Alahed
En Syrie, l’Arabie saoudite se bat pour
les miettes
Samer R. Zoughaib

Samedi 13 février 2016
Alors que les terroristes
sur lesquels l’Arabie saoudite avait
tout misé se font écraser dans la
province d’Alep par l’armée syrienne et
ses alliés, le royaume wahhabite a
évoqué le scénario d’une intervention
terrestre en Syrie. Ces menaces
irresponsables dénotent l’échec du
complot saoudien et risquent, si elles
sont mises à exécution, de provoquer un
conflit à l’échelle mondiale… qui
signera la fin de la dynastie des Saoud.
Avec la défaite des
terroristes et des takfiristes sur
lesquels Riyad a tant investi ces
dernières années en Syrie, les
dirigeants saoudiens commencent à perdre
les nerfs. Ils ont sorti leur dernière
carte, celle de l’invasion terrestre de
la Syrie, essayant une nouvelle fois
d’entrainer avec eux leurs alliés
occidentaux, arabes et turcs.
Le général Ahmed Asiri,
conseiller du ministre saoudite de la
Défense et vice-héritier Mohammad ben
Salman, a réaffirmé que son pays
n'envisageait pas de revenir sur la
décision de lancer une opération
terrestre en Syrie. «L'annonce de la
participation des troupes saoudiennes à
une opération terrestre en Syrie ne sera
pas remise en cause», a-t-il dit à la
chaîne Al-Arabiya. Selon lui, l’invasion
sera lancée une fois que la «coalition
internationale antiterroriste», dirigée
par les Etats-Unis, aura approuvé cette
démarche. L’officier saoudien a précisé
que cette question serait discutée au
cours du prochain sommet de l’Otan à
Bruxelles.
Le ministre saoudien des
Affaires étrangères, le belliqueux Adel
al-Joubeir, avait déclaré que Riyad
était prêt à envoyer des troupes
spéciales soi-disant pour lutter contre
le groupe terroriste «Etat islamique»
(EI ou Daech), à condition que la
coalition internationale approuve cette
démarche.
Le journal britannique The
Guardian avait rapporté, mercredi
dernier, que l’Arabie saoudite pourrait
envoyer plusieurs milliers de soldats en
Syrie.
La
riposte de Moscou et Damas
La riposte de Moscou et de
Damas ne s’est pas fait attendre. Le
ministre syrien des Affaires étrangères,
Walid Moallem, a déclaré que «toute
intervention terrestre sur le territoire
syrien sans l’autorisation du
gouvernement est une agression face à
laquelle il faudra résister». «Que
personne ne pense à agresser la Syrie ou
à violer sa souveraineté, car nous
renverrons les agresseurs, qu’ils soient
Saoudiens ou Turcs, dans des cercueils
en bois dans leur pays», a-t-il ajouté.
«Ce sera le sort de quiconque voudrait
participer avec les terroristes à
l’agression contre la Syrie», a encore
dit le ministre.
Le scénario d’une invasion
terrestre de la Syrie n’a pas été exclu
par le président Bachar el-Assad. Dans
une intervention accordée à l’Agence
France-presse et publiée vendredi, le
leader syrien a déclaré: «C'est une
possibilité que je ne peux pas exclure
pour la simple raison que (le président
turc Recep Tayyip) Erdogan est quelqu'un
d'intolérant, de radical, un pro-frères
musulmans et qui vit le rêve
ottoman». Et d'ajouter qu'il en était de
même pour l'Arabie saoudite. «De toute
manière une telle action ne sera pas
facile à réaliser et nous allons très
certainement y faire face», a prévenu le
président syrien.
Le Premier ministre russe,
Dmitri Medvedev, est allé plus loin, en
avertissant qu’une offensive terrestre
étrangère en Syrie présentait le risque
de provoquer une «guerre mondiale». Dans
un entretien au quotidien économique
allemand Handelsblatt, paru vendredi, M.
Medvedev a indiqué que «les offensives
terrestres conduisent généralement à ce
qu'une guerre devienne permanente».
«Toutes les parties doivent être
contraintes de s'asseoir à la table de
négociations plutôt que de déclencher
une nouvelle guerre mondiale, a-t-il
poursuivi. Les Américains et nos
partenaires arabes doivent très bien
réfléchir: veulent-ils une guerre
permanente, pensent-ils qu'ils
pourraient gagner rapidement une telle
guerre? Quelque chose de cet ordre est
impossible, particulièrement dans le
monde arabe».
Les choix limités de l’Occident
Les experts sont partagés
sur les réelles intentions de l’Arabie
saoudite et de ses mentors occidentaux,
qui voient leurs leviers s’effondrer
l’un après l’autre en Syrie. Ce constat
d’impuissance est bien exprimé par
Alexis Feertchak, diplômé de Sciences Po
Paris, et fondateur du site internet et
de l'application iPhilo. «Que pourraient
faire les Etats occidentaux?»
s’interroge M. Feertchak dans un long
article publié dans Le Figaro, avant de
poursuivre: «Appuyer davantage les
rebelles soutenus par la Turquie,
l'Arabie saoudite et le Qatar? Ce serait
a minima prendre un risque politique
trop important aux yeux de leurs
opinions publiques en révélant (encore
plus) au grand jour que les rebelles
modérés n'existent pas, mais que la
nébuleuse opaque qui combat le régime de
Bachar el-Assad est en réalité un réseau
de factions islamistes coordonnées par
le Front Al-Nosra, lequel est affilié à
‘Al-Qaïda’». Et le chercheur d’ajouter:
«A maxima, ce serait prendre le risque
d'une intervention directe de l'armée
turque (soupçonnée par les Russes) ou
saoudienne. Dans une telle hypothèse,
une escalade serait à craindre: le
conflit moyen-oriental (…) pourrait
franchir une dangereuse ligne rouge.»
D'autres spécialistes
pensent que l’Arabie saoudite n’oserait
pas franchir ce pas dont les
conséquences seraient incalculables. Le
politologue iranien, directeur général
du quotidien arabophone al-Wafaq,
Mosayeb Naïmi, estime peu probable que
l’intention de Riyad finisse par se
traduire en acte. Dans une interview
accordée à l'agence russe Sputnik, M.
Naïmi assimile les menaces saoudiennes à
une «blague». «Depuis dix mois, l'armée
saoudienne effectue des frappes
aériennes sur le territoire du Yémen
voisin mais n'ose pas y envoyer des
troupes au sol», a-t-il souligné,
ajoutant que le royaume wahhabite «ne
dispose pas de la volonté politique
nécessaire pour envoyer ses troupes en
Syrie». Et pourtant, «si l'Arabie
saoudite décidait de le faire, cela ne
ferait que provoquer une nouvelle guerre
au lieu de mettre fin au conflit en
cours», a affirmé M. Naïmi.
Il est clair que les
Saoudiens n’oseraient pas intervenir
seuls en Syrie, sans la participation
des Américains. Leurs déclarations sont
assez explicites dans ce sens. Dans le
même temps, il est peu probable que les
Etats-Unis se lancent dans une nouvelle
guerre à grande échelle, qui, de
surcroit, pourrait entrainer une
confrontation directe avec la Russie sur
un champ de bataille où les deux
puissances déploient des centaines
d’avions et des milliers de soldats.
L'envoi de troupes terrestres
américaines en Syrie pourrait tourner à
la véritable catastrophe, surtout en
cette période de campagne électorale.
Barak Obama ne prendra aucune décision
qui pourrait engager le candidat
démocrate et possible successeur à la
Maison Banche.
Ces craintes américaines
sont exprimées par le quotidien
allemand Die Welt. «L'intention de
l'Arabie saoudite de s'ingérer dans le
conflit syrien a provoqué un choc chez
toutes les parties intéressées par le
règlement dans ce pays proche-oriental
et a poussé les Etats-Unis à se poser
des questions sur leur soutien à Riyad»,
écrit le journal. Certes, Washington a
déclaré qu'il était prêt à soutenir tous
ses alliés dans la lutte contre «Daech».
Mais le secrétaire américain à la
Défense, Ashton Carter, a refusé de
commenter les intentions des Saoudiens.
«L'Occident se rend parfaitement compte
du fait que toute ingérence de l'Arabie
saoudite dans le conflit ne fera que
compliquer la situation en Syrie»,
souligne Die Welt. «L'envoi de troupes
terrestres sans le feu vert de Damas
constituera une violation du droit
international. Or, il est clair que
personne n'octroiera ce droit à l'Arabie
saoudite», poursuit l’article. «En
outre, la Russie et l'Iran, pays qui
prennent une part active au règlement du
conflit, n'accepteront jamais la
présence du contingent saoudien sur le
sol syrien.»
Deux scénarios possibles
Dans ces circonstances,
quel pourrait être le scénario le plus
probable? La première possibilité est
que l’Arabie saoudite et la Turquie
intensifient leurs livraisons d’armes et
de munitions aux groupes terroristes,
qui ne se sont d’ailleurs jamais
arrêtées. Un chef terroriste a révélé,
vendredi, que les groupes extrémistes
avaient reçu des roquettes Grad. Mais il
est peu probable que les terroristes
parviennent à stopper la progression de
l’armée syrienne et de ses alliés, qui
utilisent des tactiques militaires
conçues en coopération avec les experts
militaires russes. Dans ce contexte, la
chercheuse française Caroline Galactéros
note la «similarité étonnante» entre le
nouveau chaudron d’Alep et celui de
Debaltsevo en Ukraine, qui piégea
l'armée ukrainienne il y a un an
exactement.
La seconde possibilité est
que les Saoudiens et d’autres pays
arabes envoient des troupes dans la
province de Hassaké, dans l’est de la
Syrie, où les Etats-Unis opèrent déjà un
aéroport, sans le consentement du
gouvernement légitime de Syrie. Le but
est d’être physiquement présents sur le
terrain pour empêcher l’armée syrienne
et ses alliés de cueillir, seuls, les
dividendes politiques de la défaite des
terroristes d’«Al-Qaïda» et de «Daech»,
qui se profile à l’horizon. C’est une
sorte de répétition du scénario de
Berlin, los de la Deuxième Guerre
Mondiale, libérée par l’Armée Rouge
soviétique, mais où les alliés avaient
parachuté des troupes pour empêcher
Moscou d’engranger tous les bénéfices de
la victoire. Dans le cas syrien, Raqqa
jouerait le rôle de Berlin.
Enfin, il ne faut pas
exclure un coup de folie de dirigeants
saoudiens inexpérimentés et d’un
président turc aux abois, qui voient
toutes leurs ambitions se briser sur les
baïonnettes des soldats syriens.
Dans tous les cas de
figure, l’Arabie saoudite et ses alliés
ne rêvent plus d’une victoire en Syrie.
Leur but est désormais de limiter leurs
pertes ou, tout au plus, d’empêcher
Moscou, Damas et Téhéran de rafler toute
la mise… désormais, Riyad et Ankara se
battent pour les miettes.
Source :
French.alahednews
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