Ukraine
Des organisations nazies font irruption
sur la scène européenne
Réseau Voltaire
Capture
écran PalSol
Lundi 3 mars 2014
Savamment sous-informés par les grands
médias, les Nord-Américains et les
Européens ignorent la réalité du coup
d’État de Kiev. S’ils ont vu sur les
télévisions internationales des
« [contre-]révolutionnaires » en
uniformes militaires de combat, ils
ignorent tout des organisations auxquels
ils appartiennent et qui n’ont aucun
équivalent en Europe de l’Ouest. Ils
sont désormais membres du gouvernement
ukrainien reconnu par les puissances de
l’Otan.
« Beaucoup sont des fascistes qui
s’ignorent
mais le découvriront le moment venu »
Ernest Hemingway, Pour qui sonne le
glas
Le 22 février dernier, les activistes
et les nervis de l’Euromaidan sont
passés à l’action : recourant à la
violence armée, enfreignant toutes les
dispositions constitutionnelles, bravant
les lois internationales et foulant aux
pieds les valeurs européennes, ils ont
perpétré un coup d’état néonazi. Pour
servir les intérêts géopolitiques de
l’Occident, Washington et Bruxelles —qui
ont claironné au monde entier qu’Euromaidan
était l’expression pacifique des
aspirations du peuple ukrainien— ont
fomenté un coup d’État nazi, dont la
réalisation a été grandement facilitée
par la veulerie de Viktor Ianoukovytch
et de son gouvernement.
Après la conclusion officielle
vendredi à Kiev d’un accord de sortie de
crise dépourvu de tout crédit, la
situation dans le pays a très vite
échappé au contrôle des signataires et
de leurs « témoins ». Aucune des clauses
de l’accord n’a été appliquée. Les
représentants du pouvoir légal se sont
enfuis à l’étranger (ou ont tenté de le
faire). À Kiev, les bâtiments officiels
ont été pris d’assaut par les émeutiers.
Ce sont les éléments les plus radicaux
qui dictent leurs règles aux « chefs de
pacotille » qui tentent désespérément de
tenir les rênes de Maidan.
Ce qui s’est passé en Ukraine, le 22
février 2014, n’est rien d’autre qu’un
coup d’État, exécuté par des groupes
radicaux armés, des anarchistes et des
nazis qui ont bénéficié, pendant les
deux dernières décennies, d’un soutien
multiforme des lobbies occidentaux :
largesses financières, soutien militaire
et diplomatique, et même le secours de
la religion pour le réconfort spirituel
et l’exhortation au combat. De
nombreuses villes d’Ukraine sont en
proie aux pillages, aux agressions, à la
vindicte des émeutiers, aux répressions
politiques, et s‘enfoncent dans le
chaos.
On a vite perçu les signes
annonciateurs du chaos à travers les
atermoiements des autorités ukrainiennes
tout au long des trois mois du siège
imposé à Kiev par les brigades
d’éléments radicaux galiciens venus là
pour mener la guérilla urbaine, avec le
concours de bandes de délinquants. Les
représentants de l’État sont restés
muets quand des fanatiques fous-furieux
ont brûlé vivants, sous leurs yeux, des
agents des forces de l’ordre (Berkut)
désarmés, les rouant de coups et leur
arrachant les yeux. Ils n’ont rien fait
pour stopper « les combattants de la
liberté » enragés qui prenaient d’assaut
les centres administratifs des régions,
humiliaient les autorités locales,
pillaient les arsenaux de la police et
de l’armée dans la partie ouest du pays.
Ils n’ont pas bougé le petit doigt quand
des tireurs embusqués non identifiés,
cachés en haut des bâtiments à Kiev,
assassinaient de sang froid les
miliciens, les manifestants, et ceux qui
passaient là par hasard. Ils sont même
allés jusqu’à proclamer une loi
d’amnistie (puis une autre !)
blanchissant ceux qui s’étaient rendus
coupables de violences criminelles sur
les policiers, et d’atteintes
gravissimes à l’ordre public. Ce
faisant, le régime de Ianoukovytch a
lui-même ouvert les portes de l’Ukraine
au spectre menaçant du démantèlement et
des ravages apportés dans le sillage de
la guerre en Libye.
Les groupes qui mènent la guérilla
urbaine sont-ils l’expression d’un
mouvement populaire maître de son
organisation et de son discours ? On en
est loin.
Depuis l’effondrement de l’Union
Soviétique, les lobbies internationaux
ont utilisé des milliards de dollars
estampillés par la Réserve fédérale pour
arroser des associations et des
politiciens ukrainiens gagnés à « la
cause de la démocratie ». Alors même
qu’ils encourageaient les Ukrainiens « à
se tourner résolument vers l’Europe et
ses valeurs démocratiques », ils
n’ignoraient rien de l’impossibilité
historique d’atteindre à court terme le
but ultime évident de la politique
globale menée à l’Est par les
Occidentaux : dresser l’Ukraine contre
la Russie. C’est pourquoi ils ont choisi
de miser sur les groupes nationalistes
extrémistes et sur l’Église Uniate [1]
(une église grecque-catholique de rite
oriental créée par le Saint-Siège au
seizième siècle) dans une tentative
désespérée de distendre les liens
étroits des chrétiens orthodoxes avec
Moscou, liens hérités de la défunte
République des deux Nations (Rzeczpospolita) [2]
.
Depuis 1990, les Uniates ont
bénéficié du soutien discret des
nouvelles autorités de Kiev, redevenues
indépendantes depuis peu. Pour affaiblir
l’influence de la Russie, la tactique
suivie a été l’occupation brutale des
églises orthodoxes rattachées
officiellement au Patriarcat de Moscou.
L’appel à la pénitence et à la paix est
bien la dernière chose qui ait été
prêchée dans les églises investies et
contrôlées par les Uniates durant toutes
ces années. Bien au contraire, ce sont
des appels à la croisade contre les
orthodoxes qui ont été lancés,
encourageant et justifiant les
agressions racistes, et même les
assassinats. Y a-t-il, là, la moindre
différence avec les harangues des
prêcheurs djihadistes radicaux qui se
réclament sans vergogne de l’islam ?
Pour le savoir, il suffit d’assister à
l’un des sermons de Mikhaïlo Arsenych,
le curé d’une église uniate de la région
d’Ivano-Frankovsk, et de l’écouter
prêcher : « À présent, nous sommes prêts
pour la révolution. Les seules méthodes
de combat efficaces sont l’assassinat et
la terreur ! Nous voulons être sûrs que
pas un Chinois, pas un Nègre, pas un
Juif, ni un Moscovite ne viendra demain
confisquer notre terre ».
Les résultats de
pareil endoctrinement ne se sont pas
fait attendre longtemps. Plusieurs
centres d’entraînement de l’Otan ont été
ouverts en 2004, dans les territoires
des États Baltes, pour la formation des
militants nationalistes extrémistes
ukrainiens. On peut consulter
ici (textes originaux en russe) le
reportage photographique, effectué en
2006, sur un cours de formation aux
techniques de l’action subversive, suivi
par un groupe ukrainien, dans un centre
d’entraînement de l’Otan, en Estonie.
Olexander
Muzychko. Aujourd’hui à Kiev, et en
Tchétchénie en 1994.
On n’a pas lésiné sur l’appui
financier, ni sur les hommes mobilisés
pour renforcer les unités paramilitaires
des groupes radicaux ukrainiens
UNA-UNSO, Svoboda [3],
et d’autres organisations nationalistes
extrémistes implantées dans le pays. À
partir des années 1990,ces nervis ont
participé à la guerre de Tchétchénie et
aux guerres des Balkans, aux côtés des
combattants wahhabites, perpétrant des
crimes de guerre sur les soldats serbes
et russes capturés, et sur des civils.
L’un des combattants de Tchétchénie les
plus abjects, Olexander Muzychko
(également connu à la tête d’un gang de
délinquants sous le nom de « Sasha Biliy »)
dirige aujourd’hui l’une des brigades de
« Pravyi Sector » [Pravyi Sector, le
Secteur de droite, est une organisation
d’environ 3 000 combattants,
particulièrement active place Maidan.],
le groupe radical le plus en vue dans
l’organisation du coup d’État de Kiev.
Selon sa biographie officielle (voir
ici le lien en russe), il s’est vu
décerner, en 1994, par Djokhar Doudaïev,
le commandant de l’époque des
terroristes tchétchènes dans l’enclave
d’Ichkérie [4],
l’Ordre du Héro de la Nation, en hommage
à « ses victoires militaires éclatantes
contre les troupes russes ». Ses talents
militaires étaient très spéciaux : il
montait des opérations de guérilla, en
attirant dans des embuscades les unités
russes opérant dans les contrées
reculées de la Tchétchénie. Il
participait ensuite personnellement à la
torture et aux décapitations des soldats
russes capturés. À son retour en Ukraine
en 1995, il a pris la tête d’un gang de
criminels à Rovno. Il a fini par être
poursuivi et condamné à huit années de
prison pour l’enlèvement et le meurtre
d’un homme d’affaires ukrainien. Il est
entré en politique à sa sortie de
prison, à la fin des années 2000.
Une fois les guerres de Tchétchénie
et des Balkans terminées, ces
prestataires de services, sous-traitant
des opérations militaires pour le compte
des USA et de la Grande-Bretagne, ont
pris l’habitude de recruter des
mercenaires ukrainiens pour leurs
opérations en Afghanistan, en Irak, en
Syrie, et ailleurs. Le scandale survenu
en Grande-Bretagne autour des activités
en Syrie de l’une de ces sociétés,
Britam Defense [5],
a permis que soit révélée au grand jour
l’utilisation de combattants recrutés en
Ukraine —et son ampleur— pour mener des
actions de harcèlement clandestines, au
service des objectifs politiques des
Occidentaux au Proche-Orient. Nombre
d’entre eux ont été envoyés à Kiev pour
y accomplir la besogne pour laquelle ils
sont stipendiés : prendre pour cibles
aussi bien les policiers que les
manifestants d’Euromaidan, à partir des
toits des immeubles environnants.
Les dirigeants réels du mouvement
de protestation ukrainien se sont
exprimés à plusieurs reprises dans
la presse européenne, révélant sans
la moindre ambiguïté leurs
conceptions radicales. On lira avec
profit l’interview donnée par Dmitro
Yarosh, le leader de Pravyi Sector
[5] ,et plusieurs autres échos du
Guardian sur le même sujet
ici] et
ici].
Voilà à quoi ressemblent les
individus avec lesquels les
politiciens européens s‘apprêtent,
sans enthousiasme, à coopérer.
Aujourd’hui à Kiev, ce sont ces
fanatiques qui détiennent le pouvoir
réel dans une ville tombée aux mains
d’une horde de pillards. L’encre
n’était pas encore sèche qu’ils
déchiraient déjà les accords signés
le vendredi par quatre
« dirigeants » ukrainiens et trois
représentants officiels de l’Union
européenne. Leur comportement à
l’égard de Ioulia Tymochenko, à
l’issue de son discours pathétique
du samedi soir à Maidan, a montré on
ne peut plus clairement qu’il
n’appartenait qu’à eux, et à eux
seuls, de décider de son éventuelle
accession aux fonctions de Chef de
l’État Ukrainien failli. Les appels
au soutien financier de l’Ukraine
par l’Union européenne et le FMI,
entendus dernièrement en Occident,
donnent à penser qu’une décision a
été prise : l’achat de la docilité
des nationalistes extrémistes pour
tout le temps que durera la période
de transition. Manifestement, la
mansuétude actuelle des Occidentaux
envers les insurgés radicaux de Kiev
ne diffère guère de la connivence
anglo-américaine lors de l’arrivée
au pouvoir de Hitler, en 1933, puis
à l’avènement du Troisième Reich. Si
les mandarins occidentaux croient
qu’ils vont pouvoir contrôler
politiquement, et tourner contre la
Russie, le projet néonazi ukrainien
qu’ils ont bercé, dorloté et soutenu
durant des décennies, ils se
trompent. Quand le déferlement nazi,
grisé par ses succès à Kiev, aura
essuyé la résistance acharnée, la
contre-offensive et le retour en
force des Ukrainiens de l’Est et du
Sud, il va inévitablement déborder
les frontières et faire irruption
dans le paysage politique européen
déliquescent, où des foyers
d’incendie allumés par les nazis et
les hooligans sont déjà un facteur
de déstabilisation important. Les
liens que ces bandes entretiennent
avec les groupes islamistes radicaux
qui œuvrent dans l’ombre sur le
territoire européen ne contribueront
sûrement pas à éclaircir un horizon
décidément bien sombre.
Est-ce là, le prix que le
Européens sont prêts à payer pour
faire rentrer leurs voisins de l’Est
dans le giron de « la grande famille
des nations civilisées » ?
Traduction
Gérard Jeannesson
Source
Oriental Review
[1]
L’Église Uniate est une église
grecque-catholique de rite oriental,
rattachée à Rome en 1596. Elle a été
accusée de collaboration avec les forces
du IIIe Reich pendant la Seconde Guerre
mondiale, et ses évêques ont été
incarcérés et condamnés aux travaux
forcés en 1945 par les autorités
soviétiques. En 1946, le clergé uniate a
été intégré de force dans l’Église
orthodoxe. Les liens avec Rome ont été
rétablis en 1989, pendant le pontificat
de Jean Paul II.
[2]
« Rzeczpospolita », le nom polonais de
la République des deux Nations, formée
en 1569 à partir du royaume de Pologne
et du grand-duché de Lituanie. Elle
englobait une grande partie de
l’Ukraine, de la Biélorussie, et la
région de Smolensk en Russie. Elle a
cessé d’exister en 1795 lors de la
partition de la Pologne.
[3]
Sur les partis politiques ukrainiens,
voir « Après
la Yougoslavie, l’Ukraine ? », par
Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 5
février 2014.
[4]
Ichkérie : autre nom donné à la
Tchétchénie
[5]
Britam Defense : Cette société avait été
accusée, par le Daily Mail,
d’être impliquée dans la livraison
d’armes chimiques devant être utilisées
à Homs, en Syrie. L’affaire a été jugée
en juin 2013. Le Daily Mail a été
reconnu coupable d’accusations
mensongères et a dû s’acquitter d’un
dédommagement de 110 000 livres à cette
société. Les preuves avancées par le
Daily Mail s’étaient révélées être
de faux e-mails trafiqués.
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