Alahed
La Russie n’abandonnera jamais la Syrie
Samer R. Zoughaib

Vendredi 18 mars 2016
En annonçant le retrait du
gros de ses forces déployées en Syrie,
le président russe Vladimir Poutine a
administré à ses détracteurs et ennemis
une bonne leçon de stratégie
politico-militaire qu’ils ont du mal à
comprendre et à digérer. Il a mis tous
les pays occidentaux et leurs exécutants
régionaux devant leurs responsabilités,
sans pour autant renoncer à son
engagement auprès de l’Etat syrien. Si
besoin est, l’armée russe peut revenir
en force en «quelques heures seulement».
La machine médiatique au
service des pays du Golfe et de
l’Occident s’est immédiatement mise en
branle après l’annonce par le président
Vladimir Poutine du retrait de ses
forces de Syrie. «La Russie a été
vaincue»; «Moscou a abandonné (le
président) Bachar al-Assad»; «de
sérieuses divergences existent entre les
Russes et les Iraniens»; «Moscou a
conclu un marché occulte avec Washington
et l’Arabie saoudite». Une armée
d’experts s’est relayée sur les écrans
de télévision et dans les colonnes des
journaux pour promouvoir ces analyses
farfelues, qui sont à des années-lumière
de la réalité. Soit ces spécialistes se
trompent encore une fois, comme ils
l’ont souvent fait depuis cinq ans, ou
bien ils savent pertinemment qu’ils sont
dans l’erreur mais se livrent à une
propagande… comme ils le font depuis
toujours.
L’annonce du retrait du
gros du contingent russe par Vladimir
Poutine a constitué une surprise pour
beaucoup de pays et de gouvernements,
mais pas pour ses alliés, qui étaient au
courant de la décision. Celle-ci n’est
pas une réaction aux propos de Walid
Moallem, qui avait martelé que «le
président Assad est une ligne rouge»,
car elle a été prise cinq jours avant la
conférence de presse du chef de la
diplomatie syrienne, selon des sources
bien informées à Beyrouth et à Damas.
Ces mêmes sources démentent les
informations affirmant que la
conversation téléphonique au cours de
laquelle Poutine a transmis à M. Assad
sa décision a été «houleuse». «La
discussion était cordiale, reflétant
parfaitement la relation entre les deux
hommes», ont-elles précisé. De plus,
l’Iran et le Hezbollah, directement
impliqués en Syrie, ont été tenus
informés des détails de la décision
russe avant qu’elle ne soit annoncée.
Ceux qui prennent la peine
d’écouter n’auraient pas du tout été
surpris par l’annonce du retrait. Dès le
début de l’engagement militaire en
Syrie, les dirigeants russes avaient
annoncé que l’opération durerait entre
quatre et six mois. Ils disaient vrai,
puisqu’elle a duré cinq mois et demi
exactement.
Les objectifs
russes atteints
Les détracteurs de la
Russie, mais aussi certains de ses amis
parmi les journalistes et les
spécialistes, soulignent que Poutine a
retiré ses forces alors que la bataille
contre les terroristes de «Daech» et du
«Front qaïdiste al-Nosra» n’est pas
encore terminée. Certes, mais
l’engagement massif de la Russie a
atteint les objectifs fixés, qui se
résument aux points suivants:
-L’armée syrienne et ses
alliés ont repris l’initiative sur tous
les fronts et les groupes terroristes
ont peu de chance d’inverser ce
processus. Les troupes gouvernementales
ont repris la presque totalité de la
province de Lattaquié, une grande partie
de celle d’Alep et ont encerclé les
extrémistes dans la partie est de la
ville. En cinq mois et demi, les troupes
syriennes ont reconquis 10000 km²,
repris 400 villes et localités et réduit
les groupes armés à la défensive.
-Les capacités de nuisance
de la Turquie ont été considérablement
réduites dans le nord du pays. Ankara
n’est plus qu’un acteur secondaire,
après avoir été le principal acteur.
-Les troupes russes ont mis
à profit ces cinq mois passés en Syrie
pour former et entrainer l’armée
syrienne au maniement du nouveau
matériel livré à Damas. Il s’agit
d’avions, de drones, de chars T-90 et
autres, de systèmes d’artillerie
modernes, de systèmes d’écoute et de
brouillage sophistiqués. De même
qu’elles ont aidé à la réorganisation
des forces armées syriennes afin
qu’elles soient plus réactives et plus
efficaces.
De plus, la Russie n’a pas
parlé d’un retrait total. Elle maintient
en Syrie un système de défense
anti-aérienne moderne (batteries S-400
et autres), des escadres d’avions et
d’hélicoptères de combat, ainsi que des
dizaines de conseillers militaires. Ses
bases navale de Tartous, et aérienne de
Hmeimim, restent opérationnelles.
Vladimir Poutine a en outre
souligné, jeudi, que Moscou pouvait en
seulement «quelques heures» renforcer de
nouveau son contingent sur place pour
soutenir, si nécessaire, le gouvernement
syrien. S'exprimant au Kremlin lors
d'une remise de décorations à des
militaires ayant servi en Syrie, Poutine
a balayé les rumeurs sur des tensions
entre Moscou et Damas, soulignant que le
retrait partiel des troupes russes avait
été décidé en accord avec le président
Assad. «La force aérienne russe qui
reste en Syrie est suffisante pour aider
l'armée syrienne à poursuivre sa
progression, a-t-il assuré. Je suis sûr
que nous allons assister à de nouveaux
et grands succès dans un avenir proche».
M. Poutine a exprimé
l’espoir de voir les forces syriennes
reprendre rapidement aux terroristes de
«Daech» la ville de Palmyre.
Effectivement, les troupes syriennes et
leurs alliés ont pris, avec la
participation de l’aviation russe, les
collines stratégiques de Hyal, à l’est
de Homs, qui surplombent la ville
antique. Elles ne sont plus qu’à
quelques kilomètres de Palmyre.
Dans ce contexte, le
spécialiste français Bruno Guigue*
écrit: «Tout en menant des négociations
politiques avec l’opposition, l’État
syrien se lance, militairement, à
l’assaut des bastions «jihadistes».
C’est pourquoi, en dépit des apparences,
il n’y a aucune contradiction entre
l’annonce du retrait russe et
l’offensive syrienne à Palmyre. En
reprenant cette ville, l’Etat syrien
ferait une double démonstration. Il y
remporterait d’abord une victoire
symbolique, en arrachant des griffes
jihadistes ce joyau du patrimoine
mondial honteusement livré à Daech par
la coalition occidentale. Et de plus,
cette reconquête ouvrirait à l’armée
syrienne la route de Deir Ezzor, où une
brigade d’élite résiste depuis 2014, et
surtout celle de Raqqa, capitale
syrienne du pseudo-Etat islamique et
objectif ultime de l’offensive
loyaliste.»
Ceci dit, la Russie a
toujours assuré qu’elle privilégiait la
solution politique du conflit, et sa
diplomatie a déployé des efforts
considérables pour relancer les
pourparlers inter-syriens. L’annonce du
retrait est un coup de maitre, car elle
est intervenue le jour même du début des
négociations de Genève, et elle a
embarrassé l’opposition pro-saoudienne,
qui a abandonné toutes ses conditions et
a accepté d’y participer. De même que le
retrait russe poussera les Etats-Unis à
exercer des pressions sur Ankara et
Riyad afin qu’ils cessent de mettre les
bâtons dans les roues.
Certes, Moscou appuie la
solution politique mais selon sa propre
vision, à laquelle semble adhérer de
plus en plus Washington:
-Il revient au peuple
syrien de choisir librement ses
dirigeants.
-L’unité de la Syrie doit
être préservée.
-Les demandes d’un départ
préalable du président Bachar al-Assad
sont inacceptables. Dans ce cadre, la
porte-parole du ministère russe des
Affaires étrangères, Maria Zakharova, a
tourné, jeudi, en dérision les demandes
d’un «départ immédiat» d’Assad, répétées
par le chef de la diplomatie saoudienne,
Adel al-Joubeir. «Cela fait cinq ans
qu’ils disent ‘immédiat’. Cela fait
franchement rire.»‘
Ceux qui ont jubilé après
l’annonce du retrait russe vont vivre
une grande déception lorsque, dans
quelques mois, le drapeau national
syrien flottera à nouveau sur Raqqa.
*Haut fonctionnaire,
essayiste et politologue français,
ancien élève de l’École Normale
Supérieure et de l’ENA. Professeur de
philosophie dans l’enseignement
secondaire et chargé de cours en
relations internationales dans
l’enseignement supérieur.
Source :
French.alahednews
Le sommaire de Samer R. Zoughaib
Le
dossier Russie
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour

|