DONi.Press
Anna pleure son fils Oleg,
les hommes qui ne veulent pas vivre en
esclaves
Laurent Brayard
Vendredi 4 mars 2016
Nous sommes à Kirovskoe dans le Donbass
en République populaire de Donetsk.
Evguéni m’accompagne dans sa ville
natale à la rencontre d’Anna Essiliéva,
une femme âgée de près de 80 ans qui vit
désormais seule avec son petit fils,
lui-même orphelin et jeune étudiant de
19 ans. De ses deux fils, le cadet Oleg,
40 ans, a été tué dans les rangs des
insurgés au début de juillet 2014. Cette
femme vit désormais dans l’enfer du
souvenir. Reportage sur les traces des
fantômes du Donbass, ces gens simples et
modestes qui ont perdu un fils, un
époux, un frère, un membre de leur
famille. Ils restent seuls et désemparés
face aux meurtriers des armées de
représailles de Kiev qui tuent dans le
Donbass.
La ville et ses alentours pouvaient
comprendre avant la guerre 30 000
habitants, elle n’en compte plus que la
moitié. Si la localité est désormais
loin du front, elle fut longtemps sous
le feu des troupes ukrainiennes. Nous
avançons sous le soleil dans les rues de
la ville, il règne une activité dans les
rues mais les traces de la guerre sont
omniprésentes. Ici une maison pulvérisée
par un coup au but, là-bas les dégâts
d’un missile tactique Totchka-U, plus
loin des traces sempiternelles des
éclats d’obus ou des divers projectiles
tirées sur la ville. Les maisons
d’habitations sont les plus touchées, le
stade a été bombardé et comme d’habitude
les établissements publics, magasins,
écoles. Aucune troupe insurgée ne se
trouvait dans le centre, le front était
à la périphérie de la ville, mais comme
toujours nous découvrons la même
tactique des Ukrainiens : tuer pour
tuer, déclencher la terreur et la
panique, tenter de vider le Donbass pour
se livrer encore mieux à leurs
exactions, notamment le pillage comme
j’en relève ici de nombreux témoignages.
« J’ai travaillé 43 ans à la mine,
dans un combinat non loin de là, mon
mari aujourd’hui défunt y travaillait
aussi. Toute ma vie j’ai travaillé pour
ce que vous voyez autour de vous, nous
n’avons rien, vous le voyez bien ».
Je suis en effet dans un très modeste
appartement, très ancien, le parquet
date de la construction d’origine
probablement dans les années 50 ou 60.
Son intérieur est propre, coquet, un
buffet emplit de souvenirs,
photographies et vaisselles à l’aspect
démodé est la seule richesse du lieu.
Les meubles sont d’un autre âge, celui
du formica, la mode d’un temps révolu.
Anna pleure, cela durera d’ailleurs
toute l’interview, une histoire triste
et terrible entrecoupée des sanglots de
la vieille dame : « qui est donc ce
Porochenko, lui qui a des enfants,
comment peut-il tuer son peuple, nous
envahir avec des chars, nous tuer,
qu’est-ce que cela veut dire,
qu’avons-nous fait et comment qualifier
cet homme et tous les autres assassins
de Kiev après ce qu’ils ont fait ici ?
».
Je ne sais que répondre, son fils de 40
ans, Oleg est mort au champ d’Honneur.
C’était lui aussi un mineur, il avait
pris les armes un jour du printemps
2014, dans la conviction de la défense
de son pays, de ses valeurs, de sa
famille. Son jeune fils aussi s’engage,
il sert durant un an dans les bataillons
de volontaires et vient de s’en retirer,
bien jeune, il doit penser aussi à son
avenir et reste sans ressources aux
côtés de sa grand-mère. Cette dernière
touche 4 000 roubles, c’est sa pension
et celle de son mari défunt, pension qui
a été coupée et que refuse de payer le
gouvernement de Kiev à cette vieille
femme épuisée. Désormais c’est la RPD
qui lui verse son dû. Elle me pose cent
fois la question « mais pourquoi
tout cela, pourquoi nous tuer, est-ce
que j’ai travaillé toute ma vie pour
voir cela ? Nous sommes Russes, c’est
ainsi, vous verrez dans le couloir le
drapeau de la Russie, je n’ai aucune
famille en Ukraine et je n’en ai jamais
eu, tous les miens sont de Russie, mes
parents étaient arrivés ici de Russie
pour le travail dans les années 50. Mon
fils est mort, sur un block-post, un
obus l’a enlevé. Je n’ai su la nouvelle
que longtemps après, il a fallu
l’identifier, à cette époque les
miliciens étaient partis de leur propre
chef, il n’y avait aucune organisation.
Et puis au milieu des cadavres nous
l’avons découvert ».
La femme pleure à chaudes larmes, c’est
une vague qui monte, elle reprend alors
son discours puis se retrouve à nouveau
submergée par l’émotion et le malheur.
Son fils aîné arrive, il a 50 ans, il ne
dit rien et s’assoit, son air est
sombre. Je n’entendrais une fois encore
aucune parole de haine, simplement de
l’incompréhension, pourquoi cette
agression militaire, pourquoi ces
violences inouïes, pourquoi le retour de
ces nazis d’un autre âge ahanant les
noms des collaborateurs d’Hitler et des
massacreurs de 1941-1945 ? Je quitte le
lieu éteint et sombre à mon tour.
J’étreins cette pauvre grand-mère comme
si c’était la mienne, elle me rend ce
geste d’affection et redouble de pleurs
lorsque je lui confie 5 000 roubles au
nom d’un Français de cœur, Eric Michel
qui à son niveau vient de faire beaucoup
de bien à une pauvre femme et son
petit-fils. Je ne peux que lui remettre
en son nom cet argent qui n’est rien
face à la douleur de la mort, face à la
mémoire de ceux qui sont partis marcher
à la rencontre de la mort, pour leur
liberté, pour la Justice et pour ne pas
vivre en esclaves.
Laurent
Brayard pour
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