Palestine
Quand la gauche israélienne
admettra-t-elle
que l’occupation a commencé en 48, pas
en 67 ?
Rami Younis
Des Palestiniens participent à un
rassemblement marquant le 69ème
anniversaire
de la Nakba, Naplouse, 15 mai 2017
(Nasser Ishtayeh/Flash90)
Samedi 10 juin 2017
L’une des caractéristiques négatives de
la « gauche » israélienne est sa façon
de nommer « l’occupation » le régime
militaire en Cisjordanie et à Gaza. Une
partie de la gauche accuse même les
Palestiniens qui affirment qu’il n’y a
pas de différence entre Petah Tikva et
Ariel* d’être comme la droite, parce que
« c’est ce que dit la droite
israélienne. » Pour la plupart des
Palestiniens, cependant, cette façon
caricaturale et orwellienne de parler de
« l’occupation » gomme la vraie honte
d’Israël et le cadavre profondément
enterré dans le placard : l’occupation
brutale et criminelle de 1948.
Le nettoyage ethnique et l’expropriation
massive des terres, puis la colonisation
de ces terres, sont la mère de tous les
déshonneurs – même si les Israéliens
refusent de le reconnaître en public et
même s’ils s’escriment à ignorer ce que
la plupart des Arabes disent. Le fait
que les Israéliens nomme « l’occupation
» l’occupation de 1967 vise, entre
autres, à occulter ou à empêcher toute
implication dans la Nakba. En tant que
tel, la pseudo-gauche israélienne est
actuellement essentiellement composée de
négationnistes de la Nakba.
L’une des affirmations éculées les plus
utilisées pour éviter de parler des
crimes de 48 comme d’une « occupation »
est que la Nakba, ou la « guerre
d’indépendance » selon l’expression
sioniste blanchie, fut nécessaire au
projet national d’établissement d’un
Etat pour le peuple juif après la
Seconde Guerre mondiale.
Une autre affirmation, avancée surtout
par la droite israélienne, est que les
Palestiniens ont refusé le plan de
partition des Nations unies de 1947.
Cette annonce m’a toujours semblé vide
de tout fondement ou de logique de base,
et elle ne mérite donc pas qu’on
l’aborde. Voyons si ceux qui brandissent
cet argument acceptent de donner leurs
maisons et leur terre aux gens qui sont
arrivés de l’étranger pour les
déposséder, et on pourra en parler.
Un projet national ?
L’argument selon
lequel il fallait établir un Etat au
détriment de la population indigène,
tout en le justifiant par la persécution
des occupants, est au mieux pathétique.
Beaucoup de gens très bien ont déjà
parlé de l’exploitation cynique de la
mémoire des victimes de l’Holocauste par
le sionisme. Mais aux oreilles
des Palestiniens, ces
auto-justifications, tout comme les
propos outrés de « l’occupation » comme
s’il n’y avait pas d’autre désastre et
blessure ouverte, est plus que juste
pathétique.
Ces déclarations sont destinées à
effacer la responsabilité des Israéliens
sur ces événements sanglants. Il est
important pour les sionistes de
gauche au cœur sensible que les Arabes
et les juifs n’aient pas besoin d’être
ennemis, mais moins important d’écouter
les Palestiniens et de comprendre
combien 48 est toujours un traumatisme,
et quel impact il continue d’avoir, même
pour la troisième génération après la
Nakba.
Ce n’est pas seulement la diaspora de
millions de réfugiés de la Nakba, dont
la plupart vivent dans des conditions
déplorables dans des camps. C’est aussi
le manque de reconnaissance de la plus
grande injustice jamais faite au peuple
palestinien. Lorsque vous ne
reconnaissez pas votre responsabilité
directe dans la catastrophe d’un autre,
comment pouvez-vous espérer qu’il vive
en paix avec vous ou qu’il croit en vos
slogans sur la coexistence ?
Vivre dans le passé
Beaucoup trop
d’Israéliens, qui cherchent à s’exempter
des affirmations palestiniennes que le
manque de reconnaissance sur 48 reste
une blessure ouverte, sont à l’aise pour
prêcher aux Palestiniens qu’ils doivent
« tirer un trait sur le passé. » Et cela
vient de gens qui prétendent revenir sur
la terre de leurs ancêtres d’il y a des
milliers d’années. L’hypocrisie est sans
limite.
Ignorer et oublier le passé est une
autre caractéristique négative de la «
gauche sioniste ». Les Israéliens
utilisent constamment leur droit
biblique sur la Palestine et
rappellent continuellement au monde leur
persécution passée – c’est donc
précisément parmi les gens de gauche
qu’on aurait espéré trouver de la
compréhension sur l’insistance des
Palestiniens à se souvenir des crimes du
passé. Surtout quand ces mêmes personnes
persécutées sont ceux qui ont causé ces
injustices.
La Nakba ne disparaîtra jamais du
discours palestinien tant qu’on n’aura
pas trouvé de solution à la détresse des
Palestiniens, car la Nakba continue et
les Palestiniens ressentent toujours ses
conséquences. Les Arabes continuent
d’être expulsés de leur maison pour
installer des Israéliens, et pas
seulement sur la Ligne Verte (voir, par
exemple, Umm al-Hiran, et comment les
villes mixtes sont judaïsées).
La triste vérité est que reconnaître la
Nakba nécessite de reconnaître
l’occupation originelle de 1948, ce que
les Israéliens ont peur d’affronter. On
peut crier des slogans de paix jusqu’à
ce que les poules aient des dents, ces
mots n’ont aucun sens tant qu’on ignore
le droit des réfugiés de 1948 à revenir
dans leurs maisons aux dépens des colons
à Ein Hod, par exemple.
Vous voulez vous engager avec les
Palestiniens en tant qu’égaux ? Vous
voulez soutenir que vous refusez de les
voir comme des ennemis ? Vous voulez
renforcer les valeurs réelles de la
gauche ? Alors commencez à répéter :
l’occupation a 69 ans, pas 50. Lorsque
davantage d’Israéliens parviendront à
cette façon de penser et cesseront de
nier la Nakba, peut-être alors de plus
en plus de Palestiniens commenceront à
refuser de les considérer comme des
ennemis.
* Petah Tikva est une ville fondée en
1878 par des juifs sionistes sur
le territoire de la Palestine
historique, Ariel est une colonie
sioniste construite en 1978 en
‘Cisjordanie’ (ndt.)
Source :
972mag
Traduction : MR
pour ISM
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