RussEurope
Sakozy, Montebourg:
amnésie, béquilles et cannes anglaises
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 23 août 2016
Entre dimanche 21 et lundi 22 août,
deux « non-événements » ont agité le
microcosme médiatique : l’annonce de la
candidature d’Arnaud Montebourg et celle
de Nicolas Sarkozy.
Ces deux candidatures cultivent une
certaine ambiguïté. Arnaud Montebourg
affirme sa volonté de se présenter à
l’élection présidentielle et soumet sa
présence préalable à la primaire du
parti « socialiste », un mécanisme qu’il
avait défendu en 2006 et 2007 à de
nombreux préalables. Nicolas Sarkozy se
présente officiellement à la primaire
organisée par les partis du
centre-droit, mais semble considérer que
le résultat est déjà connu, qu’il est le
seul légitime pour se présenter à
l’élection présidentielle.
Retenons, déjà, que ceci ne fait que
refléter les ambiguïtés intrinsèques du
mécanisme dit « de l’élection
primaire », importation d’une
institution étatsuniennes dans le
contexte, fort différent de la France.
Rappelons que le mécanisme permettant à
tout électeur, moyennant la signature
d’un papier sur les « valeurs » de la
« gauche » comme de la « droite », de
voter introduit, en réalité, un biais
non démocratique important dans ces
« primaires ». L’inexistence de
frontières précises déterminant qui
peut, et ne peut pas, voter, dilue la
prise de responsabilité. La démocratie,
il convient toujours de le rappeler,
implique une délimitation précise du
corps politique. Rappelons, encore, que
les multiples manœuvres d’appareil qui
seront possibles lors de ces primaires
confirment ce biais. C’est la raison
pour laquelle un certain nombre de
candidats ont décidé de se présenter
directement aux suffrages des Français.
Mais, passons sur ces « détails », et
concentrons-nous sur les deux possibles
candidats de ce dimanche et de ce lundi.
La fausse
surprise de l’Agité
La candidature de Nicolas Sarkozy
n’est pas une surprise. Rappelons que
l’homme, à la suite de sa défaite de
2012, avait annoncé sa volonté de
quitter la vie politique. Il se renie
sur ce point. Il eut été plus sage, car
– après tout – il était en 2012 d’un age
où toutes les tentatives de retour en
politique sont possibles, qu’il parle
d’une mise entre parenthèses de ses
ambitions. Nombre d’hommes (et de
femmes) politiques ont connu des échecs
et les ont surmontés. Le problème n’est
donc pas tant qu’il annonce aujourd’hui
sa candidature, mais qu’il ait annoncé,
dans un grand déploiement médiatique,
son supposé « retrait » en 2012. Il
donne l’image soit d’un homme inconstant
soit d’un manipulateur. Aucune de ces
images n’est flatteuse.
Mais, ce n’est pas le seul problème
soulevé par sa candidature. Nicolas
Sarkozy a exercé un mandat présidentiel
(2007-2012). Il ne peut prétendre à la
nouveauté. De ce premier mandat, il
devrait en tirer un bilan honnête, dire
aux Français quels ont été ses échecs et
ce qu’il entend faire pour y remédier.
Car, il ne peut oublier que son échec de
2012 est largement le produit d’un
épuisement général à la suite d’une
dispersion quasiment pathologique de ses
efforts et d’un rejet par une large
partie des électeurs. Or, dans le livre
qu’il vient de publier, et où il annonce
sa candidature, on chercherait bien en
vain la moindre analyse des raisons
profondes de son échec de 2012. C’est
bien là le problème.
Non que l’échec soit rédhibitoire.
Quand on est prêt à affronter
sereinement ses causes, à les analyser,
à en tirer des leçons et à convaincre
les électeurs que l’on s’est donné les
moyens de ne pas les répéter, un échec
passé peut être le fondement d’une
victoire future. Pourtant, rien de cela
ne transparaît à la lecture de « Tout
pour la France ». Nicolas Sarkozy
retombe dans ses pires errements. Il
confond la vitesse et la précipitation.
Napoléon, dans une lettre adressée à
l’un de ses généraux, la concluait par
ces mots : « vitesse, vitesse ; je me
recommande à vous ». Et il est vrai que
la vitesse de réaction est importante,
dans la politique comme dans la
guerre…Mais, cette vitesse était, chez
Napoléon, mise au service d’une vision
générale. Or, telle n’est pas l’image
que donne Nicolas Sarkozy. Partant dans
tous les sens, multipliant les
propositions dont peu donnent le
sentiment d’avoir été mûrement
réfléchie, il retombe dans la caricature
de lui-même qu’il était devenu :
l’Agité.
Intégration
et assimilation
Dans les différentes propositions
qu’il fait, on retiendra celles qui
sont, volontairement, les plus clivantes.
Postulant que l’identité sera l’un des
thèmes principaux de la campagne à
venir, mais sans fournir aucune
définition de cette « identité », il
propose de remplacer l’intégration par
l’assimilation. La formule se veut un
appel du pied à la frange la plus à
droite de son électorat, mais elle
révèle surtout que Nicolas Sarkozy ne
sait pas ce dont il parle.
L’intégration est un
concept essentiellement politique. On
s’intègre dans un corps politique
particulier en en acceptant les règles
organisatrices, que ces règles soient
explicites (comme la Constitution) ou
qu’elle soient implicites comme
l’ensemble des principes qui sont admis
dans le corps politique français et dont
les règles explicites sont la forme de
matérialisation. On participe aux débats
collectifs qui se font dans le cadre de
ces règles et de ces principes, et dont
certains peuvent conduire d’ailleurs à
modifier certaines des règles (une
Constitution n’est pas immuable). Mais,
pour ce faire, il faut s’approprier, il
faut faire sien, un certains nombres de
principes comme celui d’égalité et de
laïcité, parce que ces principes sont
déterminant dans la constitution la plus
large du corps politique. L’intégration
n’est nullement garantie d’avance ; elle
peut ne pas se faire, elle peut échouer,
quand des individus ou des groupes
d’individus remettent ouvertement en
cause si ce n’est les règles, du moins
les principes. Mais, elle peut aussi
échouer quand le corps politique ne joue
pas franc-jeu, ou quand il n’est plus
défini, ce qui constitue à l’évidence
aujourd’hui un problème quand la perte
de souveraineté jette une
indétermination sur ce qu’est d’être
français. Les ratés de l’intégration
renvoient alors soit à des différences
insurmontables au niveau des principes,
soit à des comportements qui nient dans
les faits la possibilité de matérialiser
ces mêmes principes soit encore à un
contexte général qui produit une
indétermination qui est contradictoire
avec l’intégration.
L’assimilation est
une notion beaucoup plus floue, qui
n’est certes pas moins importante que
l’intégration, mais qui ne se joue pas
dans la même temporalité. On assimile
(individuellement) des coutumes, des
habitudes, des comportements et l’on
s’assimile, de manière toujours
imparfaite et toujours incomplète, ce
qui est une bonne chose car une
homogénéité totale n’est ni souhaitable
ni possible, à la culture du pays dans
lequel on vit. Ces deux mouvements sont
nécessaires et ne se recoupent pas.
L’assimilation des coutumes et des
habitudes se fait d’habitude par
l’école, par l’apprentissage de la
langue et de l’histoire d’un pays. Il
n’est pas anodin que Nicolas Sarkozy
face de cette notion une des notions
centrales de son discours alors que,
durant son mandat, l’enseignement et de
l’histoire et celui de la langue
française ont été si maltraitées
(réformes de Luc Chatel). Que ce
mouvement ait été continué sous la
présidence actuelle ne l’exonère pas de
ce qui eut lieu de 2007 à 2012. Quant au
processus réflexif qui consiste donc à
s’assimiler (et non seulement à
assimiler l’ensemble des réflexes et
comportements qui permettent de vivre
ensemble), il relève d’un choix
individuel qui doit être laissé à la
discrétion de chacun. On n’est pas moins
français parce que l’on parle, en plus
du français naturellement, le breton, le
provençal, le basque ou le corse, ou
encore l’italien, l’espagnol, l’arabe,
le chinois, le portugais ou le hongrois,
le yddish ou le russe…Cette décision,
qu’elle soit consciente ou inconsciente,
doit être laissée à la liberté de
chacun.
La véritable question est donc de
savoir s’il y a une culture française,
avec ce que cela implique comme
comportements communs au-delà du
maintien chez ceux qui le souhaitent de
racines culturelles diverses, ce que
l’on peut appeler une
interculturalité, ou si l’on fait
d’un projet multiculturaliste l’alpha et
l’omega d’un projet politique. Faute
d’avoir une vision claire de ces
notions, le discours de Nicolas Sarkozy
est semé de confusions, confusions qui
renvoient aux contradictions avec son
action passée.
La pluie et
la rivière…
Ceci ne fait que souligner le
problème que pose l’usage du mot
« identité » par Nicolas Sarkozy, avec
certains autres. Si l’on considère que
l’identité est une notion politique, au
sens ou elle définit l’appartenance au
corps politique, on peut tout à fait
l’admettre. La culture politique,
accumulée depuis des siècles, fait qu’un
Français réagira différemment sur
certains sujets qu’un britannique, qu’un
allemand ou qu’un italien. Mais, alors,
il faut respecter le corps politique.
Est-ce que le président du Traité de
Lisbonne, le président qui fit avaliser
par une réunion du Congrès à Versailles
la plus grande partie des termes que les
Français avaient rejetés lors du
référendum de 2005 est le mieux placé
pour défendre l’identité ?
Disons le, en un mot comme en cent :
réélire Nicolas Sarkozy, c’est
l’assurance de la perpétuation du jeu
malsain et délétère que ce dernier mena,
de 2007 à 2012, que ce soit avec Angela
Merkel ou que ce soit avec les
présidents américains, et dont nous
payons encore aujourd’hui les
conséquences. On pourrait ajouter que
les mesures économiques et sociales
proposées vont à l’encontre de ce que
veulent les français. Assurément,
Nicolas Sarkozy fut parfait dans son
interprétation des discours écrits par
Henri Guaino, à commencer par celui de
Toulon. Mais, son action fut largement
impuissante, corseté qu’il était dans sa
conviction que l’UE (et la zone Euro)
devait être à tous prix sauvegardée, ce
qui le conduisit à entériner la
politique désastreuse de François Fillon
dès l’automne 2010.
La confiance fut donc légitimement
refusée à Nicolas Sarkozy en 2012. Or,
il n’a tiré nulle leçon de cet échec et
il n’y a chez lui pas l’once d’une
remise en question. Il parie sur une
forme d’amnésie collective, un syndrome
d’Alzheimer à l’échelle du pays tout
entier pour présenter sa candidature,
tout comme d’ailleurs les autres
candidats des « Républicains » comme
François Fillon, déjà nommé, Alain
Juppé, voir Bruno Le Maire. Le dégoût
légitime que l’on peut avoir pour
l’actuel président (François Hollande),
dégoût qui fait que l’on ne votera pas
pour lui, ne transformera pas en or la
longue litanie d’échecs de ceux qui
l’ont précédé. Aucun alchimiste n’a le
pouvoir de réussir cette transmutation !
L’alternance entre les « Républicains »
et le P « S » est une fausse
alternance, c’est se jeter dans la
rivière pour éviter la pluie qui tombe
sur la hollandie…
Montebourg :
béquille ou canne anglaise ?
Il faut maintenant parler de la
candidature d’Arnaud Montebourg. On le
sait, et je ne m’en suis jamais caché,
que j’ai une certaine sympathie pour
l’homme. Jusqu’à son éviction, il s’est
battu avec courage dans le gouvernement
et contre le gouvernement et les options
désastreuses prises par l’Élysée. Il a
eu des mots fort justes sur Hollande,
son comportement, et la logique
politique qu’il imposait. Mais, une fois
remercié, il aurait pu faire l’effort de
mise en cohérence de ses idées qui
s’avérait nécessaire. Force est de
reconnaître qu’il ne l’a pas fait. Il
est resté, sur l’ensemble des sujets
liés à l’économie et à l’UE, sur la
position qui était la sienne à l’hiver
2011-2012. Or, il y a eu une évolution
importante et rapide de la situation, du
vote – honteux – du TSCG en octobre 2012
à la crise grecque de l’été 2015. On
doit le répéter, cette crise grecque, et
surtout le comportement des institutions
européennes, ont changé le regard que
l’on pouvait porter tant sur la zone
euro que sur l’UE. Cette crise a montré
que la coupure entre amis et ennemis,
cette coupure qui définit le politique,
passait là, sur le rapport avec ces
institutions et la zone euro. De ces
événements, certains à gauche en ont
tiré les leçons, même si ce n’est
qu’imparfaitement, comme Jean-Luc
Mélenchon : mais pas Arnaud Montebourg.
Sa candidature apparaît donc comme
une ultime manœuvre pour repeindre
l’édifice en ruine du vieux P « S », un
parti certes jeune eu égard à l’histoire
mais qui, perclus de reniements et voûté
par les trahisons, semble avoir l’âge de
Mathusalem. Ce parti avait une béquille,
la candidature de Benoît Hamon, pale
substitut d’une candidature de Martine
Aubry. Arnaud Montebourg vient de se
constituer comme la seconde. Ses
déclarations, ce matin 23 août, sont
éclairantes : « Le président de la
République doit prendre la décision qui
s’impose, ne pas être candidat« [1].
Interrogé par Jean-Claude Bourdin qui
lui demande «Mais, quelle est la
décision qui s’impose, qu’il ne soit pas
candidat?», il a répondu : «Je crois
que vous avez deviné mes pensées (…)
J’écoute les Français, je vis au milieu
d’eux, travaille avec eux, je vois quand
même la colère très présente,
l’inquiétude aussi et l’absence d’espoir»[2].
Disons le : la décrépitude du P « S »
est aujourd’hui telle que cela n’a aucun
sens.
Si, dans le discours prononcé à
Frangy le dimanche 21 août, on pouvait
trouver des thèmes intéressants, ce ne
sont à l’heure actuelle que des mots. Si
Arnaud Montebourg veut être pris au
sérieux par les Français, il doit
impérativement faire la preuve que ce
discours n’est pas qu’une posture, un
mouvement de menton. Il doit avancer des
propositions claires, qui tranchent, et
en particulier sur l’UE et sur la zone
Euro. C’est son intérêt. S’il veut, dans
le cas ou il serait élu, pouvoir
affronter les institutions européennes
et l’Allemagne avec un rapport de force
raisonnable, il doit proposer un
référendum portant au minimum sur le
TSCG, et – mieux – donnant carte blanche
à son gouvernement pour refonder l’UE et
dissoudre la zone Euro. L’idée d’un tel
référendum serait aujourd’hui
immensément populaire en France[3].
Elle constituerait alors non pas une
béquille pour sa propre candidature,
mais bien une canne anglaise.
Faute d’avancer des propositions
concrètes, qui pourraient crédibiliser
son discours, Arnaud Montebourg court le
risque de rester dans un entre-deux,
trop critique envers Hollande pour
espérer de rallier les derniers carrés
et les hiérarques du parti, pas assez
pour apparaître comme naturellement
légitime. Or, en politique, le temps
n’attend pas. Arnaud Montebourg a devant
lui quelques semaines pour prendre les
bonnes décisions ou sa candidature
s’essoufflera et ce d’autant plus que
celle de Jean-Luc Mélenchon apparaît
d’ores et déjà comme plus cohérente et
mieux construite.
[1]
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/montebourg-demande-a-hollande-de-ne-pas-etre-candidat-a-la-presidentielle-2017_1823552.html
[2] »,
http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2016/08/23/25002-20160823ARTFIG00101-avec-hollande-nous-risquons-un-21-avril-puissance-20-pense-montebourg.php
[3]
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/08/18/31001-20160818ARTFIG00184-en-cas-de-referendum-sur-l-union-europeenne-le-frexit-l-emporterait-probablement.php
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