Analyse
Le Venezuela et le droit de manifester
Salim Lamrani
Salim
Lamrani
Mercredi 30 avril 2014
Opera
Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Les médias occidentaux présentent la
décision du Tribunal Suprême de Justice
de soumettre le droit à manifester à
l’obtention d’une autorisation préalable
comme une atteinte aux libertés
fondamentales. Or, ce principe est en
vigueur dans la plupart des démocraties
occidentales.
Sollicité par l’une des cinq
municipalités de Caracas, le Tribunal
Suprême de Justice s’est prononcé le 24
avril 2014 sur le droit à manifester.
Selon la plus haute entité judiciaire du
pays, « les citoyens ont le droit de
manifester pacifiquement et sans armes,
sans autres contraintes que ce qu’exige
la loi […].Les organisations politiques
ainsi que tous les citoyens ont
l’obligation de déposer une demande
d’autorisation auprès des autorités
civiles de la juridiction
correspondante, pour pouvoir exercer
entièrement leur droit constitutionnel à
manifester pacifiquement[1] ».
Le pays est en effet frappé depuis plus
de deux mois par des violences,
orchestrées par l’opposition. Le bilan
est lourd : 41 personnes ont perdu la
vie, dont cinq gendarmes et un procureur
de la République, 700 personnes ont été
blessées et les dégâts matériels
dépassent les 10 milliards de dollars[2].
Les médias occidentaux se sont
immédiatement fait porte-paroles de la
droite vénézuélienne et ont dénoncé une
décision liberticide. Ainsi, selon
Associated Press, qui cite
l’opposition, le Venezuela se trouve
désormais « dans un Etat d’Exception
permanent et [les citoyens ne peuvent]
exercer le droit de manifestation que
lorsque l’Etat le permettra ». Selon
l’agence étasunienne, la décision du
Tribunal suprême « détruit les droits de
l’homme[3] »
et constitue « la dernière tentative du
gouvernement de museler la dissidence[4] ».
Pour le quotidien espagnol El País,
« le Tribunal suprême vénézuélien limite
le droit à la manifestation pacifique »
et porte atteinte aux « droits des
citoyens et aux libertés démocratiques[5] ».
Pour l’Agence France Presse,
« cette décision est contraire aux
principes démocratiques[6] ».
Quant au journal Le Monde, cette
décision vise « à limiter le droit à
manifester[7] ».
Néanmoins, la presse occidentale oublie
de rappeler que dans la plupart des pays
démocratiques, obtenir l’autorisation
des autorités pour toute manifestation
est la norme générale. Ainsi, en France,
aucune manifestation ne peut avoir lieu
sans l’autorisation expresse de la
Préfecture de police. Par exemple, la
préfecture de Paris exige que la demande
d’autorisation soit effectuée « au moins
un mois avant la date de
manifestation ». De plus, « ce
délai est porté au minimum à trois mois
si l'événement projeté rassemble une
foule importante[8] ».
Par ailleurs, « chaque
demande doit comporter tous
renseignements utiles sur l'organisateur
(personne physique ou morale) et sur la
manifestation (nature, date, lieu,
horaire, nombre de participants…) ». Les
organisateurs sont dans l’obligation de
« souscrire une police d’assurance
garantissant au plan de la
responsabilité civile tous les risques
relatifs à la manifestation projetée
(participants, public, et ouvrages
publics. La police d'assurance doit
comporter la garantie maximale […]
calculée en fonction de l'événement
assuré, à l'égard des risques suivants :
dommages corporels, matériels et
immatériels ».
En France, les
organisateurs de manifestations sont
pénalement responsables de tous les
dégâts susceptibles d’être causés lors
de l’événement. La Préfecture de police
insiste sur ce point : « L'organisateur
doit assumer la charge de la sécurité
générale sur le site affecté à la
manifestation. En cas de dommages ayant
pour cause l'imprudence ou la
négligence, la responsabilité civile,
voire pénale, de l'organisateur peut
être engagée sur le fondement des
articles 1382 et suivants du code civil
et des articles 121-1, 121-2, 223-1 et
223-2 du code pénal[9] ».
Ainsi, la
Préfecture de Police de Paris refuse des
dizaines de demandes chaque semaine.
Elle en rappelle les principales
raisons : « non-respect
du délai de dépôt de la demande ;
animation posant des problèmes de
sécurité, d’ordre public ou de
circulation ; refus de l’organisateur
d’accepter les obligations ou
prescriptions présentées par la
préfecture de police ; dossier modifié
en cours d’instruction et aggravant les
sujétions des services de police ; avis
défavorable de la Mairie de Paris ou
d’un service consulté ; incompatibilité
entre l’animation envisagée et le lieu
choisi ; organisateur n’ayant pas
respecté ses obligations lors d’une
demande antérieure ou ayant méconnu les
prescriptions de la préfecture de
police, etc.[10]) ».
Loin d’être liberticide, la décision du
Tribunal Suprême de Justice du Venezuela
s’apparente à ce qui existe dans la
plupart des démocraties occidentales.
Ainsi, au vu des derniers événements
violents survenus lors des
rassemblements, l’opposition
vénézuélienne n’aurait absolument aucune
chance d’obtenir une autorisation de
manifester dans la Patrie des droits de
l’homme qu’est la France.
Docteur ès Etudes
Ibériques et Latino-américaines de
l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage
s’intitule Cuba. Les médias face au
défi de l’impartialité (Paris,
Editions Estrella, 2013) et comporte une
préface d’Eduardo Galeano.
http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9dias-face-d%C3%A9fi-limpartialit%C3%A9/dp/2953128433/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376731937&sr=1-1
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Jorge Rueda, « Prohíben
manifestaciones sin permisos en
Venezuela », Associated Press,
25 avril 2014.
[2]
Salim Lamrani, “Se a oposição
venezuelana fosse francesa”,
Opera Mundi, 11 avril 2014.
[3]
Jorge Rueda, « Prohíben
manifestaciones sin permisos en
Venezuela », op. cit.
[4]
Jorge Rueda, « Protestan en
Venezuela contra plan educativo
y restricciones a
manifestaciones », Associated
Press, 26 avril 2014.
[5]
Alfredo Meza, « El Supremo
venezolano limita el derecho a
la protesta », El País,
25 avril 2014.
[6]
Agence
France Presse,
« Protestan en Venezuela contra
plan educativo y restricciones a
manifestationes », 26 avril
2014.
[7]
Le Monde,
« Venezuela : l’opposition dans
la rue contre une réforme de
l’éducation », 27 avril 2014.
[8]
Préfecture de Police de Paris,
« Manifestation sur la voie
publique ou sur tout espace
ouvert au public », Ministère
de l’Intérieur.
http://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/Demarches/Professionnel/Securite-et-accessibilite-des-batiments/Manifestation-sur-la-voie-publique-ou-tout-espace-ouvert-au-public
(site consulté le 28 avril
2014).
[9]
Ibid.
[10]
Ibid.
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