L'Humanité
Golfe. Le Qatar sous pression extrême
de l’Arabie saoudite et de ses alliés
Pierre Barbancey
© Pierre
Barbancey
Jeudi 29 juin 2017
Les Émirats arabes unis ont sommé Doha
de prendre « au sérieux » une liste de
demandes de ses voisins, dont une
réduction des relations avec l’Iran pour
mettre fin à la crise du Golfe.
Derrière, se cache un plan régional
israélo-arabe soutenu par Washington.
La tension qui
règne dans le Golfe après la rupture des
relations avec le Qatar, décidée par
l’Arabie saoudite, suivie par plusieurs
pays dont les Émirats arabes unis,
l’Égypte et le Koweït, est montée d’un
cran en fin de semaine dernière. Une
liste de 13 « demandes », parmi
lesquelles la fermeture de la chaîne Al
Jazeera, a été présentée à Doha,
officiellement pour mettre fin à la
crise diplomatique déclenchée de façon
surprise le 5 juin. Le Qatar a dix jours
pour s’y conformer.
Il est d’abord
demandé à Doha de réduire ses relations
diplomatiques avec l’Iran, de fermer ses
missions diplomatiques dans ce pays et
de cesser toute coopération militaire
avec lui. Se plaçant résolument dans la
lecture israélo-américaine des
paramètres régionaux, les Saoudiens et
leurs affidés désignent donc Téhéran
comme l’ennemi principal.
Tout est très
profane, il s’agit d’une question de
leadership
Contrairement à ce
que les idées dominantes voudraient
imposer, il ne s’agit nullement d’un
antagonisme religieux au sein de l’Islam
entre des pays sunnites et un Iran
chiite. Tout est très profane et il
s’agit bien évidemment d’une question de
leadership. Or, le Qatar partage avec
l’Iran un important champ de gaz
naturel, South Pars, ce qui implique
certaines relations
politico-commerciales mais aucunement
militaires. D’ailleurs, s’agissant de la
Syrie, jusqu’à présent, tous les pays du
Golfe faisaient cause commune en
soutenant les groupes islamistes, alors
que Téhéran est du côté du pouvoir
central.
De même, injonction
est faite au Qatar de fermer la base
militaire turque qu’elle abrite sur son
sol. Dans le panorama régional, à
l’intérieur des groupes de pays,
existent évidemment des antagonismes. La
Turquie entretient des rapports
privilégiés avec Doha. Le Parlement turc
a approuvé, le 7 juin, la mise en œuvre
d’un accord datant de 2014 permettant le
déploiement de plusieurs milliers de
soldats au Qatar. Ces derniers jours, le
président turc, Reçep Tayyip Erdogan, a
fait savoir qu’il considère les demandes
comme « contraires au droit
international ». Ankara – qui a commencé
à envoyer des denrées alimentaires au
petit émirat gazier – se garde bien
d’entrer directement en conflit avec
Riyad, se bornant à appeler à un
règlement de la crise.
En revanche, Riyad
et consorts ne semblent pas gênés par le
fait que les États-Unis disposent, au
Qatar, de 10 000 hommes regroupés dans
une de leurs plus importantes bases
militaires et qu’ils ont récemment signé
un accord de 22 milliards de dollars
avec Doha pour la vente d’avions de
chasse !
La demande numéro 4
est quasiment surréaliste : « Mettre fin
au financement d’individus, groupes ou
organisations désignés comme terroristes
par l’Arabie saoudite, les Émirats
arabes unis, l’Égypte, Bahreïn, les
États-Unis et d’autres pays » (sic). Qui
est sur cette liste ? Tout à la fois les
Frères musulmans, l’« État islamique »,
al-Qaida et le Hezbollah libanais. Outre
le fait qu’on trouve des mouvements
sunnites et chiites (ce qui invalide
toute analyse basée sur des antagonismes
religieux), la liste sert surtout à
masquer la revendication israélienne. Le
Hezbollah libanais, évidemment. Mais pas
seulement.
Normaliser les
relations avec Israël avant la création
de l’État palestinien
Début juin, depuis
Paris, le ministre saoudien des Affaires
étrangères, Adel Al Joubeir,
expliquait : « Nous avons décidé de
prendre des mesures pour que Doha décide
de la direction à prendre car son
soutien au Hamas va à l’encontre de la
politique de l’Autorité palestinienne. »
Un jeu à double bande. Dans le cadre de
la coalition et de la coopération qui
sont en train de se mettre en place
entre Israël et nombre de pays sunnites
dits modérés, dont l’Arabie saoudite, et
sous l’égide des États-Unis, il convient
de tenter de reprendre la main sur le
mouvement national palestinien,
d’affaiblir le Hamas et de préparer la
succession de Mahmoud Abbas en
satellisant Mohamed Dahlan, ancien chef
de la sécurité préventive (Fatah) dans
la bande de Gaza et aujourd’hui
conseiller des Émirats arabes. Le but :
normaliser les relations avec Israël
avant même toute création d’un État
palestinien.
« Il est plus sage
que (le Qatar) prenne au sérieux les
demandes et les préoccupations de ses
voisins. Autrement, le divorce sera
effectif », a menacé le ministre d’État
émirati aux Affaires étrangères, Anwar
Gargash.
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Publié le 29 juin 2017 avec l'aimable
autorisation de
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