MADANIYA
« Al Magharibia : la chaîne du peuple et
…
du Front Islamique du Salut (FIS) »
Lotfi Maherzi
Dimanche 23 février 2020
Note de la rédaction
madaniya.info – Papier publié à
l’occasion du 1 er anniversaire du Hirak,
le soulèvement algérien.
Al Magharibia TV est une chaîne de
télévision généraliste privée algérienne
créée à Londres en juin 2011 et basée
depuis 2013 en France à Paris. Elle est
proche du réseau des islamistes radicaux
du Front Islamique du Salut (FIS). Son
fondateur est Oussama Madani, fils d’Abbassi
Madani.
Sa date de création a coïncidé avec
le lancement de la séquence dite du
«printemps arabe», avec la double
destitution du président tunisien Zine
El Abidine Ben Ali et son remplacement
par le duo marzouki-nahadouiste, proche
de la branche tunisienne des Frères
Musulmans et la destitution du président
égyptien Hosni Moubarak et son
remplacement par Mohamad Morsi, un
membre dirigeant des Frères Musulmans
d’Egypte.
A la suite d’une plainte déposée par
les autorités algériennes auprès de la
société de droits français, Eutelsat, Al
Magharibia a cessé de diffuser depuis le
17 octobre 2019. Pour contourner ce
blocage, la chaîne privée est revenue
avec un nouveau look ; «Hirak
TV». A ce jour, la chaîne s’appelle
toujours Al Magharibia. L’appelation
Hirak TV a été utilisé par la chaîne
afin de contourner la suspension de
diffusion sur l’opérateur Eutelsat. Mais
aprés un second refus de ce dernier, la
chaîne a décidé de garder son nom
historique : Al Magharibia. Fin de la
note
« Al Magharibia : la
chaîne du peuple et …
du Front Islamique du Salut (FIS) »
Par, Lotfi
MAHERZI.
Lotfi MAHERZI
est professeur d’université. Docteur
d’Etat en sciences politiques,
(Université de Paris, Sorbonne),
licencié en Droit (Université d’Alger)
et diplômé de l’Institut des hautes
études cinématographiques (IDHEC,
Paris). Il est spécialisé dans le
domaine de la communication et l’auteur
d’ouvrages et d’articles notamment sur
les mouvements de contestations au
Maghreb.
23 octobre 2019,
des centaines d’algériens sont
rassemblés devant le siège de
l’opérateur français de satellite
Eutelsat pour protester contre l’arrêt
de la diffusion d’Al Magharibia (AMG).
Parmi les manifestants scandant « AMG la
chaine du peuple », le journaliste
vedette de la chaîne Djameleddin
Benchenouf accuse : « L’état français
d’avoir cédé aux injonctions du pouvoir
algérien ». Sur la chaîne diffusée
désormais uniquement sur Internet, les
marques de sympathie et de solidarité
pleuvent de partout. Soufiane Djilali,
Président du parti Jil Jadid (Nouvelle
génération) condamne « un déni de la
liberté d’expression » alors que le
quotidien de gauche « Le Matin » dénonce
« une mise en scène juridico-médiatique
pour contrer la sympathie des algériens
envers une chaîne qui transmet le cours
des évènements en Algérie »
Rare dans
l’histoire de l’audiovisuelle algérien,
un média ne s’est vu attribué autant de
sympathie et d’influence médiatique.
D’abord parce qu’il offre une
alternative aux chaînes officielles et «
offshores » contrôlées par des hommes
d’affaires proche des pouvoirs
successifs, puis c’est la seule chaîne
qui diffuse des images du Hirak, en
direct et accompagne depuis le 22
février les manifestations partout en
Algérie y compris les algériens qui
vivent en Europe et en Amérique. L’on
comprend alors pourquoi AMG est devenu
l’ennemi du régime.
Cette place
centrale dans le champ médiatique et
politique algérien, est l’occasion
d’examiner la politique éditoriale de la
chaîne qui a permis d’une part au Hirak
de bénéficier d’une visibilité nationale
et internationale incontestable et
d’autre part, à la sensibilité de
l’islam politique algérien de revenir
sur la scène médiatique et politique.
AMG, une chaîne
d’influence qui suscite soupçons et
rumeurs.
AMG a été lancé en
septembre 2011 à partir de Londres par
Oussama Abassi, l’un des fils de Abassi
Madani, leader de l’ancien FIS, décédé
en 2013 au Qatar où il était réfugié.
Elle a vu le jour à un moment historique
marqué par l’émergence des printemps
arabes et l’arrivée au pouvoir des
frères musulmans et l’islam politique en
Tunisie et en Egypte. Dans cette
nouvelle configuration politique inédite
dans le monde arabe, AMG va s’engouffrer
dans la dynamique de la contestation en
Algérie pour devenir presque huit ans
après, un outil de communication massif
en phase avec la mobilisation populaire.
Si son audience et
son influence ne sont pas encore
mesurable, il est indéniable que la
chaîne a un fort impact psychologique
partout où elle est diffusée. Il est
visible notamment dans les
manifestations avec les pancartes «
Merci AMG » ou « La vérité est sur AMG
», que la chaîne n’hésite pas d’ailleurs
à diffuser dans ses vidéos. Et puis,
l’impact de la chaîne ne se mesure plus
uniquement au nombre de ses
téléspectateurs, mais aussi au nombre de
partage de ses émissions sur les réseaux
sociaux. A ce titre, AMG prend une
longueur d’avance sur les autres chaînes
algériennes, puisque ses programmes sont
plus importants sur Facebook, You Tube
ou WattsApp que son audience directe à
la télévision. Cette capacité à générer
du contenu sur les réseaux sociaux est
devenue le nerf de la guerre de la
chaîne.
L’analyse de ce
succès n’exclue pas les soupçons sur
l’indépendance de la chaîne vis-à-vis de
la sensibilité islamique ou de son
commanditaire Oussama Madani. Pour ses
détracteurs, la communication d’AMG est
un leurre qui masque la récupération du
Hirak par les islamistes de l’ancien
front islamique du salut (FIS). Ils la
soupçonnent aussi d’avoir un rapport
utilitaire à la démocratie, de
revendiquer le droit à la liberté
d’expression sans se préoccuper de le
mettre en œuvre dans ses émissions.
Enfin nombreux sont ceux qui accusent la
chaîne d’être utilisée par le Qatar et
la Turquie comme un instrument
géostratégique visant à faire prévaloir
leurs intérêts dans la région. Ce n’est
guère l’avis du journaliste D.E
Benchenouf qui confie au quotidien El
Watan : « Cette chaîne n’aime pas se
revendiquer du courant islamique, elle
préfère dire courant conservateur. Les
gens qui gravitent autour sont en
majorité de cet ancrage politique, sans
être des islamistes radicaux ». C’est
probablement pour cela que la chaîne
signale aux téléspectateurs : « Les
idées et les opinions diffusées sur la
chaîne Al Maghribia sont celles des
auteurs : elles ne reflètent pas
nécessairement les points de vue de la
chaîne ».
L’autre soupçon
concerne le financement de la chaîne.
Car lorsqu’on regarde AMG, l’une des
principales différences que l’on
constate par rapport à d’autres chaînes
d’information en continu, c’est
l’absence de régie publicitaire censé
autofinancer la chaîne grâce à la vente
d’espaces publicitaires. Alors d’où
vient l’argent ? « AMG appartient à des
hommes d’affaires que je ne connais pas
tous personnellement » déclare D.E
Bouchenouf, « mais le principal
actionnaire est Oussama Abassi, le fils
de l’ancien Président du FIS ». Même si
l’on fait crédit au journaliste d’avoir
tenu un langage de vérité, la question
sur la gouvernance de la chaîne reste
posée. Sur le site d’AMG, pas un mot sur
l’essentiel : l’organigramme et la
composante de la gouvernance (conseil
d’administration, directoire,
donateurs), bref l’opacité semble régner
et susciter sur les réseaux sociaux
interrogations, soupçons et rumeurs. Des
internautes parlent de l’argent du
Qatar, d’autres de donateurs privés du
Golf, d’autres encore de financement des
services secrets marocains sans oublier
ceux qui parlent de recours à des
paradis fiscaux de fortunes amassées par
les anciens dirigeants du FIS.
Un journalisme
combattant et diversifié au service du
Hirak
La position de
résistance défendue par la chaîne se lit
dans l’utilisation de son logo qui
introduit toutes ses éditions spéciales.
Un globe doré surgit du fond de l’écran
puis avance rapidement avant de se fixer
sur le nouveau label de la chaîne : «
Qanat a Cha3b », (Média du peuple), puis
une horloge cerclée en rouge annonce
l’édition spéciale. L’émission vedette
de la chaîne, animée par des
journalistes s’exprimant en arabe,
kabyle et français avec des femmes
voilées ou cheveux détachés. On peut
citer entre autre le présentateur kabyle
Slimane Benadi, le rappeur Lotfi double
K, autre animateur vedette aux six
millions d’abonnés sur Facebook,
présenté comme un influenceur sur les
réseaux sociaux, Samia Talbi et Thourya
Mohamadia, cheveux cachés de voiles
austère et tenue sobre et la moderne
Oujdane Rabihi qui diffuse ses émissions
de Londres. Aux commandes Nacer Djoudi,
rédacteur en chef de la chaîne dont le
profile sur Facebook exhibe la photo de
Karim Tabbou, une des figures du Hirak
maintenu en prison.
Une équipe qui se
caractérise par une diversification
sociologique et linguistique la plus
large possible. Une diversité assumée
qui génère probablement un phénomène
d’identification qui permet de croitre
l’audience et renforcer la légitimité de
la chaîne. Loin de revendiquer sa
neutralité, l’équipe rédactionnelle met
en scène un journalisme combattant au
service du Hirak et son pluralisme
politique. Sur ce point, les écrans de
la chaîne sont largement accessibles aux
courants politique et intellectuels de
toutes les oppositions algériennes mais
à l’évidence moins à ceux qui
désapprouvent son registre sémantique
relatif à la décennie noire. A entendre
ses partisans, cette stratégie
d’ouverture a un double objectif :
plaire à la fois aux démocrates, aux
kabyles et aux islamistes, même s’il
faille affaiblir l’identité «
conservatrice » de la chaîne et
permettre à ses responsables de tisser
des liens et de constituer de véritables
réseaux de connaissances dans l’ensemble
du pays et parmi les élites des
diasporas algériennes dans le monde.
La chaîne du peuple
qui divise les démocrates
C’est certainement
dans le magazine « Edition spéciale »
l’émission vedette d’AMG qu’on découvre
cette diversité. Autour du plateau ou
par téléphone, des démocrates comme
Azzedine Toumi, Amira Bouraoui, Sofiane
Djilali, Karim Tabbou, Zoubida Assoul ou
Mohcen Belabbes côtoient des islamistes,
anciens responsables du FIS comme Ali
Belhadj, Kamel Guemazi, Tahar Belakhdar
ou l’activiste Larbi Zitout et Mourad
Dhina de la mouvance islamiste RACHED.
Durant l’émission,
les téléspectateurs interviennent
directement pour exprimer leurs avis et
leurs colères contre le pouvoir. C’est
le choix stratégique de la chaîne de
faire du public, longtemps marginalisé
par les medias officiels, un allié qui
participe dans la confection du contenu
de l’émission, de la création à sa
diffusion, en postant sur le site d’AMG
toutes les photos et vidéos du Hirak
ainsi que les évènements politiques du
jour. Les débats sont ponctués par une
succession de vidéos choc style ‘Al
Jazeera’ accompagnés de chansons
reprises du répertoire révolutionnaire
ou nationales : cela va de ‘Hasta
siempre Che Guevara’ à la chanson
‘Liberté’ de Soolking en passant par
‘Allo système’ de la chanteuse Rapp Raja
Méziane. Toutes diffusées en boucle
assortis d’images d’ambiance tournés
avec des téléphones portables montrant
des manifestants, mains en l’air, des
cris collectifs, des applaudissements,
des gestes de communion pour illustrer
l’attitude pacifique d’une population
qui se révolte et s’émancipe. Et
nombreux sont les téléspectateurs qui
débutent la conversation avec « Bravo
pour ce que vous faites » ou «
heureusement que vous êtes là ».
Si AMG gagne la
confiance de beaucoup d’algériens
notamment durant sa couverture en direct
du Hirak, elle suscite en revanche la
méfiance sinon la réprobation de
nombreux algériens proches de courants
laïques, de gauche ou tout simplement de
citoyens victimes de terrorisme
islamique. C’est pour cela que la
participation de plusieurs figures
démocrates aux plateaux de la chaîne
passe mal sur les réseaux sociaux. Les
reproches sont acerbes : un internaute
accuse : « Vous jouez les collaborateurs
de la récupération du Hirak par le FIS
», un autre exige une parole plus forte
contre la présence d’anciens terroristes
: « Ces lâchetés ont assez duré. Les
démocrates qui participent aux débats ne
doivent plus avoir honte de dénoncer la
présence d’assassins sur les plateaux de
la chaîne », la colère d’un autre
internaute est tout aussi vive : « Les
islamistes qui ont massacré des milliers
d’algériens ne pourront que triompher
des prises de guerre qu’ils exhibent à
chaque plateau ». Ces accusations sont
d’autant plus grave qu’elles ne
constituent, aux yeux des témoins des
années de sang, que la partie émergée de
l’iceberg. Pour eux, avant et après
l’arrêt du processus démocratique, les
partisans du FIS et leurs ‘afghans’ ont
semé la terreur et la barbarie au nom de
l’islam. Ils n’ont respecté ni la
liberté d’expression, ni la liberté de
conscience et la notion de démocratie
leur était totalement étrangère.
AMG,
relai médiatique de la rhétorique du FIS
sur la décennie noire.
Face au discours
impliquant la responsabilité directe de
la direction du FIS dans les massacres
de civiles durant la décennie noire, AMG
s’impose comme une machine de guerre
idéologique destinée à contrer cette
thèse jugée ‘fabriquée’ par des généraux
guerriers. Pas une émission ne passe sur
les écrans de la chaîne sans qu’un
journaliste ne fasse preuve, sans
contradicteurs, d’une forme de
révisionnisme historique pour mieux
donner corps au discours victimaire des
anciens responsables du FIS.
L’émission du 22
novembre consacrée au 19e anniversaire
de la disparition de Abdelkader Hachani,
leader du FIS ne souffre d’aucune
ambiguïté. Autour de D.E.Benchenouf,
deux invités sympathisants de la
mouvance islamique : Noureddine Oussat
et Essaïd Aknine et par téléphone, trois
anciens cadres du FIS : Badredine Guerfa,
Ferhat Meghlaoui et Fouad Lemouchi. Tous
font l’éloge du leader du FIS disparu,
présenté comme « un authentique
démocrate, qui n’a jamais ordonné la
création de l’armée islamique du salut
(AIS), homme de paix qui militait pour
une transition pacifique et démocratique
alors que l’état major des putschistes
prônaient la guerre ». L’animateur
rappelle pour mémoire « le discours des
éradicateurs qui font passer les
islamistes pour des bourreaux et les
généraux pour des victimes ». Essaïd
Aknine enfonce le clou : « Les
putschistes ont tué 200 000 algériens »
avec une responsabilité directe de «
leurs bras intellectuel piloté par BHL »
(Bernard Henry Levy)
La chaîne emprunte
subtilement la même rhétorique dans
l’émission consacrée au 27e anniversaire
de l’assassinat du Président Boudiaf «
Un authentique révolutionnaire, pure
parmi les pures qui a refusé la
soumission à l’armée » rappelle D.E
Benchenouf. Invité sur le plateau, le
militant de l’union démocratique et
sociale (UDS) pointe la responsabilité
de l’assassinat de Boudiaf à « un
système composé d’islamistes et de
généraux ». « Mais personne ne croira
que ce sont les islamistes qui ont tué
Boudiaf » réplique l’animateur et puis
ajoute-t-il après avoir adulé Boudiaf :
« Il ne faut pas oublier qu’il a servi
les putschistes, même s’il a compris un
mois après ». Et pour conforter ses
propos, il appelle au téléphone un
citoyen algérien à la retraite, résidant
au Canada. L’intervenant déroule un long
discours de haine envers l’ancien
Président : « Il a servi de façade aux
militaires et a fait beaucoup de mal en
signant le décret autorisant l’ouverture
des camps du sud ». Des propos qui ne
laissent aucun doute sur l’objectif de
son intervention coordonnée probablement
avec l’animateur : « Le terrorisme est
une création des services secrets
algériens. Ils ont commis un génocide
contre le peuple ».
L’animateur est
réputé pour avoir une langue bien pendue
mais il est à deux fois sur la défensive
face au militant tenace de l’UDS : « les
leaders du FIS, considéraient la
démocratie impie et les démocrates
apostats ». D.E Benchenouf se contente
de demi-vérités : « Ce n’est pas la
direction du FIS qui s’est prononcé sur
ce thème mais Ali Belhadj dans un
contexte bien précis ». Puis sans
surprise, il résume la situation en
quelques formules choc : « L’état major
soutenait à l’époque que les islamistes
étaient une bande résiduelle, non
représentatif du peuple. Alors comment
penser que ces bandes bursites pouvaient
faire 250 000 morts. ». Puis le
journaliste lance d’un ton menaçant : «
ça ne passera pas comme les années 90
quand on assassinait le peuple algérien
en huit clos avec leurs copains ici qui
les protégeaient et les irradiateurs de
l’autre côté ». Des commentaires qui
laissent entendre que toute résistance à
cette vision de la décennie noire
s’exprime au mieux par l’ignorance, au
pire par la complaisance.
Répété plusieurs
fois dans la journée, ce réquisitoire
sans nuance ni débat contradictoire
augmente la probabilité d’être dans le
vrai. La fréquence des accusations
portées par le journaliste et ses
invités suffira peut-être à convaincre
de nombreux téléspectateurs mais devient
à la longue visible et criante au point
où plusieurs téléspectateurs affirment
sur les réseaux sociaux avoir quitté AMG
en raison de leur malaise face à une
ligne éditoriale de plus en plus tournée
vers des contenus islamistes et haineux
envers l’institution militaire.
AMG : combat
politique et stratégie de victimisation
Le procédé est
typique de l’activisme de la chaîne dans
sa stratégie de victimisation. Pour s’en
convaincre, il suffit de suivre le
témoignage exclusif de l’ancien leader
du FIS Abassi Madani diffué le 26
janvier 2016. L’événement est présenté
par J.E Benchenoiuf comme « un moment de
vérité historique ». L’interview débute
avec les confessions du leader de
l’ancien FIS sur la décennie noire qu’on
peut résumer ainsi : « le FIS a une
vocation politique et non militaire et
en aucun cas l’AIS ou le GIA n’ont été
les branches armées du parti. Les
responsables du FIS qui ont fait
allégeance au GIA l’ont fait à titre
personnel et ne pouvaient engager les
responsables du FIS »
Pour le
journaliste, « c’est une première en la
matière », Abassi Madani a fait «
éclater la vérité sans l’occulter ». Et
pour appuyer ce scoop, il invite
Jean-Baptiste Rivoire, ancien
journaliste de Canal Plus, auteur à
charge sur la responsabilité de l’armée
dans la décennie noire, et Mohamed
Samraoui, ancien colonel du DRS, réfugié
politique en Allemagne, à commenter le
témoignage de Abassi Madani. « Oui les
groupes armés GIA et AIS étaient
infiltrés part le DRS, Non, Abassi
Madani et Ali Belhadj ne sont pas tombés
dans le piège » lance le journaliste
français, « Je confirme » appuie Mohamed
Samraoui ». L’animateur jubile, « le GIA
était bien infiltré par les services
spéciaux de l’armée, Abassi Madani avait
raison ». Avec ses invités, ils semblent
heureux de découvrir enfin la vérité de
la bouche de Abassi Madani, à
l’exception d’un auditeur qui insiste
sur la responsabilité du FIS dans les
massacres de civils. Le journaliste
intervient pour lui couper la parole
pour des raisons de temps avec ce
commentaire : « Vous êtes libre de dire
ce que vous voulez, ce qui compte c’est
d’argumenter au lieu de faire des procès
d’intention ou d’assener des vérités
toutes faites ». L’animateur ‘surjoue’
la victimisation pour justifier sa
riposte : « des algériens ont été
persécutés et criminalisés en raison de
leurs adhésions au FIS ».
A l’évidence, les
confessions de Abassi MADANI, visent à
dédouaner le FIS des massacres de
plusieurs milliers d’algériens en
donnant aux faits révélés une apparence
historique et acceptable, en tout cas
compatible avec les témoignages
d’invités ‘dignes de foi’. Elles
cherchent également à rendre l’ancien
FIS fréquentable en tentant de lisser le
discours habituel. Un virage en trompe
œil qui masque selon les opposants de ce
parti une volonté de mettre en place une
stratégie de récupération du mouvement
populaire et de reconquête du pouvoir à
la tunisienne.
L’esprit partisan
d’AMG esquive la réalité gênante des
faits historiques
L’autre émission
qui a déclenché des accusations de
couverture sous influence est celle
consacrée le 20 juin 2019, à la
commémoration de la disparation de
l’ancien président Egyptien Mosli du
parti ‘Liberté et Justice’, mouvement
issu de la confrérie des frères
musulmans égyptiens. D.E Benchanouf
rappelle que les algériens ont accompli
partout en Algérie la prière de l’absent
pour exprimer leur solidarité avec le
peuple égyptien. Les vidéos parviennent
de partout : Biskra, Ouargla,
Constantine, toutes montrent ‘Essalath
el Ghaïb’ (la prière de l’absent)
prolongées par des slogans hostiles au
Président Egyptien Sissi.
Le journaliste
évoque non le décès de l’ancien
Président Mohamed Mosli mais un
assassinat qui restera dans la mémoire
des peuples, « un complot lance-t-il qui
a empêché l’aube de la justice de se
libérer sur des peuples enchaînés ».
L’indignation monte d’un cran quand il
évoque sa disparition : « Il a été
assassiné sadiquement, à petit feu de
façon à le faire souffrir le plus
longtemps possible » Puis la régie passe
en boucle le témoignage de la fille de
l’ancien président égyptien qui dénonce
les conditions pénibles de détention de
son père. L’animateur sonne encore une
fois la charge, appuyé par un invité
acquis à la cause : l’ancien Président
tunisien Merzouki qui lance un véritable
procès des laïques et des modernistes
qui « refusent les islamistes qui
arrivent démocratiquement au pouvoir ».
Le journaliste rajoute une couche en
citant l’exemple d’un militant des
droits de l’homme algérien qui aurait
refusé de défendre Ali Belhadj parce
qu’il était islamiste. Merzouki confirme
: « les modernistes sont des démocrates
fourvoyés, ils sont totalement rejetés
par le peuple ». Le dialogue qui
s’ensuit bascule dans une cacophonie de
caricatures et d’amalgames : « vous avez
des extrémistes laïques en Tunisie et en
Algérie nous avons des éradicateurs qui
considèrent qu’un bon islamiste et un
islamiste mort, il faut l’éradiquer »
conclut le journaliste.
En fait, le
discours baigne dans la stratégie connue
des frères musulmans qui consiste à
ignorer la véracité historique quand
elle dérange, à renverser les
responsabilités quand c’est nécessaire
et se ‘victimiser’ quand le discours
l’impose. Car D.E Bouchenouf comme
journaliste partisan a bien entendu le
droit de commémorer avec peine et
passion la mémoire de Mohamed Mosli.
Mais lorsqu’il parle de cet événement
tragique dans le but d’informer le
public, il se doit de le faire, sans
trop confondre activisme et journalisme,
en rappelant avec un minimum d’honnêteté
le contexte politique qui a débouché à
l’écart de Mohamed Mosli. Il aurait dû
informer son public les tentatives de
l’ancien Président, de monopoliser à
maintes reprises le pouvoir politique et
d’islamiser l’Etat. Pas un mot non plus,
sur ces millions d’égyptiens sortis pour
demander sa démission, l’accusant de
gouverner au seul profit des islamistes
et de s’arroger les pleins pouvoirs pour
écrire une nouvelle constitution. C’est
cette contestation populaire grandiose
qui a ouvert la voie à la destitution du
Président Mosli, certes illégale et
condamnable, et à l’arrivée au pouvoir
du maréchal Al-Sissi, élu président en
2014. Mais rien n’y fait, durant toute
l’émission, on assiste plutôt à un
déferlement continu du journaliste, de
son invité et du public pour faire de
l’ancien Président défunt une icône
victime non pas seulement de l’armée
mais aussi des « la laïques raciste »
dont les partisans se voient accusés
sans relâche.
AMG, relai discret
d’un islam affilié aux frères musulmans.
Au fur et à mesure
que la présence de la chaîne se
confirmait dans le champ médiatique
algérien, la sensibilité proche de
l’ancien FIS et de son jeu politique
augmentait aux yeux des observateurs
algériens. Cette proximité avec ce parti
et des représentants de l’islam
politiques dont les Frères musulmans
égyptiens, a permis à la chaîne
d’utiliser ce qui est appelé le soft
power religieux, c’est-à-dire gagner de
la puissance et de l’influence auprès du
Hirak grâce à l’instrumentalisation d’un
islam, discret, pacifique, non violent
et proche de la confrérie des frères
musulmans. On retrouve par exemple ce
combat dans de nombreux sujets traités
comme celui sur ‘les femmes et le Hirak’
de Oujdane Rabihi qui cite l’icone de la
révolution Djamela Bouhired, mais point
d’images ou de commentaires sur le carré
féministe et ses revendications pour
l’abrogation du code de la famille. En
revanche, au téléphone on entend des
citoyennes réclamaient « une justice
sociale et non un état laïque » ou
d’autres totalement voilées fières de
marcher le vendredi et de réciter des
versets de coran.
On remarque
ailleurs le commentaire de ce
téléspectateur qui salue la mémoire du
président Mosli et informe l’auditoire
qu’il milite pour une « dawma islamya »,
(état islamique), dans le cadre d’un
Etat de droit et de justice, et conclue
avec trois fois Allah wakbar. On note
également ce débat houleux sur
l’identité recadré rapidement par
l’animateur Athman Sabegh, rappelant que
l’identité algérienne se résume en trois
mots : l’islam, l’arabe et l’amazighité
et quiconque qui refuserait de souscrire
à cette matrice de base sera vite
rappeler à l’ordre. On relève également
la sémantique paisiblement et
profondément religieuse de l’animateur
Lotfi double K dans ses live quotidiens
avec le public. Encore plus inquiétant
le commentaire de l’activiste Essaïd
Aknine qui crucifie la laïcité et son
incompatibilité supposée avec les
valeurs de l’islam : « Une réalité
sociale du pays lance-t-il, et ceux qui
refusent cette réalité doivent changer
de pays » propos désavoués par
l’animateur qu’il qualifie de
« maladresse ».
Ainsi on voit bien
se dessiner les contours d’un islam
revendicatif parfois haineux lorsque des
journalistes d’AMG, leurs invités et
leurs sympathisants sur les réseaux
sociaux blâment ceux qu’ils appellent
les ‘laïques’ ou ‘irradicateurs’ et
esquivent volontiers les croisades
idéologiques et les turpitudes de
personnages historiques de l’ancien FIS
et de leurs militants tragiquement
associés aux terribles violences des
années 90. Sur ce point, l’histoire de
la décennie noire foisonne d’exemples,
de témoignages et de questionnements qui
donnent la nausée :
Qui a appelé à la
poursuite du Jihad, décrété la
démocratie ‘Kofr’ (mécréance) et menacé
de mort les journalistes et les
intellectuels algériens ? Ali Belhadj
cofondateur du FIS et vedette vénérée de
la chaîne. Qui a refusé de condamner les
attentats d’Alger de 1995 et à
encourager les assassinats des groupes
armés islamiques, jugés légitimes ?
Anouar Haddam, ancien chef de la
délégation parlementaire du FIS. Qui a
organisé la même année en Allemagne
l’acquisition et l’acheminement d’armes
explosifs destinés aux combattants
islamiques ? Salim et Abou Madani,
frères du patron d’AMG et fils du leader
du FIS dissous. Qui a menacé l’Allemagne
d’attentats au cas où les fils Madani et
d’autres sympathisants de la lutte
islamiste seraient menacés par la
justice allemande ? Abdelkader Sahraoui
activiste du FIS réfugié en Allemagne.
(‘Libération’ 21 aout 1996). Qui a
encouragé les militants du FIS à mettre
en place une organisation secrète et
noyauter les institutions de l’Etat à
l’image de celle mise en place par le
parti islamiste tunisien Ennahda en
Tunisie ? Larbi Zitout, ancien
diplomate, idéologue au visage multiple
du mouvement islamiste RACHAD, très
actif sur les réseaux sociaux et accusé
par l’activiste sur Facebook ‘RAFAA
156’, avec preuves et photos à l’appui,
d’être en relation avec les réseaux
terroristes libyens et turques.
Autrement dit, les vertueux
dénonciateurs de la responsabilité de
l’institution militaire dans la tragédie
des années 90, sont les premiers
impliqués dans la violence du terrorisme
islamique.
Au bout du compte,
que dire d’AMG et quelles remarques
retenir ? Huit ans d’existence et un an
de couverture en continu du Hirak ont
fait de cette chaîne un symbole pour les
algériens et une arme redoutable qui a
su actionner à son profit trois leviers
de l’opposition algérienne : le levier
Kabyle, le levier démocrate et le levier
islamiste. Elle a contribué dès lors à
fédérer les algériens dans leur
diversité autour de ces leviers avec
comme identité nouvellement adoptée,
l’arabo-islamo-berbère devenue le crédo
de la chaîne. Elle a réussi aussi à
effacer, aux yeux de ses
téléspectateurs, les traces indélébiles
de la violence islamiste qui a provoqué
l’exil de milliers d’universitaires,
intellectuels, cadres et médecins, pour
fabriquer une image respectable et
compatible de l’islam politique avec la
démocratie. Elle a su également se
servir de la présence sur ses plateaux
de démocrates algériens aux cotés de
militants du l’ancien FIS, avec ce souci
masqué d’obtenir leur caution, dans la
posture fréquentable de la chaîne et
dans la banalisation de l’islam
politique comme partie prenante de la
nouvelle république. Elle a contribué
enfin de manière discrète, à installer
dans le Hirak des slogans devenus
dominants, émanant du FIS et de sa
filiale RACHED, insistant exclusivement
sur l’Etat civil et non militaire de la
nouvelle république, ignorant ceux
portés dès la naissance du Hirak par les
manifestants démocrates, réclamant une
Algérie libre et démocratique.
AMG a en revanche
failli sur la restitution historique de
la décennie noire. Car derrière le
discours accusateur sur la
responsabilité exclusive de l’armée
algérienne dans la tragédie nationale
des années 90, ce sont les libertés avec
la vérité historique, la victimisation
ressassée et les certitudes idéologique
qui se cachent. Une rhétorique
problématique et fragile car souvent
plaidée à sens unique, non validée par
des historiens indépendants encore moins
par une véritable commission
irréprochable dont la mission serait
justement d’écouter toutes les parties
coupables de violations des droits de
l’homme, de dire la vérité historique,
de juger ou amnistier tous ceux qui
viendraient « confesser » en quelque
sorte leurs exactions – qu’il s’agissent
des membres de l’armée qui avaient
probablement torturé des militants du
FIS ou des militants de ce parti qui ont
commis des crimes, des assassinats et
délits sur ordre de leur hiérarchie.
C’est la seule condition pour réussir la
catharsis et peut être une
réconciliation juste et vertueuse sur la
base d’un programme dans lequel les
acteurs de l’islam politique doivent
s’engager sur des fondamentaux
républicains reconnus par les normes
internationales : primauté du civil sur
le militaire et sur le religieux,
alternance du pouvoir, indépendance de
la justice, séparation des pouvoirs,
égalité entre les hommes et les femmes,
respect des droits humains et liberté de
culte et de conscience. Ce compromis
préalable à la mise en place d’un réel
processus de transition permettra à
l’islam politique et sa chaîne AMG de
retrouver leur légitimité puis leur
présence dans les compétitions
politiques.
« Al
Magharibia : la chaîne du peuple et … du
Front Islamique du Salut (FIS) »
Lotfi MAHERZI.
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