Investig'Action
100 ans de honte : l’annexion de la
Palestine
a commencé à San Remo
Ramzy Baroud
Mardi 19 mai 2020
Porté par le
soi-disant accord du siècle de Donald
Trump, Benyamin Netanyahou se prépare à
annexer de nouveaux territoires
palestiniens. L’histoire se
répète-t-elle? Il y a cent ans déjà, les
représentants de quelques puissants pays
se sont réunis dans une ville endormie
de la Riviera italienne pour sceller le
sort des vastes territoires confisqués à
l’Empire ottoman après sa défaite lors
de la Première Guerre mondiale.
Il y a cent ans,
les représentants de quelques pays
puissants se sont réunis à San Remo, une
ville endormie de la Riviera italienne.
Ensemble, ils ont scellé le sort des
vastes territoires confisqués à l’Empire
ottoman après sa défaite lors de la
Première Guerre mondiale.
C’est le 25 avril
1920 que la résolution de la Conférence
de San Remo a été
adoptée par le Conseil suprême des
Alliés issu de la Première Guerre
mondiale. Des mandats occidentaux ont
été instaurés sur la Palestine, la Syrie
et la « Mésopotamie » — autrement dit
l’Irak. Ces deux derniers pays ont été
théoriquement désignés pour jouir d’une
indépendance provisoire, tandis que la
Palestine était accordée au mouvement
sioniste pour y établir une patrie
juive.
« Le mandataire
sera chargé de mettre en œuvre la
déclaration (Balfour) émise à l’origine
le 8 novembre 1917 par le gouvernement
britannique et adoptée par les autres
puissances alliées, en faveur de
l’établissement en Palestine d’un foyer
national pour le peuple juif »,
peut-on lire dans la résolution.
La résolution a
conféré une plus grande
reconnaissance internationale à la
décision unilatérale de la
Grande-Bretagne, prise trois ans plus
tôt, d’accorder la Palestine à la
Fédération sioniste dans le but
d’établir une patrie juive, en échange
du soutien sioniste à la Grande-Bretagne
pendant la Grande Guerre.
Et, comme dans la
déclaration Balfour britannique, les
malheureux habitants de la Palestine,
dont la patrie historique était
injustement confisquée et remise aux
colons, n’ont fait l’objet que d’une
mention superficielle.
La création de cet
État juif, selon la conférence de San
Remo, reposait sur un vague « accord »
selon lequel « rien ne doit être fait
qui puisse porter préjudice aux droits
civils et religieux des communautés non
juives existantes en Palestine ».
Cet ajout n’était
qu’une piètre tentative de paraître
politiquement équilibré, alors qu’en
réalité aucun mécanisme n’a jamais été
mis en place pour garantir que
l’« accord » soit respecté ou appliqué.
En fait, on
pourrait dire que le long engagement de
l’Occident dans la question d’Israël et
de la Palestine a suivi le modèle de San
Remo : on accorde ses objectifs
politiques au mouvement sioniste (et
pour finir à Israël) sur la base de
conditions inapplicables qui ne sont
jamais respectées ou mises en œuvre.
Remarquez que la
grande majorité des résolutions des
Nations unies relatives aux droits des
Palestiniens sont adoptées par
l’Assemblée générale, et non par le
Conseil de sécurité, où les États-Unis
sont l’un des cinq pays disposant du
droit de véto. Et ils toujours prêts à
torpiller toute tentative de faire
respecter le droit international.
C’est cette
dichotomie historique qui a conduit à
l’impasse politique actuelle.
Les uns après les
autres, les dirigeants palestiniens ont
lamentablement échoué à changer ce
paradigme étouffant. Des décennies avant
la création de l’Autorité palestinienne,
d’innombrables délégations, composées de
personnes prétendant représenter le
peuple palestinien, se sont rendues en
Europe, faisant appel à l’un ou l’autre
gouvernement, plaidant la cause
palestinienne et demandant justice.
Qu’est-ce qui a
changé depuis lors ?
Le 20 février
dernier, le gouvernement de Donald Trump
a
publié sa propre version de la
déclaration Balfour, intitulée
« l’accord du siècle ».
La décision
américaine, qui bafoue une fois encore
le droit international, ouvre la voie à
de nouvelles annexions coloniales
israéliennes de la Palestine occupée. De
façon éhontée, elle menace les
Palestiniens de sanctions sévères s’ils
ne coopèrent pas. En fait, punis, ils
l’ont déjà été lorsque Washington a
coupé tout financement à l’Autorité
palestinienne et aux institutions
internationales qui fournissent une aide
essentielle aux Palestiniens.
Comme dans la
Conférence de San Remo, la Déclaration
Balfour et de nombreux autres textes,
Israël a été prié, toujours aussi
poliment mais sans aucun plan pour faire
appliquer ces demandes, de concéder aux
Palestiniens quelques manifestations
symboliques de liberté et
d’indépendance.
Certains pourraient
soutenir, à juste titre, que « l’accord
du siècle » et la résolution de la
conférence de San Remo ne sont pas
identiques, dans le sens où la décision
de Trump est unilatérale, tandis que
celle de San Remo était le résultat d’un
consensus politique entre divers pays —
la Grande-Bretagne, la France, l’Italie
et d’autres.
C’est vrai, mais il
faut tenir compte de deux points
importants : premièrement, la
déclaration Balfour était aussi une
décision unilatérale. Il a fallu trois
ans aux alliés de la Grande-Bretagne
pour accepter et valider la décision
illégale prise par Londres d’accorder la
Palestine aux sionistes. La question qui
se pose maintenant est de savoir combien
de temps il faudra à l’Europe pour
revendiquer « l’accord du siècle » comme
le sien.
Deuxièmement,
toutes ces déclarations, promesses,
résolutions et « accords » sont rédigés
dans le même esprit, c’est-à-dire que
les superpuissances décident, au nom de
leur énorme influence, de réorganiser
les droits historiques des nations.
D’une certaine manière, le colonialisme
d’autrefois n’est jamais vraiment mort.
À l’Autorité
palestinienne, comme aux directions
précédentes, on présente toujours la
carotte et le bâton. En mars dernier, le
gendre du président américain Donald
Trump, Jared Kushner, a déclaré aux
Palestiniens que s’ils ne reprenaient
pas les négociations (inexistantes) avec
Israël, les États-Unis soutiendraient
l’annexion de la Cisjordanie par l’État
sioniste.
Depuis près de
trente ans maintenant et certainement
depuis la signature des accords d’Oslo
en septembre 1993, l’Autorité
palestinienne a choisi la carotte.
Maintenant que les États-Unis ont décidé
de modifier complètement les règles du
jeu, l’autorité de Mahmoud Abbas est
confrontée à la plus grave menace
existentielle qu’elle a connue :
s’incliner devant Kushner ou insister
pour revenir à un modèle politique mort,
qui a été construit, puis abandonné, par
Washington.
Israël aborde avec
une lucidité totale la crise au sein de
la direction palestinienne. Le nouveau
gouvernement de coalition israélien,
composé des anciens rivaux du Premier
ministre israélien, Benjamin Netanyahou
et Benny Gantz, a provisoirement
convenu que l’annexion de grandes
parties de la Cisjordanie et de la
vallée du Jourdain n’est qu’une question
de temps. Ils attendent simplement que
les Américains leur fasse un signe.
Ils ne devront
probablement pas attendre longtemps, car
le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a
déclaré le 22 avril que l’annexion des
territoires palestiniens est « une
décision israélienne ».
Franchement, cela
n’a pas grande importance. La
déclaration Balfour du XXIe
siècle est déjà là ; il s’agit seulement
d’en faire la nouvelle réalité
incontestée.
Il est peut-être
temps que les dirigeants palestiniens
comprennent que ramper aux pieds de ceux
qui ont hérité de la résolution de San
Remo, qui construisent et perpétuent un
Israël colonial, n’est pas la bonne
réponse et ne l’a jamais été.
Il est peut-être
temps d’y réfléchir sérieusement.
Source :
Le bog de Ramzy Baroud
Traduit par Diane
Gilliard pour
Investig’Action
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