RussEurope
Bruxelles, l’horreur
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mercredi 23 mars 2016
Les tragiques attentats de Bruxelles
du 22 mars nous emplissent d’horreur et
de compassion pour les victimes. Mais
ces attentats sont aussi porteurs d’une
leçon importante. Ils nous rappellent
l’importance des Etats dans la
protection, qu’elle soit physique ou
sociale, des citoyens. Ces attentats
sont la confirmation que seuls les
Etats, en se coordonnant et en
coopérant, sont à même et sont légitimes
à exercer cette protection, car ils
sont, dans un régime démocratique,
l’expression du peuple. L’Union
européenne n’a ni la légitimité, ni même
la capacité matérielle, d’assurer cette
protection. C’est d’ailleurs le bilan
qu’en tire Pierre Briançon dans un
article posté sur le site
politico.eu au 23 mars[1].
Si la légitimité de l’UE est ainsi
attaquée, si elle est mise en cause de
manière aussi évidente, c’est bien parce
qu’elle a failli. Il faut en tirer les
conclusions qui s’imposent. Ces
attentats signent l’arrêt de mort de
l’Union européenne.
Un échec
social
Les institutions européennes, qu’il
s’agisse de l’Union européenne ou de
celle de la Zone euro, ont été
incapables de protéger les populations
des pays concernés contre la crise
économique qui s’est déclenchée en 2007.
Ces institutions n’ont su que mettre en
place un « cadre disciplinaire » qui a
aggravé et empiré la situation. Cette
crise financière constituait le type
même de « choc exogène » que l’Union
Economique et Monétaire (ce que l’on
appelle la « Zone Euro »), était dans
l’incapacité de gérer[2].
Mais cette crise provoqua la mise en
œuvre d’un cadre disciplinaire inouï,
fondé sur le déni de légitimité des pays
membres, cadre qui s’est concrétisé dans
un ensemble de cinq règlements et d’une
directive approuvés octobre 2011 et
appelé « Six-Pack »[3].
Les États doivent se doter d’un
objectif à moyen terme (OMT) qui
permet de garantir la viabilité des
finances publiques et le retour à
l’équilibre structurel des comptes
publics (déficit structurel limité à 1 %
du PIB). Les pays qui ont une dette qui
dépasse 60 % du PIB feront l’objet d’un
« procédure de déficit excessif »
s’ils ne réduisent pas d’un vingtième
par an (sur une moyenne de trois ans)
l’écart entre leur taux d’endettement et
la valeur de référence de 60 %. Si les
pays qui sont en procédure de
déficit excessif ne se conforment
pas aux recommandations que le Conseil
leur a adressées, le Conseil, sur
recommandation de la Commission
Européenne leur adressera des
sanctions, sauf si une majorité
qualifiée d’États s’y oppose, procédure
nouvelle au sein de l’UE et que l’on
appelle la règle de « majorité
inversée »[4].
Au-delà de cette procédure, qui n’exige
plus un vote « positif » pour l’adoption
des sanctions, le « Six-Pack »contient
toute une série de mesures extrêmement
contraignantes dans le domaine
macroéconomique. Ainsi, une procédure
pour déséquilibre excessif pourrait
désormais être lancée et des sanctions
être prises à l’encontre des États sur
une série d’indicateurs macroéconomiques
qui inscrivent dans les textes les
options néo-libérales de l’Union
européenne[5].
Très clairement, l’UE s’est avérée
incapable de garantir la sécurité
sociale des populations. Elle est à
l’origine de la loi « El Khomri » que
défend actuellement le gouvernement
français[6].
Un échec
politique
Nous constatons aujourd’hui, dans le
sang et les larmes, que les institutions
européennes se sont avérées touts aussi
incapables de défendre physiquement les
populations. Les mesures de sécurité,
qu’on les juge bonnes ou mauvaises par
ailleurs, sont uniquement
prises par les Etats. Mais, l’action
délétère de l’Union européenne s’exerce
en fait sur les conditions mêmes de
fonctionnement de ces Etats. Si la
Belgique a été la cible de ces attaques
atroces, ce n’est malheureusement pas un
hasard. L’Etat belge est en pleine phase
de dissolution, et il l’est tant pour
des raisons économiques et linguistiques
que parce que ses dirigeants ont en
réalité pleinement intégré le projet
européiste.
Il y a une vérité importante dont il
convient de se pénétrer : quand on ne
sait plus ce qui fait un Etat, quand on
ne sait plus ce qui fait un peuple,
c’est à dire une communauté politique
regroupée autour d’une culture politique
commune et d’un projet commun, on ouvre
la porte aux communautarismes, on
transige avec eux, et l’on finit par
pactiser avec l’islamisme.
Mais il y a une deuxième vérité tout
aussi importante : quand des
institutions sont incapables de garantir
aujourd’hui la sécurité, qu’elle soit
physique ou sociale, des populations il
n’y a plus de légitimité dans ces
institutions ; il n’y a plus que la
violence nue, qui s’exerce d’ailleurs
avant tout contre ces
populations.
De ce point de vue, les attentats du
mardi 22 mars ne sont que le versant
politique et terroriste
d’’un échec institutionnel grave que
l’on a pu mesurer depuis des années dans
le versant social. L’unité de
ces deux versants doit constituer la
base d’un mouvement profond exigeant de
nos élites qu’elles assurent notre
sécurité ou, si elles en sont
incapables, qu’elles déguerpissent au
plus vite pour laisser la place à ceux
qui seront prêts, dans le respect des
souverainetés et de la légitimité, à le
faire à leur place.
[1]
http://www.politico.eu/article/an-attack-on-european-legitimacy-terrorism-war-eu-skepticism/
[2] Sapir J. « La Crise de l’Euro :
erreurs et impasses de l’Européisme » in
Perspectives Républicaines,
n°2, Juin 2006, pp. 69-84.
[3] Contre la Cour, « Gouvernance
européenne, souverainetés et faillite
démocratique », 5 septembre 2014,
http://www.contrelacour.fr/gouvernance-europeenne-souverainetes-faillite-democratique/
[4] Voir Commission Européenne, 12
décembre 2011, « EU Economic governance
« Six-Pack » enters into force »,
http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-11-898_en.htm
[5]
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2011-0421&language=FR&ring=A7-2011-0178
[6]
http://www.force-ouvriere.fr/bruxelles-fait-pression-pour-que-la-france-adopte-la-loi-travail
Le sommaire de Jacques Sapir
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour
|