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MADANIYA

« Al Magharibia : la chaîne du peuple et …
du Front Islamique du Salut (FIS) »

Lotfi Maherzi

Dimanche 23 février 2020

Note de la rédaction madaniya.infoPapier publié à l’occasion du 1 er anniversaire du Hirak, le soulèvement algérien.
Al Magharibia TV est une chaîne de télévision généraliste privée algérienne créée à Londres en juin 2011 et basée depuis 2013 en France à Paris. Elle est proche du réseau des islamistes radicaux du Front Islamique du Salut (FIS). Son fondateur est Oussama Madani, fils d’Abbassi Madani.
Sa date de création a coïncidé avec le lancement de la séquence dite du «printemps arabe», avec la double destitution du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et son remplacement par le duo marzouki-nahadouiste, proche de la branche tunisienne des Frères Musulmans et la destitution du président égyptien Hosni Moubarak et son remplacement par Mohamad Morsi, un membre dirigeant des Frères Musulmans d’Egypte.
A la suite d’une plainte déposée par les autorités algériennes auprès de la société de droits français, Eutelsat, Al Magharibia a cessé de diffuser depuis le 17 octobre 2019. Pour contourner ce blocage, la chaîne privée est revenue avec un nouveau look ; «Hirak TV». A ce jour, la chaîne s’appelle toujours Al Magharibia. L’appelation Hirak TV a été utilisé par la chaîne afin de contourner la suspension de diffusion sur l’opérateur Eutelsat. Mais aprés un second refus de ce dernier, la chaîne a décidé de garder son nom historique : Al Magharibia. Fin de la note

« Al Magharibia : la chaîne du peuple et …
du Front Islamique du Salut (FIS) »

Par, Lotfi MAHERZI.

Lotfi MAHERZI est professeur d’université. Docteur d’Etat en sciences politiques, (Université de Paris, Sorbonne), licencié en Droit (Université d’Alger) et diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, Paris). Il est spécialisé dans le domaine de la communication et l’auteur d’ouvrages et d’articles notamment sur les mouvements de contestations au Maghreb.

23 octobre 2019, des centaines d’algériens sont rassemblés devant le siège de l’opérateur français de satellite Eutelsat pour protester contre l’arrêt de la diffusion d’Al Magharibia (AMG). Parmi les manifestants scandant « AMG la chaine du peuple », le journaliste vedette de la chaîne Djameleddin Benchenouf accuse : « L’état français d’avoir cédé aux injonctions du pouvoir algérien ». Sur la chaîne diffusée désormais uniquement sur Internet, les marques de sympathie et de solidarité pleuvent de partout. Soufiane Djilali, Président du parti Jil Jadid (Nouvelle génération) condamne « un déni de la liberté d’expression » alors que le quotidien de gauche « Le Matin » dénonce « une mise en scène juridico-médiatique pour contrer la sympathie des algériens envers une chaîne qui transmet le cours des évènements en Algérie »

Rare dans l’histoire de l’audiovisuelle algérien, un média ne s’est vu attribué autant de sympathie et d’influence médiatique. D’abord parce qu’il offre une alternative aux chaînes officielles et « offshores » contrôlées par des hommes d’affaires proche des pouvoirs successifs, puis c’est la seule chaîne qui diffuse des images du Hirak, en direct et accompagne depuis le 22 février les manifestations partout en Algérie y compris les algériens qui vivent en Europe et en Amérique. L’on comprend alors pourquoi AMG est devenu l’ennemi du régime.

Cette place centrale dans le champ médiatique et politique algérien, est l’occasion d’examiner la politique éditoriale de la chaîne qui a permis d’une part au Hirak de bénéficier d’une visibilité nationale et internationale incontestable et d’autre part, à la sensibilité de l’islam politique algérien de revenir sur la scène médiatique et politique.

AMG, une chaîne d’influence qui suscite soupçons et rumeurs.

AMG a été lancé en septembre 2011 à partir de Londres par Oussama Abassi, l’un des fils de Abassi Madani, leader de l’ancien FIS, décédé en 2013 au Qatar où il était réfugié. Elle a vu le jour à un moment historique marqué par l’émergence des printemps arabes et l’arrivée au pouvoir des frères musulmans et l’islam politique en Tunisie et en Egypte. Dans cette nouvelle configuration politique inédite dans le monde arabe, AMG va s’engouffrer dans la dynamique de la contestation en Algérie pour devenir presque huit ans après, un outil de communication massif en phase avec la mobilisation populaire.

Si son audience et son influence ne sont pas encore mesurable, il est indéniable que la chaîne a un fort impact psychologique partout où elle est diffusée. Il est visible notamment dans les manifestations avec les pancartes « Merci AMG » ou « La vérité est sur AMG », que la chaîne n’hésite pas d’ailleurs à diffuser dans ses vidéos. Et puis, l’impact de la chaîne ne se mesure plus uniquement au nombre de ses téléspectateurs, mais aussi au nombre de partage de ses émissions sur les réseaux sociaux. A ce titre, AMG prend une longueur d’avance sur les autres chaînes algériennes, puisque ses programmes sont plus importants sur Facebook, You Tube ou WattsApp que son audience directe à la télévision. Cette capacité à générer du contenu sur les réseaux sociaux est devenue le nerf de la guerre de la chaîne.

L’analyse de ce succès n’exclue pas les soupçons sur l’indépendance de la chaîne vis-à-vis de la sensibilité islamique ou de son commanditaire Oussama Madani. Pour ses détracteurs, la communication d’AMG est un leurre qui masque la récupération du Hirak par les islamistes de l’ancien front islamique du salut (FIS). Ils la soupçonnent aussi d’avoir un rapport utilitaire à la démocratie, de revendiquer le droit à la liberté d’expression sans se préoccuper de le mettre en œuvre dans ses émissions. Enfin nombreux sont ceux qui accusent la chaîne d’être utilisée par le Qatar et la Turquie comme un instrument géostratégique visant à faire prévaloir leurs intérêts dans la région. Ce n’est guère l’avis du journaliste D.E Benchenouf qui confie au quotidien El Watan : « Cette chaîne n’aime pas se revendiquer du courant islamique, elle préfère dire courant conservateur. Les gens qui gravitent autour sont en majorité de cet ancrage politique, sans être des islamistes radicaux ». C’est probablement pour cela que la chaîne signale aux téléspectateurs : « Les idées et les opinions diffusées sur la chaîne Al Maghribia sont celles des auteurs : elles ne reflètent pas nécessairement les points de vue de la chaîne ».

L’autre soupçon concerne le financement de la chaîne. Car lorsqu’on regarde AMG, l’une des principales différences que l’on constate par rapport à d’autres chaînes d’information en continu, c’est l’absence de régie publicitaire censé autofinancer la chaîne grâce à la vente d’espaces publicitaires. Alors d’où vient l’argent ? « AMG appartient à des hommes d’affaires que je ne connais pas tous personnellement » déclare D.E Bouchenouf, « mais le principal actionnaire est Oussama Abassi, le fils de l’ancien Président du FIS ». Même si l’on fait crédit au journaliste d’avoir tenu un langage de vérité, la question sur la gouvernance de la chaîne reste posée. Sur le site d’AMG, pas un mot sur l’essentiel : l’organigramme et la composante de la gouvernance (conseil d’administration, directoire, donateurs), bref l’opacité semble régner et susciter sur les réseaux sociaux interrogations, soupçons et rumeurs. Des internautes parlent de l’argent du Qatar, d’autres de donateurs privés du Golf, d’autres encore de financement des services secrets marocains sans oublier ceux qui parlent de recours à des paradis fiscaux de fortunes amassées par les anciens dirigeants du FIS.

Un journalisme combattant et diversifié au service du Hirak

La position de résistance défendue par la chaîne se lit dans l’utilisation de son logo qui introduit toutes ses éditions spéciales. Un globe doré surgit du fond de l’écran puis avance rapidement avant de se fixer sur le nouveau label de la chaîne : « Qanat a Cha3b », (Média du peuple), puis une horloge cerclée en rouge annonce l’édition spéciale. L’émission vedette de la chaîne, animée par des journalistes s’exprimant en arabe, kabyle et français avec des femmes voilées ou cheveux détachés. On peut citer entre autre le présentateur kabyle Slimane Benadi, le rappeur Lotfi double K, autre animateur vedette aux six millions d’abonnés sur Facebook, présenté comme un influenceur sur les réseaux sociaux, Samia Talbi et Thourya Mohamadia, cheveux cachés de voiles austère et tenue sobre et la moderne Oujdane Rabihi qui diffuse ses émissions de Londres. Aux commandes Nacer Djoudi, rédacteur en chef de la chaîne dont le profile sur Facebook exhibe la photo de Karim Tabbou, une des figures du Hirak maintenu en prison.

Une équipe qui se caractérise par une diversification sociologique et linguistique la plus large possible. Une diversité assumée qui génère probablement un phénomène d’identification qui permet de croitre l’audience et renforcer la légitimité de la chaîne. Loin de revendiquer sa neutralité, l’équipe rédactionnelle met en scène un journalisme combattant au service du Hirak et son pluralisme politique. Sur ce point, les écrans de la chaîne sont largement accessibles aux courants politique et intellectuels de toutes les oppositions algériennes mais à l’évidence moins à ceux qui désapprouvent son registre sémantique relatif à la décennie noire. A entendre ses partisans, cette stratégie d’ouverture a un double objectif : plaire à la fois aux démocrates, aux kabyles et aux islamistes, même s’il faille affaiblir l’identité « conservatrice » de la chaîne et permettre à ses responsables de tisser des liens et de constituer de véritables réseaux de connaissances dans l’ensemble du pays et parmi les élites des diasporas algériennes dans le monde.

La chaîne du peuple qui divise les démocrates

C’est certainement dans le magazine « Edition spéciale » l’émission vedette d’AMG qu’on découvre cette diversité. Autour du plateau ou par téléphone, des démocrates comme Azzedine Toumi, Amira Bouraoui, Sofiane Djilali, Karim Tabbou, Zoubida Assoul ou Mohcen Belabbes côtoient des islamistes, anciens responsables du FIS comme Ali Belhadj, Kamel Guemazi, Tahar Belakhdar ou l’activiste Larbi Zitout et Mourad Dhina de la mouvance islamiste RACHED.

Durant l’émission, les téléspectateurs interviennent directement pour exprimer leurs avis et leurs colères contre le pouvoir. C’est le choix stratégique de la chaîne de faire du public, longtemps marginalisé par les medias officiels, un allié qui participe dans la confection du contenu de l’émission, de la création à sa diffusion, en postant sur le site d’AMG toutes les photos et vidéos du Hirak ainsi que les évènements politiques du jour. Les débats sont ponctués par une succession de vidéos choc style ‘Al Jazeera’ accompagnés de chansons reprises du répertoire révolutionnaire ou nationales : cela va de ‘Hasta siempre Che Guevara’ à la chanson ‘Liberté’ de Soolking en passant par ‘Allo système’ de la chanteuse Rapp Raja Méziane. Toutes diffusées en boucle assortis d’images d’ambiance tournés avec des téléphones portables montrant des manifestants, mains en l’air, des cris collectifs, des applaudissements, des gestes de communion pour illustrer l’attitude pacifique d’une population qui se révolte et s’émancipe. Et nombreux sont les téléspectateurs qui débutent la conversation avec « Bravo pour ce que vous faites » ou « heureusement que vous êtes là ».

Si AMG gagne la confiance de beaucoup d’algériens notamment durant sa couverture en direct du Hirak, elle suscite en revanche la méfiance sinon la réprobation de nombreux algériens proches de courants laïques, de gauche ou tout simplement de citoyens victimes de terrorisme islamique. C’est pour cela que la participation de plusieurs figures démocrates aux plateaux de la chaîne passe mal sur les réseaux sociaux. Les reproches sont acerbes : un internaute accuse : « Vous jouez les collaborateurs de la récupération du Hirak par le FIS », un autre exige une parole plus forte contre la présence d’anciens terroristes : « Ces lâchetés ont assez duré. Les démocrates qui participent aux débats ne doivent plus avoir honte de dénoncer la présence d’assassins sur les plateaux de la chaîne », la colère d’un autre internaute est tout aussi vive : « Les islamistes qui ont massacré des milliers d’algériens ne pourront que triompher des prises de guerre qu’ils exhibent à chaque plateau ». Ces accusations sont d’autant plus grave qu’elles ne constituent, aux yeux des témoins des années de sang, que la partie émergée de l’iceberg. Pour eux, avant et après l’arrêt du processus démocratique, les partisans du FIS et leurs ‘afghans’ ont semé la terreur et la barbarie au nom de l’islam. Ils n’ont respecté ni la liberté d’expression, ni la liberté de conscience et la notion de démocratie leur était totalement étrangère.

AMG, relai médiatique de la rhétorique du FIS sur la décennie noire.

Face au discours impliquant la responsabilité directe de la direction du FIS dans les massacres de civiles durant la décennie noire, AMG s’impose comme une machine de guerre idéologique destinée à contrer cette thèse jugée ‘fabriquée’ par des généraux guerriers. Pas une émission ne passe sur les écrans de la chaîne sans qu’un journaliste ne fasse preuve, sans contradicteurs, d’une forme de révisionnisme historique pour mieux donner corps au discours victimaire des anciens responsables du FIS.

L’émission du 22 novembre consacrée au 19e anniversaire de la disparition de Abdelkader Hachani, leader du FIS ne souffre d’aucune ambiguïté. Autour de D.E.Benchenouf, deux invités sympathisants de la mouvance islamique : Noureddine Oussat et Essaïd Aknine et par téléphone, trois anciens cadres du FIS : Badredine Guerfa, Ferhat Meghlaoui et Fouad Lemouchi. Tous font l’éloge du leader du FIS disparu, présenté comme « un authentique démocrate, qui n’a jamais ordonné la création de l’armée islamique du salut (AIS), homme de paix qui militait pour une transition pacifique et démocratique alors que l’état major des putschistes prônaient la guerre ». L’animateur rappelle pour mémoire « le discours des éradicateurs qui font passer les islamistes pour des bourreaux et les généraux pour des victimes ». Essaïd Aknine enfonce le clou : « Les putschistes ont tué 200 000 algériens » avec une responsabilité directe de « leurs bras intellectuel piloté par BHL » (Bernard Henry Levy)

La chaîne emprunte subtilement la même rhétorique dans l’émission consacrée au 27e anniversaire de l’assassinat du Président Boudiaf « Un authentique révolutionnaire, pure parmi les pures qui a refusé la soumission à l’armée » rappelle D.E Benchenouf. Invité sur le plateau, le militant de l’union démocratique et sociale (UDS) pointe la responsabilité de l’assassinat de Boudiaf à « un système composé d’islamistes et de généraux ». « Mais personne ne croira que ce sont les islamistes qui ont tué Boudiaf » réplique l’animateur et puis ajoute-t-il après avoir adulé Boudiaf : « Il ne faut pas oublier qu’il a servi les putschistes, même s’il a compris un mois après ». Et pour conforter ses propos, il appelle au téléphone un citoyen algérien à la retraite, résidant au Canada. L’intervenant déroule un long discours de haine envers l’ancien Président : « Il a servi de façade aux militaires et a fait beaucoup de mal en signant le décret autorisant l’ouverture des camps du sud ». Des propos qui ne laissent aucun doute sur l’objectif de son intervention coordonnée probablement avec l’animateur : « Le terrorisme est une création des services secrets algériens. Ils ont commis un génocide contre le peuple ».

L’animateur est réputé pour avoir une langue bien pendue mais il est à deux fois sur la défensive face au militant tenace de l’UDS : « les leaders du FIS, considéraient la démocratie impie et les démocrates apostats ». D.E Benchenouf se contente de demi-vérités : « Ce n’est pas la direction du FIS qui s’est prononcé sur ce thème mais Ali Belhadj dans un contexte bien précis ». Puis sans surprise, il résume la situation en quelques formules choc : « L’état major soutenait à l’époque que les islamistes étaient une bande résiduelle, non représentatif du peuple. Alors comment penser que ces bandes bursites pouvaient faire 250 000 morts. ». Puis le journaliste lance d’un ton menaçant : « ça ne passera pas comme les années 90 quand on assassinait le peuple algérien en huit clos avec leurs copains ici qui les protégeaient et les irradiateurs de l’autre côté ». Des commentaires qui laissent entendre que toute résistance à cette vision de la décennie noire s’exprime au mieux par l’ignorance, au pire par la complaisance.

Répété plusieurs fois dans la journée, ce réquisitoire sans nuance ni débat contradictoire augmente la probabilité d’être dans le vrai. La fréquence des accusations portées par le journaliste et ses invités suffira peut-être à convaincre de nombreux téléspectateurs mais devient à la longue visible et criante au point où plusieurs téléspectateurs affirment sur les réseaux sociaux avoir quitté AMG en raison de leur malaise face à une ligne éditoriale de plus en plus tournée vers des contenus islamistes et haineux envers l’institution militaire.

AMG : combat politique et stratégie de victimisation

Le procédé est typique de l’activisme de la chaîne dans sa stratégie de victimisation. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre le témoignage exclusif de l’ancien leader du FIS Abassi Madani diffué le 26 janvier 2016. L’événement est présenté par J.E Benchenoiuf comme « un moment de vérité historique ». L’interview débute avec les confessions du leader de l’ancien FIS sur la décennie noire qu’on peut résumer ainsi : « le FIS a une vocation politique et non militaire et en aucun cas l’AIS ou le GIA n’ont été les branches armées du parti. Les responsables du FIS qui ont fait allégeance au GIA l’ont fait à titre personnel et ne pouvaient engager les responsables du FIS »

Pour le journaliste, « c’est une première en la matière », Abassi Madani a fait « éclater la vérité sans l’occulter ». Et pour appuyer ce scoop, il invite Jean-Baptiste Rivoire, ancien journaliste de Canal Plus, auteur à charge sur la responsabilité de l’armée dans la décennie noire, et Mohamed Samraoui, ancien colonel du DRS, réfugié politique en Allemagne, à commenter le témoignage de Abassi Madani. « Oui les groupes armés GIA et AIS étaient infiltrés part le DRS, Non, Abassi Madani et Ali Belhadj ne sont pas tombés dans le piège » lance le journaliste français, « Je confirme » appuie Mohamed Samraoui ». L’animateur jubile, « le GIA était bien infiltré par les services spéciaux de l’armée, Abassi Madani avait raison ». Avec ses invités, ils semblent heureux de découvrir enfin la vérité de la bouche de Abassi Madani, à l’exception d’un auditeur qui insiste sur la responsabilité du FIS dans les massacres de civils. Le journaliste intervient pour lui couper la parole pour des raisons de temps avec ce commentaire : « Vous êtes libre de dire ce que vous voulez, ce qui compte c’est d’argumenter au lieu de faire des procès d’intention ou d’assener des vérités toutes faites ». L’animateur ‘surjoue’ la victimisation pour justifier sa riposte : « des algériens ont été persécutés et criminalisés en raison de leurs adhésions au FIS ».

A l’évidence, les confessions de Abassi MADANI, visent à dédouaner le FIS des massacres de plusieurs milliers d’algériens en donnant aux faits révélés une apparence historique et acceptable, en tout cas compatible avec les témoignages d’invités ‘dignes de foi’. Elles cherchent également à rendre l’ancien FIS fréquentable en tentant de lisser le discours habituel. Un virage en trompe œil qui masque selon les opposants de ce parti une volonté de mettre en place une stratégie de récupération du mouvement populaire et de reconquête du pouvoir à la tunisienne.

L’esprit partisan d’AMG esquive la réalité gênante des faits historiques

L’autre émission qui a déclenché des accusations de couverture sous influence est celle consacrée le 20 juin 2019, à la commémoration de la disparation de l’ancien président Egyptien Mosli du parti ‘Liberté et Justice’, mouvement issu de la confrérie des frères musulmans égyptiens. D.E Benchanouf rappelle que les algériens ont accompli partout en Algérie la prière de l’absent pour exprimer leur solidarité avec le peuple égyptien. Les vidéos parviennent de partout : Biskra, Ouargla, Constantine, toutes montrent ‘Essalath el Ghaïb’ (la prière de l’absent) prolongées par des slogans hostiles au Président Egyptien Sissi.

Le journaliste évoque non le décès de l’ancien Président Mohamed Mosli mais un assassinat qui restera dans la mémoire des peuples, « un complot lance-t-il qui a empêché l’aube de la justice de se libérer sur des peuples enchaînés ». L’indignation monte d’un cran quand il évoque sa disparition : « Il a été assassiné sadiquement, à petit feu de façon à le faire souffrir le plus longtemps possible » Puis la régie passe en boucle le témoignage de la fille de l’ancien président égyptien qui dénonce les conditions pénibles de détention de son père. L’animateur sonne encore une fois la charge, appuyé par un invité acquis à la cause : l’ancien Président tunisien Merzouki qui lance un véritable procès des laïques et des modernistes qui « refusent les islamistes qui arrivent démocratiquement au pouvoir ». Le journaliste rajoute une couche en citant l’exemple d’un militant des droits de l’homme algérien qui aurait refusé de défendre Ali Belhadj parce qu’il était islamiste. Merzouki confirme : « les modernistes sont des démocrates fourvoyés, ils sont totalement rejetés par le peuple ». Le dialogue qui s’ensuit bascule dans une cacophonie de caricatures et d’amalgames : « vous avez des extrémistes laïques en Tunisie et en Algérie nous avons des éradicateurs qui considèrent qu’un bon islamiste et un islamiste mort, il faut l’éradiquer » conclut le journaliste.

En fait, le discours baigne dans la stratégie connue des frères musulmans qui consiste à ignorer la véracité historique quand elle dérange, à renverser les responsabilités quand c’est nécessaire et se ‘victimiser’ quand le discours l’impose. Car D.E Bouchenouf comme journaliste partisan a bien entendu le droit de commémorer avec peine et passion la mémoire de Mohamed Mosli. Mais lorsqu’il parle de cet événement tragique dans le but d’informer le public, il se doit de le faire, sans trop confondre activisme et journalisme, en rappelant avec un minimum d’honnêteté le contexte politique qui a débouché à l’écart de Mohamed Mosli. Il aurait dû informer son public les tentatives de l’ancien Président, de monopoliser à maintes reprises le pouvoir politique et d’islamiser l’Etat. Pas un mot non plus, sur ces millions d’égyptiens sortis pour demander sa démission, l’accusant de gouverner au seul profit des islamistes et de s’arroger les pleins pouvoirs pour écrire une nouvelle constitution. C’est cette contestation populaire grandiose qui a ouvert la voie à la destitution du Président Mosli, certes illégale et condamnable, et à l’arrivée au pouvoir du maréchal Al-Sissi, élu président en 2014. Mais rien n’y fait, durant toute l’émission, on assiste plutôt à un déferlement continu du journaliste, de son invité et du public pour faire de l’ancien Président défunt une icône victime non pas seulement de l’armée mais aussi des « la laïques raciste » dont les partisans se voient accusés sans relâche.

AMG, relai discret d’un islam affilié aux frères musulmans.

Au fur et à mesure que la présence de la chaîne se confirmait dans le champ médiatique algérien, la sensibilité proche de l’ancien FIS et de son jeu politique augmentait aux yeux des observateurs algériens. Cette proximité avec ce parti et des représentants de l’islam politiques dont les Frères musulmans égyptiens, a permis à la chaîne d’utiliser ce qui est appelé le soft power religieux, c’est-à-dire gagner de la puissance et de l’influence auprès du Hirak grâce à l’instrumentalisation d’un islam, discret, pacifique, non violent et proche de la confrérie des frères musulmans. On retrouve par exemple ce combat dans de nombreux sujets traités comme celui sur ‘les femmes et le Hirak’ de Oujdane Rabihi qui cite l’icone de la révolution Djamela Bouhired, mais point d’images ou de commentaires sur le carré féministe et ses revendications pour l’abrogation du code de la famille. En revanche, au téléphone on entend des citoyennes réclamaient « une justice sociale et non un état laïque » ou d’autres totalement voilées fières de marcher le vendredi et de réciter des versets de coran.

On remarque ailleurs le commentaire de ce téléspectateur qui salue la mémoire du président Mosli et informe l’auditoire qu’il milite pour une « dawma islamya », (état islamique), dans le cadre d’un Etat de droit et de justice, et conclue avec trois fois Allah wakbar. On note également ce débat houleux sur l’identité recadré rapidement par l’animateur Athman Sabegh, rappelant que l’identité algérienne se résume en trois mots : l’islam, l’arabe et l’amazighité et quiconque qui refuserait de souscrire à cette matrice de base sera vite rappeler à l’ordre. On relève également la sémantique paisiblement et profondément religieuse de l’animateur Lotfi double K dans ses live quotidiens avec le public. Encore plus inquiétant le commentaire de l’activiste Essaïd Aknine qui crucifie la laïcité et son incompatibilité supposée avec les valeurs de l’islam : « Une réalité sociale du pays lance-t-il, et ceux qui refusent cette réalité doivent changer de pays » propos désavoués par l’animateur qu’il qualifie de « maladresse ».

Ainsi on voit bien se dessiner les contours d’un islam revendicatif parfois haineux lorsque des journalistes d’AMG, leurs invités et leurs sympathisants sur les réseaux sociaux blâment ceux qu’ils appellent les ‘laïques’ ou ‘irradicateurs’ et esquivent volontiers les croisades idéologiques et les turpitudes de personnages historiques de l’ancien FIS et de leurs militants tragiquement associés aux terribles violences des années 90. Sur ce point, l’histoire de la décennie noire foisonne d’exemples, de témoignages et de questionnements qui donnent la nausée :

Qui a appelé à la poursuite du Jihad, décrété la démocratie ‘Kofr’ (mécréance) et menacé de mort les journalistes et les intellectuels algériens ? Ali Belhadj cofondateur du FIS et vedette vénérée de la chaîne. Qui a refusé de condamner les attentats d’Alger de 1995 et à encourager les assassinats des groupes armés islamiques, jugés légitimes ? Anouar Haddam, ancien chef de la délégation parlementaire du FIS. Qui a organisé la même année en Allemagne l’acquisition et l’acheminement d’armes explosifs destinés aux combattants islamiques ? Salim et Abou Madani, frères du patron d’AMG et fils du leader du FIS dissous. Qui a menacé l’Allemagne d’attentats au cas où les fils Madani et d’autres sympathisants de la lutte islamiste seraient menacés par la justice allemande ? Abdelkader Sahraoui activiste du FIS réfugié en Allemagne. (‘Libération’ 21 aout 1996). Qui a encouragé les militants du FIS à mettre en place une organisation secrète et noyauter les institutions de l’Etat à l’image de celle mise en place par le parti islamiste tunisien Ennahda en Tunisie ? Larbi Zitout, ancien diplomate, idéologue au visage multiple du mouvement islamiste RACHAD, très actif sur les réseaux sociaux et accusé par l’activiste sur Facebook ‘RAFAA 156’, avec preuves et photos à l’appui, d’être en relation avec les réseaux terroristes libyens et turques. Autrement dit, les vertueux dénonciateurs de la responsabilité de l’institution militaire dans la tragédie des années 90, sont les premiers impliqués dans la violence du terrorisme islamique.

Au bout du compte, que dire d’AMG et quelles remarques retenir ? Huit ans d’existence et un an de couverture en continu du Hirak ont fait de cette chaîne un symbole pour les algériens et une arme redoutable qui a su actionner à son profit trois leviers de l’opposition algérienne : le levier Kabyle, le levier démocrate et le levier islamiste. Elle a contribué dès lors à fédérer les algériens dans leur diversité autour de ces leviers avec comme identité nouvellement adoptée, l’arabo-islamo-berbère devenue le crédo de la chaîne. Elle a réussi aussi à effacer, aux yeux de ses téléspectateurs, les traces indélébiles de la violence islamiste qui a provoqué l’exil de milliers d’universitaires, intellectuels, cadres et médecins, pour fabriquer une image respectable et compatible de l’islam politique avec la démocratie. Elle a su également se servir de la présence sur ses plateaux de démocrates algériens aux cotés de militants du l’ancien FIS, avec ce souci masqué d’obtenir leur caution, dans la posture fréquentable de la chaîne et dans la banalisation de l’islam politique comme partie prenante de la nouvelle république. Elle a contribué enfin de manière discrète, à installer dans le Hirak des slogans devenus dominants, émanant du FIS et de sa filiale RACHED, insistant exclusivement sur l’Etat civil et non militaire de la nouvelle république, ignorant ceux portés dès la naissance du Hirak par les manifestants démocrates, réclamant une Algérie libre et démocratique.

AMG a en revanche failli sur la restitution historique de la décennie noire. Car derrière le discours accusateur sur la responsabilité exclusive de l’armée algérienne dans la tragédie nationale des années 90, ce sont les libertés avec la vérité historique, la victimisation ressassée et les certitudes idéologique qui se cachent. Une rhétorique problématique et fragile car souvent plaidée à sens unique, non validée par des historiens indépendants encore moins par une véritable commission irréprochable dont la mission serait justement d’écouter toutes les parties coupables de violations des droits de l’homme, de dire la vérité historique, de juger ou amnistier tous ceux qui viendraient « confesser » en quelque sorte leurs exactions – qu’il s’agissent des membres de l’armée qui avaient probablement torturé des militants du FIS ou des militants de ce parti qui ont commis des crimes, des assassinats et délits sur ordre de leur hiérarchie. C’est la seule condition pour réussir la catharsis et peut être une réconciliation juste et vertueuse sur la base d’un programme dans lequel les acteurs de l’islam politique doivent s’engager sur des fondamentaux républicains reconnus par les normes internationales : primauté du civil sur le militaire et sur le religieux, alternance du pouvoir, indépendance de la justice, séparation des pouvoirs, égalité entre les hommes et les femmes, respect des droits humains et liberté de culte et de conscience. Ce compromis préalable à la mise en place d’un réel processus de transition permettra à l’islam politique et sa chaîne AMG de retrouver leur légitimité puis leur présence dans les compétitions politiques.

« Al Magharibia : la chaîne du peuple et … du Front Islamique du Salut (FIS) »

Lotfi MAHERZI.

 

 

   

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Source : René Naba
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