Opinion
Dé-israéliser l'Europe
Joan Cañete
Bayle
Jeudi 31 mars 2016
"Il faut
israéliser l'Europe pour apprendre à
vivre avec le terrorisme" (1),
ai-je lu après les attentats à
Bruxelles. L'idée n'est pas nouvelle.
Ceux qui la progagent veulent dire que
sous la menace du terrorisme, les
sociétés européennes doivent copier le
modèle d'Israël en matière de sécurité.
L'Europe regarde vers Israël pour
reconcevoir la sécurité de ses aéroports
(2),
ai-je lu dans des articles qui abondent
sur un (autre) des mythes qu'avec
ténacité Israël a construits au fil des
ans : son engagement non négociable dans
l'autodéfense, son efficacité
indiscutable dans la lutte contre ceux
qui osent l'attaquer, son état de fier
David entouré de Goliaths menaçant son
existence même, sa ténacité à frapper
fort ses ennemis, d'Adolf Eichmann au
Palestinien gisant par terre qu'un
soldat a achevé d'une balle dans la
tête, la semaine dernière à Hébron. (3)
Je lis,
dis-je, cette clameur en faveur d'une
israélisation de l'Europe et elle
coincide avec le fait que je suis
récemment aller à l'aéroport de El Prat,
et près du comptoir d'enregistrement de
El Al j'ai assisté aux interrogatoires
des voyageurs, aux enregistrements, à la
"recherche d'explosifs" par des agents
israéliens qui n'ont pas de compte à
rendre aux autorités espagnoles et qui
vérifiaient le sac à dos d'une fillette
de 5 ans d'où émergeait la tête d'un
ours en peluche. Rien d'étrange, c'est
juste l'habitude si vous volez vers
Tel-Aviv avec une compagnie aérienne
israélienne, d'où que vous partiez dans
le monde. (4)
Je lis, je vois et j'entends ceux qui
dans les discussions, défendent cette
israélisation sans plus de de
connaissances et d'expériences que
celles d'avoir vu à la télé, coupé de
spots publicitaires, le film de Steven
Spielberg "Munich", et je pense à un bon
ami et grand journaliste qui, avec sa
dérision toute gallicienne, avait
l'habitude de dire : "Il est faux de
dire que El Al est la compagnie aérienne
la plus sûre du monde. S'il en est une,
disons que c'est la Varig, parce que
personne n'a aucun intérêt à faire
exploser un de leurs avions."
Sa réputation de grande efficacité en
matière de sécurité garantit à
Israël des bénéfices politiques
et économique. Les bénéfices politiques
sont évidents : renforcer l'idée que le
"conflit" avec les Palestiniens est une
affaire de terrorisme et non la
résistance armée de l'occupé contre
l'occupant. Selon ce discours, une
attaque au couteau dans Hébron occupée
est la même chose que les attentats à
Bruxelles. Les Palestiniens sont les
mêmes que Daesh ou Al-Qaeda. L'autorité
en matière de sécurité donne à
l'occupation une autorité politique et
cimente l'idée qu'il y a un "nous" (Israël
comme avant-garde géographique et
politique d'un Occident attaqué par des
islamistes) et "eux" (arabes, musulmans,
palestiniens, perses, islamistes... en
un grand méli-mélo). C'est la raison
pour laquelle l'Etat d'Israël
promeut des accords avec les
gouvernements de la moitié du monde pour
que les policiers de tout type et statut
aillent se former en Israël
aux méthodes que les forces de sécurité
israéliennes utilisent pour réprimer la
résistance palestinienne. Les policiers
espagnols, de l'Etat à l'échelle
régionale, en sont l'exemple (5).
Il y a d'autres pays qui répriment avec
une efficacité égale (l'Arabie Saoudite
par exemple) mais aucun pays occidental
n'enverrait sa police se former chez
eux. Ce n'est donc pas une question
d'efficacité, mais d'identité, de eux et
de nous. Et grâce à la sécurité,
Israël devient l'un d'entre
nous.
Le commerce des bombardements de
Gaza
Parlons
d'économie. La guerre de Gaza
(500 enfants morts en 50 jours sous les
bombardements, dix par jour en moyenne)
fut beaucoup de choses. Parmi elles, un
commerce. Grâce au marketing inestimable
que fournit le mythe de l'efficacité
israélienne en matière de sécurité, les
entreprises d'armement de l'Etat hébreu
ont testé de nouvelles armes à
Gaza qu'ils vendent avec le
label de qualité que donne le fait
d'avoir été testées au combat par
Israël (6).
"Testés au combat" (7).
Israël n'a pas
l'habitude de se cacher, et ses
dirigeants et hommes d'affaires disent
ouvertement que les territoires occupés
sont "un laboratoire de moyens de
guerre et de nouvelles technologies de
défense" (8).
Le fin du fin, si vous êtes un policier
ou un militaire, c'est d'aller
s'entraîner en Israël
et d'utiliser des armes israéliennes.
Nous ne parlons pas seulement dans le
domaine militaire, loin de là.
Israël a exporté avec succès
des méthodes et des tactiques de
répression policières testées dans
l'occupation (9).
C'est ce qu'on appelle les armes de
contrôle des foules (crowd-control
weapons, CCW, en englais). Dans un
rapport intitulé "Lethal in disguise" (10)
publié ce mois-ci, l'ONG Médecins pour
les droits de l'homme dénonce le fait
que ces dernières années et dans le
monde entier, il y a une augmentation du
nombre de manifestations en raison des
ravages causés par la crise économique
et que les forces de sécurité ont eu
recours à "une utilisation de la
force inappropriée et disproportionnée"
grâce à la "prolifération des CCW".
La militarisation de la police des
Etats-Unis a provoqué de nombreuses
morts, surtout lors des manifestations
de la population noire. Des mouvements
comme Black Lives Matters (11)
dénoncent cette tendance sécuritaire
dans le monde entier, dont
Israël est l'un des principaux
moteurs, autant avec les tactiques
qu'avec les armes (12).
Pas étonnant que Black Live Matters
fraternise avec la cause palestinienne (13)
: ils luttent, littéralement, contre la
même chose.
Un pistolet dans le sac à dos
Je lis
et j'entends que tout cela est bien joli
mais que le djihadisme nous a déclaré la
guerre et qu'il nous faut nous défendre
et garantir la sécurité, et dans ce
domaine, que ses méthodes nous plaisent
ou non, Israël est le
meilleur. Je les écoute et je pense à
Benjamin Lehman (14).
Ce monsieur, un colon qui vit en
Cisjordanie (15),
est arrivé en juin 2004 (trois ans après
le 11-septembre, en pleine guerre
d'Irak, trois mois après le 11 mars en
Espagne, en pleine hystérie) à
l'aéroport d'Heathrow avec un pistolet
chargé dans son sac à dos avec
l'intention d'aller aux Etats-Unis
assister à un mariage. Il avait passé
trois jours à Londres, où il était
arrivé en provenance de Tel-Aviv. A
l'aéroport Ben Gourion, il avait passé
tous les sacro-saints contrôles de
sécurité (ceux qui ont fait fulminer
Manu Leguineche (16))
sans que personne ne détecte le
pistolet. Lehman a été jugé, et entre
autres choses il a dit que c'était un
oubli et que tout le monde devait
comprendre qu'en Israël,
on était obligé de porter des armes pour
se défendre contre les terroristes.
L'argument a fonctionné (17),
bien sûr. Inutile de dire ce qui serait
arrivé à un Palestinien d'Hébron qui
serait arrivé à Heathrow avec une arme
chargée, au motif que dans sa ville, il
devait la porter pour se défendre de
colons comme Lehman. Bien sûr, ce
Palestinien (au cas où il aurait eu la
permission de quitter Hébron, et rien
n'est moins sûr) n'aurait jamais passé
le premier contrôle de sécurité à Ben
Gourion [originaire d'Hébron, il
n'aurait de toutes façons pas pu partir
par Tel Aviv mais par la Jordanie, ndt].
Parce que la sécurité là-bas, la fameuse
et glorieuse sécurité, est fondée sur la
fouille et l'interrogatoire des autres,
eux (ce qui inclut quiconque n'est pas
israélien) pour que nous (les
Israéliens) soyons tranquilles (la
fouille du sac à dos d'une fillette de 5
ans d'où dépassait la tête d'un ours en
peluche à El Prat). En ce qui concerne
les aéroports, c'est l'israélisation que
tant acclament maintenant.
Efficacité ?
Ensuite,
il y a l'efficacité dans la lutte contre
le terrorisme. J'ai écrit peu après les
attaques à Bruxelles et aux sympathiques
amis de la Hasbara (il faudrait qu'un
jour j'écrive sur eux) ils n'ont pas
aimé, ce qui me semble incompréhensible
: Israël est un échec
en ce qui concerne la lutte contre le
terrorisme, et ce n'est pas moi qui le
dit mais l'Etat hébreu lui-même. La
version officielle est que
Israël doit être inflexible
avec sa sécurité parce qu'il lutte
contre le terrorisme arabe et musulman
depuis sa création, et même avant.
C'est-à-dire depuis 1948. Suivant le
propre ministère des Affaires étrangères
d'Israël, aujourd'hui,
maintenent, Israël
subit "une vague de terrorisme"
sous la forme de coups de couteau, de
fusillades et d'agressions depuis
octobre 2015, qui ont coûté la vie à 34
Israéliens. Ce qui veut dire qu'en 68
ans, et d'après le discours officiel
israélien, l'Etat hébreu n'a pas réussi
à vaincre les terroristes palestiniens.
Israël, selon son Etat
et le discours officiel, aujourd'hui,
maintenant, se bat pour sa survie contre
le terrorisme... 68 ans après sa
création. Il n'y a pas d'autre pays au
monde qui, selon les critères et les
statistiques de son propre Etat, subit
d'autant d'attaques terroristes qu'Israël.
Il ne semble pas par conséquent que ses
méthodes soient l'exemple à suivre, car
il ne parviant pas à la victoire tant
attendue contre la terreur. Et si,
contre sa propre affirmation, nous
décrétons que l'Etat hébreu est le
vainqueur du terrorisme, alors que se
passe-t-il en ce moment ? Peut-être la
résistance contre l'occupation ?
De fait, je ne pense pas qu'il faille
israéliser l'Europe, mais plutôt le
contraire. Le monde est lancé dans un
processus accéléré d'israélisation,
depuis au moins le 11-Septembre. Après
les attaques des Tours jumelles, ce sont
les méthodes et stratégies
"israéliennes" (comme les appellent sans
complexe certains) qui ont été mises en
oeuvre : les guerres en Irak et en
Afghanistan, le Patriot Act, la
sécurité avant les libertés,
l'espionnage massif des citoyens
considérés comme une masse suspecte
jusqu'à ce que le contraire soit
démontré, Guantánamo, le bourbier
syrien... Ce sont ces politiques qui
nous ont conduit là où nous sommes.
Ce qu'il faut faire, c'est désisraéliser
l'Europe. Le fait qu'on fouille le sac à
dos d'une gamine de cinq ans d'où émerge
la tête d'un ours en peluche ne me donne
pas un plus grand sentiment de sécurité.
Source :
Décima da 2.0
TraducTraduction : MR pour ISM
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