Alahed
La chute des prix du pétrole:
l’arroseur arrosé
Samer R. Zoughaib
Photo:
D.R.
Mardi 16 décembre 2014
Au lieu de brandir l'arme du pétrole
pour contraindre l'Occident à faire
pression sur «Israël» afin qu'il accorde
aux Palestiniens leurs droits légitimes,
dont ils sont privés depuis 1948,
l'Arabie saoudite a préféré l'utiliser
contre la Russie, l'Iran et le
Venezuela, des pays qui se dressent
contre l'hégémonie américaine dans le
monde. Mais cette arme est à double
tranchant.
Répondant aux
exigences de Washington, l'Arabie
saoudite et les autres pétromonarchies
du Golfe ont accéléré l'effondrement des
prix du pétrole, en refusant obstinément
de réduire la production du brut pour
freiner la chute libre des cours de l'or
noir. Lors de la réunion de
l'Organisation des pays exportateurs de
pétrole (Opep), le 27 novembre à Vienne,
Riyad et les autres membres du Conseil
de coopération du Golfe (CCG) ont bloqué
toute tentative de réduire la
production, afin de stopper la baisse
des prix.
Les 12 membres de l'Opep assurent près
de 40% des fournitures pétrolières sur
le marché mondial et contrôlent les
quantités écoulées par un mécanisme de
quotas. Le plafond quotidien actuel de
la production pétrolière par les pays de
l'Opep, qui s'élève à 30 millions de
barils par jour, a été établi il y a
trois ans, lorsque le baril valait 100
dollars. Il est aujourd'hui dépassé.
Mais l'Arabie saoudite n'a pas bronché.
L'effondrement des prix vise
essentiellement à affaiblir l'Iran et la
Russie, gros producteurs de pétrole,
soumis à des sanctions unilatérales
décrétées par l'Occident, ainsi que le
Venezuela, chef de file des pays
d'Amérique latine hostiles à l'hégémonie
américaine. La Russie a annoncé que la
baisse des prix du baril lui fait perdre
140 milliards de dollars par an.
Comme dans les années 80
La situation actuelle
ressemble à celle de la fin des années
1980, lorsqu'à la demande de Washington,
les Saoudiens avaient fait chuter les
cours du pétrole pour empêcher l'Iran et
l'Irak, qui venaient à peine de sortir
de 8 années de guerre, de lancer un
vaste chantier de reconstruction.
Mais l'utilisation de l'arme du pétrole
est l'exemple type de l'absurdité de la
politique américano-saoudienne, car si
leurs ennemis sont touchés, eux-mêmes ne
sont pas épargnés par les retombées
négatives, à cause de l'effet boomerang
d'une telle mesure.
Déjà, dans les années 80, le budget de
Riyad avait été significativement touché
mais en échange, l'Arabie saoudite avait
obtenu des privilèges conséquents de la
part des Américains dans le domaine
politico-militaire.
Aujourd'hui, on assiste à une réédition
du même scénario. Pour faire face au
plongeon des prix du brut, l'Arabie
saoudite n'échappera pas aux coupes
budgétaires, les premières depuis 2002.
Les revenus saoudiens proviennent à 90%
de l'exportation du pétrole. Un
équilibre du budget du royaume wahhabite
nécessiterait que le prix du baril de
pétrole soit au-dessus de 90 dollars. Le
baril de Brent a reculé de 115 dollars
en juin dernier à une moyenne de 65
dollars actuellement, ce qui signifie
que le budget saoudien enregistrerait un
déficit en 2015.
Les Etats-Unis non plus ne sont pas à
l'abri d'éventuelles répercussions
négatives sur leur économie de la baisse
des prix du pétrole. Dans un article
publié récemment dans la revue Foreign
policy, Edward Harrison a souligné cet
autre aspect de l'effondrement des cours
de l'or noir. Selon cet expert reconnu,
les retombées ne frapperont pas
uniquement le secteur de la production
du gaz de schiste mais l'ensemble de
l'économie.
En effet, le cabinet de conseil
américain ATKearney annonçait, dès 2012,
que l'extraction des gaz de schiste va
stimuler, en Amérique, 600 milliards de
dollars d'investissements industriels,
principalement répartis entre l'énergie
et la chimie, et permettre de créer 5
millions d'emplois.
Edward Harrison souligne que le secteur
du pétrole était considéré comme le plus
stable aux Etats-Unis, précisant que 16%
du marché des actions et des obligations
-estimé à 103 trillions de dollars- est
lié d'une manière ou d'une autre à ce
secteur. Son effondrement provoquera
inéluctablement des ondes de choc, qui
affecteront l'ensemble de l'économie, en
pleine convalescence après le crash de
2008.
Pour que l'extraction du gaz de schiste
soit rentable, le prix du baril ne doit
pas passer sous la barre des 80 dollars.
Ed Harrison propose donc de stabiliser
les prix dans une fourchette allant de
75 à 80 dollars, pour éviter de graves
répercussions.
Les atouts de l'Iran et de la
Russie
L'Arabie saoudite
pense détenir assez de réserves en
devises fortes pour supporter une baisse
forte et durable des prix du pétrole.
Mais le royaume des Saoud oublie deux
points essentiels:
- L'Iran, qui a développé au fil des ans
une économie de résistance aux
sanctions, a une grande capacité de
résilience et d'adaptation.
- La Russie aussi dispose de réserves en
devises et, surtout, d'une volonté
politique inébranlable de défendre ses
intérêts supérieurs. Lors de sa dernière
rencontre, dimanche dernier avec son
homologue américain John Kerry, le chef
de la diplomatie russe, Serguei Lavrov,
a réaffirmé que les «les tentatives pour
exercer la pression sur la Russie
étaient sans perspectives.
Le plus important reste que les
Etats-Unis sont, aujourd'hui, incapables
d'assurer à l'Arabie saoudite le prix
politico-militaire qu'ils payaient dans
les années 80.
La chute des prix du pétrole correspond
exactement au célèbre dicton: l'arroseur
arrosé.
Source :
French.alahednews
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