Palestine
Aucun peuple sur terre
n'accepterait
de coexister avec l'oppression
Marwan Barghouti
Jeudi 15 octobre 2015
Marwan
Barghouthi: Aucun peuple sur terre
n'accepterait de coexister avec
l'oppression. Par nature, les êtres
humains aspirent à la liberté, luttent
pour la liberté, se sacrifient pour la
liberté. Et la liberté du peuple
palestinien n'a que trop tardé.
L'escalade
n'a pas débuté avec la mort de deux
colons israéliens. Elle a débuté il y a
longtemps, et s'est poursuivie durant
des années. Chaque jour, des
palestiniens sont tués, blessés,
arrêtés. Chaque jour, le colonialisme
avance, le siège contre notre peuple à
Gaza se poursuit, l'oppression et
l'humiliation persistent. Alors que
certains veulent que nous soyons
accablés par les conséquences
potentielles d'une nouvelle spirale de
la violence, je continue à plaider,
comme je l'ai fait en 2002 [1],
pour que l’on s’attaque aux causes de
cette violence: le déni de liberté pour
les Palestiniens.
Certains ont
suggéré que la raison pour laquelle nous
ne sommes pas parvenus à conclure un
accord de paix est le manque de volonté
de feu Président Yasser Arafat ou du
manque de capacité du Président Mahmoud
Abbas, alors que tous les deux étaient
prêts et capables de signer un tel
accord. Le véritable problème est
qu'Israël a choisi l'occupation au
dépend de la paix et a usé des
négociations comme d'un écran de fumée
pour faire avancer son projet colonial.
Tous les gouvernements au monde
connaissent pertinemment cette vérité
élémentaire et pourtant nombre d'entre
eux prétendent que le retour aux
recettes éculées nous permettra
d'atteindre la liberté et la paix. La
folie c'est de répéter sans arrêt la
même chose et d'espérer un résultat
différent. Il ne peut y avoir de
négociations sans un engagement
israélien clair de se retirer
complètement du territoire qu'Israël a
occupé en 1967, y compris en ce qui
concerne Jérusalem, une fin de
l'ensemble des politiques coloniales, la
reconnaissance des droits inaliénables
du peuple palestinien, y compris le
droit à l'auto-détermination et au
retour, et la libération de tous les
prisonniers palestiniens. Nous ne
pouvons coexister avec l'occupation
israélienne, et nous ne capitulerons pas
devant elle.
On nous a
demandé d'être patients, et nous l'avons
été, donnant une chance après l'autre
pour la conclusion d'un accord de paix,
y compris depuis 2005 et jusqu'à
aujourd'hui. Il est peut être utile de
rappeler au monde que notre
dépossession, exil et transfert forcés,
et l'oppression que nous subissons ont
duré près de 70 ans et nous sommes le
seul point toujours à l'agenda des
Nations Unies depuis sa création. On
nous a dit qu'en ayant recours aux
moyens pacifiques et aux cadres
diplomatiques et politiques, nous
engrangerions le soutien de la
communauté internationale pour mettre
fin à l'occupation. Et pourtant, comme
en 1999 à la fin de la période
intérimaire, la communauté
internationale n'a pas réussi à adopter
une seule mesure significative, y
compris mettre en place un cadre
internationale assurant la mise en œuvre
du droit international et des
résolutions onusiennes, et adopter des
mesures pour mettre fin à l'impunité, y
compris à travers le boycott, les
désinvestissements et les sanctions, en
s'inspirant des outils qui ont permis de
débarrasser le monde du régime
d'apartheid.
En l'absence
d'intervention internationale pour
mettre fin à l'occupation, et en
l'absence d'actions sérieuses des
gouvernements pour mettre fin à
l'impunité d'Israël, et en l'absence de
toute perspective de protection
internationale accordée au peuple
palestinien sous occupation, et alors
même que la colonisation et ses
manifestations diverses, y compris les
attaques violentes des colons
israéliens, s'intensifient, que nous
demande-t-on de faire? Laissez faire et
attendre qu'une autre famille
palestinienne se fasse brûler, qu'un
autre jeune palestinien se fasse tuer,
qu'une nouvelle colonie soit construite,
qu'une autre maison palestinienne soit
détruite, qu'un autre enfant palestinien
soit arrêté, qu'une nouvelle attaque de
colons ait lieu, qu'une autre agression
contre notre peuple à Gaza soit lancée?
Le monde entier sait pertinemment que
Jérusalem est la flamme qui peut
inspirer la paix ou déclencher la
guerre. Alors pourquoi demeure-t-il
impassible alors que les attaques
israéliennes contre le peuple
palestinien dans la ville et les lieux
saints musulmans et chrétiens, notamment
Al-Haram Al-Sharif, continuent sans
relâche? Les actions et les crimes
israéliens ne détruisent pas seulement
la solution à deux Etats sur les
frontières de 1967 et violent le droit
international. Ils menacent de
transformer un conflit politique qui
peut être résolu en un conflit religieux
éternel qui ne fera que déstabiliser
plus avant une région qui fait déjà
l'expérience de bouleversements sans
précédents.
Aucun peuple
sur terre n'accepterait de coexister
avec l'oppression. Par nature, les êtres
humains aspirent à la liberté, luttent
pour la liberté, se sacrifient pour la
liberté. Et la liberté du peuple
palestinien n'a que trop tardé. Pendant
la première Intifada, le gouvernement
israélien a lancé une politique « briser
leurs os pour briser leur volonté »,
mais une génération après l'autre, le
peuple palestinien a démontré que sa
volonté ne peut être brisée et ne doit
pas être testée.
Cette
nouvelle génération palestinienne n'a
pas attendu les pourparlers de
réconciliation pour incarner une unité
nationale que les partis politiques ont
échouée à réaliser, dépassant les
divisions politiques et la fragmentation
géographique. Elle n'a pas attendu
d'instructions pour mettre en œuvre son
droit, et même son devoir, de résister à
cette occupation. Elle le fait sans
armes, alors même qu'elle est confrontée
à une des plus importantes puissances
militaires au monde. Et pourtant, nous
demeurons convaincus que la liberté et
la dignité l'emporteront, et que nous
triompherons. Et que le drapeau
palestinien que nous avons levé avec
fierté à l'ONU flottera au-dessus des
murailles de la vieille ville de
Jérusalem, pas pour un jour, mais pour
toujours.
J'ai rejoint
la lutte palestinienne pour
l'indépendance il y a 40 ans, et fut
emprisonné pour la première fois à l'âge
de 15 ans. Cela ne m'a pas empêché de
plaider pour une paix fondée sur le
droit international et les résolutions
de l'ONU. Mais j'ai vu Israël détruire
méthodiquement cette perspective année
après année. J'ai passé 20 ans de ma vie
dans les geôles israéliennes, y compris
les 13 dernières années, et ces années
n'ont fait que renforcer ma foi en cette
vérité inaltérable: le dernier jour de
l'occupation sera le premier jour de
paix. Ceux qui veulent réaliser cette
dernière doivent agir, et agir
maintenant, pour précipiter la première.
Marwan
Barghouthi
prison de Hadarim
cellule
n°28
[1]
Dans une tribune parue dans le
Washington Post en Janvier 2002,
après une tentative
d’assassinat, et quelques mois
avant son enlèvement.
Marwan
Barghouthi, leader palestinien
emprisonné, député, Président du groupe
d’amitié avec la France au Conseil
Législatif Palestinien, Membre du Comité
Central du Fatah, souvent appelé « le
Mandela palestinien »
Publié dans The guardian
Le dossier soulèvement octobre 2015
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