Irak
L'indépendance kurde au centre des
plans israéliens
de remodelage du
Proche-Orient
Jonathan Cook
Mardi 10 octobre 2017
Ce n’est pas par
bonté d’âme ou par amour de la justice
(sic) qu’Israël se range aux
côtés des Kurdes dans leur projet
d’indépendance. Sa position se fonde
d’abord sur des considérations
géopolitiques : réduire l’influence de
l’Iran dans la région, notamment en
Irak, Syrie et Liban, l’isoler de
nouveau. Ensuite pour des raisons
idéologiques : Israël se complaît à
s’identifier au combat des Kurdes pour
un Etat, qui serait semblable à celui
des juifs sionistes -
dont il faut
préserver la mémoire à tout prix -
mais dans un contexte politique tout
autre et aux conséquences désastreuses
pour le peuple palestinien
(AFI-Flash).
Par Jonathan
Cook (revue de presse : Blog de
Jonathan Cook – 2/10/17)*
Les Palestiniens et
les Israéliens ont été très attentifs au
référendum des Kurdes d’Irak et les
officiels israéliens tout comme certains
Palestiniens - pour différentes
raisons - furent contents du
résultat du vote, de se scinder de
l’Irak.
Etant donné la
réaction de Bagdad et la colère de
l’Iran et de la Turquie, qui ont tous
des minorités rétives, la création d’un
Kurdistan dans le nord de l’Irak n’est
pas pour demain. Le soutien des
Palestiniens aux Kurdes est facile à
comprendre : quand la France et la
Grande-Bretagne partagèrent, il y a un
siècle, le Moyen-Orient en Etats, ils
furent totalement ignorés et comme les
Kurdes, ils se retrouvèrent coincés sur
des territoires variés, opprimés par
leurs maîtres.
L’intérêt d’Israël
pour cette indépendance est plus
complexe à définir. Le premier ministre
Netanyahou a été le seul dirigeant au
monde à soutenir le projet kurde ;
d’autres politiciens parlèrent du « droit
moral » des Kurdes à avoir un Etat,
sans remarquer qu’il cadrait mal avec
leur approche du cas palestinien.
Dans un premier
temps, Israël gagnera énormément car les
Kurdes sont assis sur des réserves de
pétrole énormes qu’ils n’ont aucune
appréhension à lui vendre contrairement
à l’Iran et l’Arabie saoudite. Mais les
raisons de ce soutien sont bien plus
profondes. Une coopération secrète a
existé entre les deux entités pendant
des décennies. Les médias israéliens ont
rendu hommage aux généraux, maintenant
à la retraite, qui ont entraîné les
Kurdes dès les années 1960. Ces liens
n’ont pas été oubliés ou ne sont pas
terminés. Des drapeaux israéliens ont
fleuri aux rassemblements pour
l’indépendance et les Kurdes y ont
évoqué leur ambition de devenir «
un second Israël ».
Israël considère
les Kurdes comme un allié d’importance
dans une région dominée par les Arabes.
Maintenant que l’influence de l’Etat
islamique s’estompe, un Kurdistan
indépendant l’aiderait à empêcher que
l’Iran ne remplisse le vide. Israël veut
un rempart contre le transfert d’armes,
de renseignements et de savoir de l’Iran
à ses alliés chiites en Syrie et au
Liban. Mais Israël a, actuellement, une
vision élargie de ses intérêts dans la
région qu’il a longtemps nourrie et que
j’ai expliquée à profusion dans mon
livre « Israël and the clash of
civilizations » (Israël et le choc
des civilisations ».
Cela a commencé
avec le père fondateur d’Israël, David
Ben Gourion, qui conçut la stratégie de
« s’allier avec la périphérie »,
à savoir établir des liens militaires
avec les Etats non arabes comme la
Turquie, l’Ethiopie, l’Inde et l’Iran du
Chah, le but étant d’aider Israël à
briser son isolement régional et à
contenir le nationalisme arabe de Nasser
en Egypte. Ariel Sharon, général
israélien, étendit cette doctrine
sécuritaire, au tout début des années
1960, appelant Israël à devenir une
puissance impériale au Moyen-Orient et à
s’assurer que lui, seul, dans cette
partie du monde, possèderait l’arme
nucléaire, le rendant ainsi
incontournable aux yeux des Etats-Unis.
Il n’élabora pas la manière dont Israël
pourrait mettre sur pied cet empire mais
une ébauche en fut fournie en même temps
par le plan de Yinon rédigé pour l’Organisation
Sioniste Mondiale par un ancien
officiel des affaires étrangères
israéliennes.
Oded Yinon
proposait l’implosion du Moyen-Orient
par le démantèlement des principaux
Etats de la région - adversaires
principaux d’Israël - en attisant
les discordes sectaire et ethnique. Il
fallait casser ces Etats, les affaiblir
de telle sorte qu’Israël émergerait
comme la seule puissance de la région.
Cette idée inspire toujours sa politique
dans les territoires occupés de la
Palestine où il contient les
Palestiniens dans une série d’enclaves
séparées, où il a définitivement divisé
le mouvement national palestinien,
nourrissant un extrémisme islamiste se
fondant dans le Hamas et le
Jihad islamique. Au même moment,
Israël a testé ces idées dans le sud du
Liban voisin qu’il a envahi pendant deux
décades et où sa présence a, de plus,
avivé les tensions entre Chrétiens,
Druzes, Sunnites et Chiites.
Cette stratégie de
« balkanisation » a trouvé
preneur auprès d’un groupe de faucons
parlementaires aux Etats-Unis, les
néo-conservateurs, devenus proéminents
au cours de la présidence de Georges W.
Bush, et qui, fortement influencés, se
firent les promoteurs du concept « d’écraser »
les principaux Etats, notamment l’Iran,
l’Irak et la Syrie, opposés à la
domination israélo-américaine dans la
région. Leur priorité fut Saddam Hussein
qui avait tiré des missiles sur Israël
lors de la guerre du Golfe de 1991.
Bien que, très
souvent, considéré comme un effet
secondaire malheureux de l’invasion de
l’Irak, l’indifférence de Washington
face à la désintégration sanglante de
l’Irak en fiefs sunnite, kurde, chiite a
toutes les apparences d’une intention
délibérée. Maintenant, les Kurdes
s’apprêtent à pérenniser cette scission.
La Syrie a pris le
même chemin, piégée dans un conflit
bouleversant qui a laissé son dirigeant
impuissant. Et, ensuite, Téhéran, la
cible des efforts d’Israël et des
Etats-Unis pour déchirer l’accord
nucléaire conclu en 2015 et le rejeter
dans un coin. Les minorités arabe,
kurde, balouche et azeri sont mûres pour
se révolter.
Le mois dernier, à
la conférence d’Herzliya, le grand
rassemblement des services de sécurité
israélien, le ministre de la Justice,
Ayelet Shaked, a réclamé un Etat kurde,
disant qu’il serait essentiel à Israël
pour « remodeler » le
Moyen-Orient.
L’établissement de
la carte de la région par la France et
la Grande-Bretagne conduira, très
probablement, au chaos d’un tel genre
qu’un Israël, puissant, nucléaire,
propulsé par les Etats-Unis, pourrait
facilement exploiter. Et,
malheureusement, plus de turbulence ne
fera pas avancer la cause palestinienne
sur la liste des priorités de la
communauté internationale.
*Source
(version originale) :
Blog de Jonathan Cook
Traduction et
Synthèse : Xavière Jardez
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