaient
enfuis, tandis que l’organisation
continue d’avancer en direction des
régions kurdes de la campagne d’Alep.
Une source de l’EIIL sur le champ de
bataille a déclaré à al-Akhbar que
« l’EIIL était sur le point de libérer
la zone et de vaincre les forces kurdes
infidèles. »
« Toutes les informations des médias
des croisés et de leurs alliés
concernant le nombre de martyrs de
l’EIIL sont mensongères, » déclare la
source, « ils n’ont pas arrêté de mentir
depuis l’invasion de l’Irak par les
croisés, » ainsi que l’a déjà révélé le
Cheikh al-Adnani [porte-parole officiel
de l'EIIL].
La source qui n’était pas autorisée à
donner d’informations sur le véritable
nombre des pertes dans les rangs de
l’EIIL a dit, « notre cellule vient
juste de terminer un projet de rapport
aujourd’hui [le 29 septembre] sur la
situation dans les campagnes à l’est de
Raqqa, et il montre que les attaques des
croisés n’ont pas eu d’impact majeur . »
De son côté, une source djihadiste
affiliée au Front al-Nosra observe que
« les raids ne distinguent pas entre
civils et djihadistes, il est évident
pour chacun que la coalition des
infidèles vise tous les Musulmans. »
« Leurs attaques contre les
djihadistes sont de simples tentatives
pour aider leurs protégés des brigades
traîtresses à contrôler les régions
libérées après l’élimination des
djihadistes, » a ajouté la source.
Parlant à al-Akhbar, la source a
révélé que « environ 150 personnes ont
été tuées dans des régions contrôlées
par al-Nosra, » mais elle a refusé de
donner des précisions sur ce chiffre,
affirmant que « nous ne distinguons pas
entre le civil et le djihadiste, tout le
monde ici est un djihadiste et nous les
considérons comme des martyrs pour
Dieu. »
Mon commentaire et mes
observations sur la situation en Syrie :
Après avoir enregistré des
succès foudroyants en Irak, l’Etat
Islamique en Irak et au Levant (EIIL)
est aujourd’hui désigné en Occident
comme l’ennemi du moment, et il est bien
entendu affublé de toutes les
caractéristiques auxquelles ont droit
ceux que l’Occident a désignés comme
ennemi,
Pour dire les choses, le portrait
peu flatteur qui est dressé de ces
« djihadistes » ressemble à peu de
choses près à celui qui était brossé de
Bachar al-Assad, la composante
religieuse en moins quoique la
propagande répandue dans la presse
occidentale, française notamment,
omettait rarement de mentionner
l’appartenance du chef de l’Etat syrien
à une tendance minoritaire de l’Islam,
la secte alaouite elle-même résultat
d’une évolution de la doctrine chiite.
Et puis, un ministre des affaires
étrangères français, par ailleurs bien
propre sur lui, n’avait-il pas affirmé
que « Bachar al-Assad ne mériterait pas
d’être sur la terre. » ?
Aujourd’hui, ce sont les gens de
l’EIIL qui ne mériteraient plus d’être
sur la terre sans pour autant que Bachar
al-Assad ait gagné le droit d’y rester !
Entendons-nous bien, l’avènement
de l’EIIL ou Daesh pour parler comme
François Hollande (probablement pas
foutu de développer cet acronyme) n’est
pas une bonne chose pour les populations
de la région dans leur ensemble et cette
milice s’est rendue coupable de
nombreuses exactions et crimes, en
particulier mais pas seulement, à
l’encontre des minorités religieuses.
Ce n’est cependant pas une raison
pour céder aux délires de la propagande
occidentale (voire même des milieux
favorables au régime syrien) qui
dépeignent l’EIIL comme une meute
d’ogres assoiffés de sang et d’une
cruauté sans bornes. Un certain nombre
de récits qui circulent comme par
exemple sur le commerce des femmes
étiquetées comme du bétail ne sont des
fables de nature à interpeller les
imaginaires occidentaux en mobilisant
toutes sortes d’images d’Epinal (sorties
d’adaptations des Mille et une Nuits).
Ce sont en effet à peu près
toujours les mêmes clichés qui
ressortent à chaque fois que Washington
et l’Axe du Bien sont décidés à châtier
les méchants. Si les Occidentaux
voulaient vraiment le bien des peuples
de la région, ils cesseraient en premier
lieu de chercher à tout prix la perte du
régime syrien, quitte à générer le chaos
dont l’EIIL est issu, un chaos que
l’intervention militaire risque
d’aggraver.
Pourtant l’EIIL ne dérangeait pas
l’Occident il y a peu de temps encore
quand il étendait son emprise sur
certaines régions de Syrie. Déjà l’EIIL
ou d’autres organisations semblables
voire même modérées coupaient des têtes,
parfois à la tronçonneuse en France
on utilisait la guillotine jusque dans
les années 1970).
Qui plus est cet EIIL avant de
s’autofinancer en vendant du pétrole
extrait en Syrie a bénéficié de subsides
et de renforts humains et matériels en
provenance des monarchies du Golfe
alliées de l’Axe du Bien.
Et last but not least, beaucoup
des combattants de cet EIIL sont venus
de Turquie, soit parce qu’ils vivaient
dans ce pays, soit parce qu’ils y ont
transité. Nous parlons là de milliers de
personnes, voire de dizaines de
milliers, c’est-à-dire d’un flux dont
les autorités locales étaient
nécessairement informées.
En fait, non seulement les
autorités d’Ankara étaient informées,
mais elles ont fait au mieux pour
faciliter cette activité, recevant même
des blessés dans les hôpitaux turcs.
C’est que l’EIIL poursuit en Syrie
deux objectifs stratégiques pour un
régime turc qui n’osait pas se donner le
droit de les réaliser lui-même pour des
considérations de politique intérieure
et extérieure : détruire le régime
syrien et neutraliser les milices kurdes
de Syrie.
Les
intérêts d’Ankara et de l’EIIL (Daesh)
convergent
Aujourd’hui les choses changent
puisque les aviations de l’Axe du Bien
se précipitent
pour bombarder les milices
« djihadistes ».
On notera à ce sujet deux faits
paradoxaux : le premier est que les plus
grosses pertes dans les rangs
« djihadistes » ne semblent pas avoir
été subies par l’EIIL mais par le Jabhat
al-Nosra, cette organisation affiliée
officiellement à al Qaïda dont Laurent
Fabius estimait qu’elle « faisait du bon
boulot » en Syrie. Le deuxième est que,
en dépit des bombardements (réussis
selon les militaires français ou
américains), l’EIIL continue à
progresser dans sa confrontation avec
les forces kurdes à la frontière
syro-turque et qu’il s’est
dangereusement rapproché de Bagdad.
On verra ce qu’il en sera par la
suite car, ainsi que l’a déclaré le
premier ministre britannique David
Cameron, l’engagement militaire va
durer.
Chaque pays a ses raisons de
participer à la campagne militaire
contre l’EIIL. On voit par exemple que
pour la France, il s’agit à la fois de
conforter sa place dans l’OTAN et de
redorer le blason d’un François Hollande
qui semble apprécier de jouer à l’homme
fort.
Mais les motivations principales
doivent être cherchées à Washington avec
la reprise en main des affaires par les
néocons à la faveur de la crise
ukrainienne.
L’objectif semble maintenant
clairement d’en finir avec le régime
syrien mais sans intervenir directement
militairement contre lui.
La stratégie adoptée par les
néocons consiste à financer, armer,
entraîner et recruter des combattants
en nombre suffisant afin de
reconstituer une opposition « modérée »
(c’est-à-dire soumise à Washington). Ces
mercenaires seraient amenés à occuper le
terrain qui sera progressivement dégagé
par l’affaiblissement des deux
principales forces militaires
« djihadistes », le Jabhat al-Nosra et
l’EIIL.
L’objectif prioritaire semble
d’ailleurs moins être pour l’instant
l’EIIL que le Jabhat al-Nosra, ce
dernier étant en effet sur des positions
dans la région de Damas, du Golan et du
Liban qui promettent une solution de
continuité avec la Jordanie d’où les
opérations sont commandées par des
officiers anglais et américains. Le tout
avec la protection de
la DCA sioniste qui a instauré une
zone d’exclusion aérienne de facto.
On nous a expliqué que la
coalition de l’Axe du Bien cherchait à
assécher les ressources financières de
l’EIIL en frappant les installations
pétrolières et gazières dont il tire de
gros revenus.
Les choses ne sont pourtant pas si
simples. On sait que l’EIIL ne tire pas
ses revenus seulement de l’exploitation
du pétrole puisqu’il bénéficie de
largesses venues des pétromonarchies.
Ensuite, on sait que ce pétrole
est vendu essentiellement
en Turquie, pays qui n’a rien fait
ou pas grand chose pour faire cesser la
contrebande de ce produit.
Quant au gaz, il ne saurait être
exporté que par gazoduc ou sous forme
liquéfiée. Un gazoduc ne peut fournir
qu’un client officiel, un autre Etat par
exemple et il n’existe pas d’usine de
liquéfaction en Syrie.
Le gaz dans le contexte politique
actuel est donc un produit
essentiellement à consommation locale :
pour la cuisson ou le chauffage.
J’espère que quelqu’un demandera à
Barack Obama comment les familles
syriennes pourront se chauffer cet
hiver. Peut-être en déboisant les
quelques forêts qui existent en Syrie ?
En attendant de produire les
effets recherchés, c’est-à-dire
l’élimination du pouvoir baathiste en
Syrie, nous sommes peut-être à la veille
d’une crise humanitaire sans précédent
en Syrie.
Les
bombardements américains n’épargnent pas
les civils;
maison détruite par une attaque
américaine sur un village syrien
Pour conclure, on comprendra bien que
le but de ces bombardements est en
réalité de détruire l’infrastructure
économique syrienne afin qu’aucune force
sur le terrain, ne puisse s’autonomiser
par rapport à la volonté des USA.
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