Opinion
Le harcèlement
contre le journaliste turc Bahar
Kimyongür
se poursuit au milieu du
silence des médias
Miguel Álvarez
Peralta
Mardi 17 décembre 2013
16/12/2013 [Leer
el artículo original en castellano]
En ordonnant l'arrestation de ce
journaliste pour des motifs
idéologiques, Interpol
transgresse ses propres statuts
en collaborant avec une
persécution politique. Il a été
déclaré innocent par différents
tribunaux, mais le mandat
d'arrêt se maintient contre lui.
Pourquoi ?
Ce n'est pas le premier cas, et
nous avons à craindre que ce ne
soit pas le dernier. Mais celui
de Bahar Kimyongür
[1]
est un exemple paradigmatique.
Le gouvernement turc a émis
contre lui à plusieurs reprises
un mandat d'arrêt à travers
Interpol, l'organisation de
coopération interpolicière qui
incombe 190 pays. Son “délit”
est strictement d'opinion :
Bahar,
licencié en Histoire de l'Art et
Archéologie à l'Université de
Bruxelles, est le Directeur
bruxellois de l'Institut
International pour la Paix, la
Justice et les Droits de l'Homme,
et porte-parole du Comité
contre l'Ingérence en Syrie,
exerce en tant que journaliste,
en dénonçant souvent les aspects
antidémocratiques du
gouvernement d'Erdogan. En
ordonnant sa détention,
Interpol transgresse ses propres
statuts qui, en théorie, lui
interdisent de requérir des
arrêts pour des motifs
idéologiques. Et cependant,
l'ordre se maintient. Pourquoi ?
L'alliance politico-militaire
différencie la Turquie des
autres pays
La puissante Turquie, pont
politique, culturel et
géographique entre l'Orient et
l'Occident, est une pièce
fondamentale de l'alliance
militaire de l'OTAN, en
apportant des bases militaires
très importantes dans une
enclave geopolíticamente très
précieux, ainsi que la plus
grande armée de terre
européenne. Aujourd'hui, elle
opère comme un allié stratégique
dans la politique d'Occident
pour le Proche-Orient.
Peut-être ceux-ci soient des
facteurs décisifs pour expliquer
pourquoi l'Europe et
l'Interpol décident de fermer
les yeux devant la
persécution constante et le
harcèlement de la puissance
turque contre des journalistes
critiques et des activistes
opposants. Déjà en 2006, la
Turquie a fait emprisonner Bahar
durant plusieurs mois,
jusqu'à ce que la pression
internationale et sa la
déclaration d'innocence par le
Tribunal de La Haye, ont
obligé à sa libération.
Si la Turquie avait un
gouvernement indocile, qui ne
collaborât pas avec la stratégie
régionale des puissances
occidentales, il est probable
que notre industrie médiatique
ait mis le cri au ciel devant le
cas Kimyongür. Sûrement, son nom
serait si connu comme celui d'Yoani
Sanchez, ou comme l'a été la
“fermeture” de RCTV en Venezuela
(je fais référence au non
renouvellement de licence).
Cependant, avec certitude, notre
lecteur ne connaît pas le nom de
ce journaliste, poursuivi et
arrêté maintenant pour la
quatrième fois en Europe.
Persécutés de deuxième
classe : un clameureux silence
médiatique
En Espagne, Bahar a été arrêté
le 17 juin passé quand il
visitait la cathédrale de
Cordoue avec son épouse Deniz et
ses deux petits fils. Malgré
cela, les journaux principaux
comme El País ou El
Mundo,
n'ont mentionné même pas une
fois son nom. En
revanche, le chercheur d'El
Pais.com registre des
centaines de mentions récentes
du nom de "Yoani Sanchez", la
fameuse blogueuse cubaine, ou de
“Weiwei”, cet artiste chinois
critique du régime communiste.
Le traitement partial que ces
médias donnent de certains
dissidents est évident.
Le gouvernement Erdogan accuse
Bahar d'appartenir au DHKP,
un parti politique turc
d'extrême gauche, inclus dans la
liste d'organisations
terroristes après les événements
de 11 septembre. En tant que
journaliste et investigateur,
Bahar a traduit du turc en
français un communiqué de cette
organisation, mais il a été
déclaré innocent de l'accusation
d'appartenance à la même par
le Tribunal d'Appel d'Anvers
(2008), par le Tribunal d'Appel
de Bruxelles (2009) et par les
tribunaux de La Haye et
d'Espagne. [En réalité, pour ce
qui concerne l'Espagne, jusqu'à
présent il a seulement été
libéré sous caution et doit
encore rester à disposition du
juge dans l'attente de la
résolution ferme de l'Audiencia
Nacional - NdT]. Cependant,
la Turquie continue son
harcèlement contre lui, comme
contre d'autres activistes pour
les droits de l'Homme à
l'intérieur et à l'xtérieur du
pays. Les cas du leader LGTB
Mehmet Tarhan,
le harcèlement contre des
organisations de droits de
l'Homme
contre des dizaines d'avocats
et des journalistes kurdes sont seulement quelques uns des
cas qui sont parvenus à
l'opinion internationale.
Amnesty International et l'Organisation
Mondiale Contre la Torture
sont quelques unes des ONG qui
dénoncent
périodiquement et publient des
rapports sur les abus
du gouvernement turc.
Le cas de Bahar met
directement en question
l'intégrité démocrtique
d'Interpol
Bahar a été précédemment arrêté
en Belgique et en Hollande,
toujours dans l'accomplissement
de l'ordre d'Interpol. Le 21
novembre passé, il a à
nouveau été arrêté, cette
fois-ci à Bergame, Italie.
Jusqu'à présent, à chaque
fois il a été remis en liberté
sans charges, car son
dossier délictueux est
inexistant. Tant le juges
hollandais qu'espagnol, ont
compris que Bahar est poursuivi
pour critiquer le régime turc.
Son crime consiste à rassembler
des mots, et aucun des juges n'a
donné suite à la demande
d'extradition, raison pour
laquelle on ne comprend pas pour
quel motif l'ordre policier
international d'arrêt contre lui
reste en vigueur.
Cette situation met en évidence
le caractère antidémocratique de
l'agence intergouvernementale
Interpol. Selon son avocate,
Selma Benkhelifa [en
réalité, elle n'est pas son
avocte - NdT], il n'existe
aucune procédure établie pour
annuler les mandats d'arrêt, et
des voies légales n'existent pas
non plus pour avoir l'accès
aux dossiers. Le droit à la
défense reste ainsi pratiquement
nul pour les affectés.
Interpol n'a même pas de
mécanismes valables
d'interlocution pour des
citoyens individuels, elle
accepte comme interlocuteurs
seulement les États. En vertu de
cela, les gouvernements
belge, espagnol et hollandais
sont en train de faire un
abandon de fonctions quand
ils n'essaient même pas d'agir
comme médiateurs devant Interpol
pour solliciter le retrait du
mandat d'arrêt.
L'influence du partenaire turc
est puissante : si les
gouvernements belge et italien
ne font pas attention aux
manifestations citoyennes de
solidarité qui se déroulent ces
jours-ci, Bahar continuera à
être arrêté chaque fois qu'il
croisera une frontière, avec le
risque consécutif d'extradition
vers un régime dont la tendance
à la torture a été documentée
amplement.
En attendant, les confrères de
profession de Bahar avons
l'obligation déontologique
d'informer du cas et faire
pression sur nos gouvernements
respectifs pour que, en
concordance avec les résolutions
judiciaires, ils essaient
d'intercéder devant d'autres
gouvernements et devant Interpol
pour mettre un terme à ce
calvaire. Ne pas le faire ce
serait considérer pertinente la
persécution idéologique de
journalistes par le gouvernement
turc.
Une
carte signée par des
organisations comme Greenpeace
ou FGTB (le syndicat majoritaire
en Wallonie), publiée par le
journal Le Soir [2]
à propos de son arrestation en
Espagne (cette arrestation qui
n'a pas intéressé les propres
journaux espagnols), demandait
que : «les autorités doivent
tout faire pour empêcher
l’extradition de Bahar Kimyongür
vers les prisons turques où
chacun peut imaginer ce qui
l’attend : le pire».
Le gouvernement espagnol a
maintenant l'opportunité de
corriger l'erreur qu'il a
commise en l'arrêtant, en
intercédant devant l'Italie pour
demander sa libération et pour
empêcher qu'il ne soit extradé
en Turquie. Il vaut mieux de le
faire aujourd'hui que demain,
demain il peut être tard.
[1]
Parfois il peut apparaître
rapporté en Internet comme
Kimyogur, sans la lettre "n" et
sans diérèse sur la lettre "u".
[2]
Le journal belge fondé au XIXe
siècle, au contraire des
Espagnols, a informé du “Affaire
Kimyongur” dans des centaines
d'occasions.
Miguel Álvarez Peralta, directeur d'«El
observador de Castilla-La Mancha»,
périodique de la Faculté de Journalisme
de l'Université Castilla-La Mancha
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